Violences conjugales : « Sans moyens, il n’y aura pas de changement majeur »

Violences conjugales : « Sans moyens, il n’y aura pas de changement majeur »

Le ministre de l’Intérieur a annoncé vouloir mieux lutter contre les violences conjugales et les féminicides. Des annonces accueillies avec circonspection par les sénatrices de la délégation aux droits des femmes et le collectif Nous toutes. Elles pointent l’absence d’objectifs chiffrés tout en soulignant que plusieurs de ces mesures avaient déjà été formulées lors du Grenelle contre les violences faites aux femmes en 2019.
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Par Héléna Berkaoui

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Le féminicide de Mérignac et les différents dysfonctionnements ayant émaillé cette affaire ont marqué l’actualité récente. Dimanche, le ministre de l’Intérieur annonçait, dans les colonnes du Parisien, une série de mesures pour lutter contre les violences conjugales et les féminicides.

En 2020, 102 femmes et 23 hommes ont été tué·es par leur conjoint·e ou leur ex-conjoint·e, selon les chiffres dévoilés par le ministre. « Au terme d’une année marquée par deux confinements, le nombre d’interventions de police et de gendarmerie pour des violences intrafamiliales reste très élevé : plus de 400.000, soit 45 interventions par heure », indique par ailleurs Gérald Darmanin. Selon le collectif Féminicide par ex·compagnon, au moins 70 féminicides ont été comptabilisées depuis janvier 2021. 

Gérald Darmanin promet un renforcement des effectifs

Des chiffres qui rappelent qu'Emmanuel Macron avait fait des violences sexistes et sexuelles « la grande cause du quinquennat ». Du côté, du ministre de l’Intérieur différentes mesures ont été annoncées pour gonfler les effectifs en charge des questions liées aux violences conjugales. Gérald Darmanin veut voir des officiers spécialisés dans ces violences dans chaque commissariat et chaque brigade de gendarmerie.

Le bataillon des officiers de police judiciaire devra lui aussi être renforcé pour faire face à un nombre accru de procédures. Aussi, un responsable national sera nommé d’ici fin août auprès du Directeur général de la police nationale (DGPN), du Directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) et du préfet de police « sur le modèle de ce qui existe en matière de terrorisme et de drogue » .

Les mains courantes définitivement proscrites

En outre, Gérald Darmanin a assuré vouloir que les plaintes pour violences conjugales soient prioritaires « devant les cambriolages, devant les stupéfiants, devant les vols à la tire ». Il a également insisté sur le fait que les plaintes devaient systématiquement être enregistrées avant d’annoncer que les mains courantes seront définitivement proscrites.

Le féminicide particulièrement atroce de Mérignac, le 4 mai dernier, a mis en lumière certains dysfonctionnements chez les forces de l’ordre. Dans cette affaire, le policier qui a eu à entendre la victime pour des violences conjugales avait lui-même été condamné pour ces faits. Gérald Darmanin a assuré qu’il rendra public le rapport de l’inspection générale de l’administration sur ce dossier en septembre. Souhaitant tirer « des conclusions radicales » de cette affaire, le ministre entend réduire le délai de convocation devant le conseil disciplinaire pour les policiers.

80% des plaintes pour violences conjugales classées sans suite

Au Sénat, ces annonces faites « en plein cœur de l’été » sont accueillies fraîchement. La présidente de la délégation aux droits des femmes s’en étonne et rappelle « que toutes ces annonces devront être retranscrites dans un projet de loi de finances » afin d’être budgétées. « On sépare l’annonce de la mise en œuvre », constate Annick Billon, méfiante.

Le fait que plusieurs de ces mesures aient déjà été formulées lors du Grenelle contre les violences faites aux femmes en 2019, l’interpelle également. Par ailleurs, ni les moyens alloués à l’application de ces mesures ni le nombre d’effectifs supplémentaires prévus ne sont clairement détaillés dans cette interview.

La sénatrice centriste de la Vendée note également que ces annonces ne concernent que la police et la gendarmerie. « Si les moyens ne sont pas mis au niveau de la justice on ne sera pas bien avancé, souligne-t-elle. Une fois le dépôt de plainte pris, il faut notamment des magistrats spécialisés et on connaît l’engorgement de certains tribunaux ». 80 % des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite, rappelait à cet égard la présidente du Haut conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes au Sénat.

« La politique de lutte contre les violences faites aux femmes n’avance pas à coups d’annonces », tance Laurence Rossignol.

L’ancienne ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, soulève elle aussi le caractère « désordonné » de ces annonces. « Depuis 2 ans, on a beaucoup d’annonces. On ne voit pas la cohérence, la continuité et cela semble décidé sous l’impulsion de l’actualité », juge la sénatrice socialiste. Par ailleurs, « une politique de sécurité publique n’a pas vocation à hiérarchiser les dossiers en fonction de l’actualité », note-t-elle.

«  Ces annonces consistent à dire qu’on va appliquer le Code pénal ? »

La volonté du ministre de voir les plaintes pour violences conjugales « systématiquement » enregistrées, la laisse coite. « Ces annonces consistent à dire qu’on va appliquer le Code pénal ? », grince-t-elle. Comme elle le rappelle, l’affaire du féminicide a mis en avant la question des violences faites aux femmes commises par les forces de l’ordre. Laurence Rossignol est signataire d’une pétition pour un recensement des policiers et gendarmes violents envers les femmes et/ou enfants qui a reçu 23 270 signatures.

Le sujet avait déjà été mis en lumière avec la publication du livre enquête « Silence, on cogne » (éditions Grasset, 2019) de Sophie Boutboul et Alizé Bernard. Cette enquête documente les violences conjugales subies par des femmes de gendarmes et de policiers et les verrous auxquels elles font face. Les dysfonctionnements constatés dans l’affaire de Mérignac étaient en outre largement abordés dans ce livre enquête.

Violences conjugales : l’urgence de former les forces de l’ordre

Du côté des associations, les critiques se font plus acerbes. Le collectif Nous toutes affirme que les annonces du ministre de l’Intérieur « mis en cause pour des faits de viol » existent déjà mais ne sont pas appliquées faute de financements. « Les moyens pour appliquer ces annonces sont en réalité grands absents de l’interview et sans moyen, il n’y aura pas de changement majeur », réagit Caroline de Haas du collectif Nous toutes.

La militante féministe rappelle aussi l’enquête sur le dépôt de plaintes des victimes de violences conjugales réalisée par son collectif et publiée en mars dernier. « Il était ressorti que des milliers de femmes victimes de violences au sein du couple avaient été confrontées au refus de prendre leur plainte, à la banalisation des faits ou à une solidarité avec le conjoint de la part des forces de l’ordre », observe-t-elle. Caroline de Haas insiste sur la nécessité de former l’ensemble des forces de l’ordre « à accueillir la parole et à prendre au sérieux les victimes ». Une nécessité qui, là encore, doit s’appuyer sur un effort financier.

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