Violences contre les élus : « Les plaignants continuent à mettre en cause l’inertie des procureurs », constate Rémy Pointereau

Violences contre les élus : « Les plaignants continuent à mettre en cause l’inertie des procureurs », constate Rémy Pointereau

Auditionné sur les relations entre les parquets et les élus locaux, le garde des Sceaux a présenté les avancées en la matière. Des outils parfois balbutiants à en croire les remontées des sénateurs de la délégation aux collectivités territoriales. En nette hausse, les violences contre les élus sont en partie à mettre sur le compte du délitement du débat public, accuse par ailleurs le ministre de la Justice.
Public Sénat

Par Héléna Berkaoui

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Environ 1 190 élus victimes d’agressions physiques dans les onze premiers mois de 2021, dont 162 parlementaires et 605 maires ou adjoints. Ces chiffres du ministère de l’Intérieur marquent une hausse de 47 % par rapport à 2020. « Il y a une peur qui s’installe et qui peut remettre en cause la capacité d’engagement de nos concitoyens », alerte la présidente de la délégation aux collectivités territoriales, Françoise Gatel.

Sa délégation recevait, mercredi 23 février, le garde des Sceaux pour l’auditionner sur le rapprochement entre les élus locaux et les juridictions locales. Premier constat : les directives pour une relation de proximité peinent à se mettre en place. « Ce sont parfois deux mondes qui ne se parlent pas », reconnaît le ministre de la Justice qui revendique toutefois l’embauche de contractuels mis à la disposition des parquets pour renforcer le lien avec les élus.

Ce rapprochement entre parquets et élus locaux sert à aussi à renforcer la justice de proximité. Dans sa commune, le maire est à la fois une autorité de police administrative et un officier de police judiciaire.

« J’avais rencontré, en Bourgogne, un tout jeune maire qui n’avait aucune formation juridique et qui était complètement perdu face au fait de devenir officier de police judiciaire », relate le garde des Sceaux. Et de citer en exemple certains parquets qui dispensent des formations pour permettre aux élus de se saisir de leurs prérogatives. Le garde des Sceaux note à ce titre, que les élus ne se saisissent pas encore suffisamment des rappels à l’ordre.

« Certains parquets n’ont pas appliqué comme je l’aurais souhaité les directives »

« Certains parquets n’ont pas appliqué comme je l’aurais souhaité, les directives que j’avais données aux procureurs généraux et donc je l’ai fait cartographier », expose Éric Dupond-Moretti sur les dispositifs de rapprochement.

Et en effet, chaque sénateur à qui le garde des Sceaux a répondu a pu connaître le nombre de contractuels sur ses communes, l’existence ou non d’une convention entre le maire et le procureur, ou encore la présence de boîtes mails dédiées à ces échanges. Ces dispositifs restent mal connus des maires et le ministre a encouragé les sénateurs à communiquer à ce sujet.

Reste que « dans certains endroits, le maire n’a jamais rencontré le procureur », constate le ministre. Si les liens entre les élus locaux et les juridictions mettent du temps à se tisser, Éric Dupond-Moretti veut rappeler la dynamique enclenchée. Mais aussi la fermeté demandée aux juridictions face aux violences contre les élus. En décembre 2020, une circulaire demandait, en effet, aux parquets à ce que ces violences soient systématiquement qualifiées et ainsi ne plus retenir l’injure mais l’outrage.

« Pour les menaces, on est passé d’un taux d’emprisonnement de 52 à 62 % en un an et pour les violences, on a taux d’emprisonnement de 80 % », revendique le garde des Sceaux.

Lire aussi. Agression d’un député à Saint-Pierre-et-Miquelon : les pistes du Sénat pour protéger les élus

En face, les sénateurs rapportent, eux, des témoignages de maires qui ne voient pas d’évolution concernant les violences auxquelles ils font face. Sénateur du Tarn-et-Garonne, François Bonhomme expose le cas de deux élues, deux femmes. L’une d’elles a retrouvé des graffitis sur les murs de son domicile, l’autre a été agressée. Dans les deux cas, les forces de l’ordre ont été diligentes mais la procédure judiciaire « lente » s’est soldée par un classement sans suite.

Auteur d’un rapport pour améliorer la sécurité dans les territoires, Rémy Pointereau témoigne lui aussi : « On s’aperçoit que les plaignants continuent à mettre en cause l’inertie des procureurs de la République. On a un jeu de renvoi de balles avec les procureurs de la République qui disent ne pas poursuivre faute d’éléments suffisants recueillis par les forces de l’ordre. Et la gendarmerie et la police nous disent avoir fait leur travail ».

Lire aussi : Police municipale, rôle des maires : un rapport du Sénat vise à améliorer la sécurité dans les territoires

Mais le supposé laxisme judiciaire ne saurait servir d’explications à la hausse de ces violences, pour le ministre. « On ne reproche jamais au médecin la maladie, mais on reproche au ministre de la Justice la délinquance », observe-t-il. Et il en veut pour preuve le fait que les prisons soient aujourd’hui « archi pleines ».

« La haine qui est aujourd’hui complètement décomplexée dans son expression génère aussi de la violence »

«La haine décomplexée dans son expression génère aussi de la violence», affirme Éric Dupond-Moretti
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« La haine qui est aujourd’hui complètement décomplexée dans son expression génère aussi de la violence. Après les mots de haine, il y a les coups. Un certain nombre de gens feraient bien de regarder le bout de leurs chaussures dans leur expression dans le débat politique actuel », a pointé Éric Dupond-Moretti.

Si l’origine de l’augmentation de ces violences reste difficile à identifier, des travaux sont en cours pour améliorer la relation entre les élus et les juridictions. A ce titre, le ministre a annoncé qu’un groupe de travail, présidé par le procureur général de Reims et d’élus de l’Association des maires de France, allait rendre un rapport dans quelques semaines sur le sujet.

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