Violences contre les pompiers : « Un jour je vais arrêter mon métier »
Les pompiers sont de plus en plus victimes de violences lors de leurs interventions. Insultes, menaces de mort, caillassage ou agression physique, certains doutent de leur vocation. En 2017, 2813 déclaraient avoir été victimes d’une agression. À Marseille, la mission d’information du Sénat a échangé avec des soldats du feu sur leurs conditions de travail.

Violences contre les pompiers : « Un jour je vais arrêter mon métier »

Les pompiers sont de plus en plus victimes de violences lors de leurs interventions. Insultes, menaces de mort, caillassage ou agression physique, certains doutent de leur vocation. En 2017, 2813 déclaraient avoir été victimes d’une agression. À Marseille, la mission d’information du Sénat a échangé avec des soldats du feu sur leurs conditions de travail.
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Par Adrien Develay

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4 min

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« La violence, elle est quotidienne. » Au SDIS 13 (Service départemental d’incendie et de secours des Bouches-du-Rhône), la lassitude de Julien est palpable. Il est entouré de collègues de différentes casernes du département. Tous, lors de l’année 2018, ont connu des agressions alors qu’ils étaient en intervention. Face aux sénateurs qui sont venus à leur rencontre, Julien raconte sa dernière intervention qui a mal tourné « C’était une intervention basique de secours à la personne. Une personne suicidaire. On en a fini aux mains, j’ai terminé avec deux dents cassées. »

À 31 ans, Julien est à bout. Malgré le soutien de ses collègues et de sa hiérarchie, il pense à arrêter son métier. Sa vocation. Entré chez les pompiers pour combattre le feu, il est las d’être appelé pour des interventions hors du champ de compétence du 18. Et, au quotidien, de subir des violences. « Il n’y a pas un pompier en France qui ne s’est pas fait agresser » (Voir la vidéo ci-dessus)

« Les pompiers sont les derniers à répondre « oui »

Violences physiques, caillassage, outrages, menaces de mort même. Pour expliquer ces violences systématiques, les pompiers sont unanimes : ils sont sursollicités. Leurs interventions dépassent désormais l’urgence et le secours, leurs missions premières. Dans les Bouches-du-Rhône, les pompiers déplorent une mauvaise orientation des cas de la part des services généraux d’urgence (112 et 15) : « Sur un cas psychiatrique, ce n’est pas à nous d’intervenir, on n’a pas les compétences pour ça, explique Pascal, adjudant-chef à Carnoux. Mais aujourd’hui, les pompiers sont les derniers à dire « oui », et à se déplacer systématiquement pour aller voir ».

Pascal Ricard, adjudant-chef : « Les pompiers sont les derniers à répondre « oui »
01:00

Cas psychiatriques, délogement de forcenés, interventions auprès de personnes alcoolisées ou sous l’emprise de stupéfiants, ils dénoncent désormais leur rôle de « transporteur multitâche ».  Une situation qui n’est pas propre à l’agglomération marseillaise, et que les sénateurs déplorent également.

 

"Les sapeurs pompiers, on les appelle sur toutes sortes de missions " déplore Catherine Troendle
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Un autre pompier, basé lui à Miramas, raconte la fois où ils sont tombés dans un guet-apens. Après un appel pour un secours à personne dans un quartier sensible, ils tombent dans une embuscade et se font caillasser depuis les balcons des immeubles. Il sent alors un choc violent sur son casque. « Je n’ai jamais su ce que c’était, mais je pense à un tir de flash-ball. Ça aurait été autre chose, j’aurais pu y rester ce jour-là. » Les pompiers déplorent un climat social brûlant, où tout représentant de la force publique est désormais une cible. « À chaque fois maintenant, quelle que soit l’intervention, on se demande « on y va, ou on n’y va pas ? » Mais on y va, parce que c’est notre métier et notre devoir, » ajoute un autre pompier.

Une situation intolérable pour Loïc Hervé, sénateur de la Haute-Savoie. Selon lui, « la société française ne peut pas laisser les sauveteurs se faire agresser »

"La société française ne peut pas laisser les sauveteurs se faire agresser" prévient Loïc Hervé
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« On a peur de porter plainte »

En 2018, les pompiers du SDIS 13 ont mené 142 000 interventions. Seuls 37 dossiers pour violences ont été ouverts.
 « Pourquoi si peu ? », demande la sénatrice (LR) du Haut-Rhin Catherine Troendlé. « Parce qu’on a peur de porter plainte. Les gens qui nous agressent, parfois ils nous connaissent. On vit a coté de chez eux, on les croise tous les jours. Ils connaissent nos familles, nos enfants, on a peur des représailles », répond Julien. Les soldats du feu souhaiteraient pouvoir davantage porter plainte. L’année dernière, le sénateur (PS) du Nord Patrick Kanner a déposé une proposition de loi pour que les pompiers bénéficient de l’anonymat, comme les militaires. Une proposition impossible dans le droit français. Alors, la mission d’information travaille sur une autre idée : élargir l’anonymat aux témoins des violences.

"Un témoin d'agression de sapeur de pompier devrait pouvoir témoigner de manière anonyme" estime Patrick Kanner
00:47

 

Alors, en attendant des solutions législatives, les pompiers s’organisent pour faire face aux violences : cours de self-défense, matériel de protection, opérations conjointes avec la police dans la mesure du possible. Quand on évoque l’idée d’armer les pompiers, ceux-ci sont unanimes : « Hors de question ! Si on s’arme, cela ne va provoquer qu’une escalade dans la violence, ce n’est pas la solution. »

En rencontrant les sénateurs, les pompiers du SDIS 13 sont bien conscients que leur situation ne changera pas du jour au lendemain. Mais ils espèrent au moins que les violences qu’ils subissent au quotidien auront un écho au niveau national. La mission d’information du Sénat veut rendre ses conclusions à la rentrée parlementaire, en octobre.

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