À deux mois de la présidentielle, quel crédit accorder aux sondages ?

À deux mois de la présidentielle, quel crédit accorder aux sondages ?

Public Sénat se penche sur ce que disaient les sondages à 60 jours du premier tour, lors des quatre dernières élections présidentielles. S’ils peinent souvent à pronostiquer le classement d’arrivée, ils représentent un outil précieux pour retracer les évolutions de la campagne.
Romain David

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Une photographie prise à l’instant T… mais qui ressemble souvent à l’esquisse du tableau final. À l’approche du scrutin présidentiel, les sondages font le régal des commentateurs, qui y traquent, candidat par candidat, le moindre frémissement, qu’ils trahissent l’enclenchement d’une dynamique ou le début d’un tassement. Et de ce point de vue, l’enquête Ipsos-Sopra Steria pour Le Parisien/Aujourd’hui en France et Franceinfo, publiée samedi 5 février, tend à démontrer qu’à deux mois de l’élection, les courbes sont toujours susceptibles de se croiser. Si Emmanuel Macron – dont la déclaration de candidature se fait encore attendre – continue de dominer le premier tour avec 24 % des intentions de vote, suivi par Valérie Pécresse (16,5 %), cette enquête marque aussi la disparition de l’écart entre Marine Le Pen et Éric Zemmour, qui engrangent tous les deux 14 % des intentions de vote. Rapprochement encore confirmé mercredi, par le baromètre Cluster 17 (tous les deux à 15,5 %).

En clair, et en tenant compte des marges d’erreur, Valérie Pécresse, Marine Le Pen et Éric Zemmour se situent tous les trois dans un mouchoir de poche. Pour l’heure, aucun d’eux ne prend véritablement le leadership à droite de l’échiquier politique, et l’on peut se demander si, d’ici les prochaines semaines, la campagne du premier tour ne pourrait pas prendre les allures d’une primaire de la droite (et de l’extrême droite) qui ne dirait pas son nom.

« Le jeu reste ouvert en raison de plusieurs inconnues : le président sortant ne s’est pas encore déclaré, on se demande si certains candidats ne vont pas abandonner à gauche, et il y a cette incertitude autour des parrainages », indique Frédéric Micheau, directeur général adjoint d’Opinionway, et auteur de Le sacre de l’opinion - Une histoire de la présidentielle et des sondages aux éditions du Cerf. « Si on observe traditionnellement une certaine agitation sondagière à deux mois du scrutin, celle-ci est généralement liée à l’entrée dans une phase active, avec la multiplication des évènements de campagne : meeting, débats… Mais il n’y a pas de règle établie, chaque campagne suit son propre rythme ». Raison pour laquelle les enquêtes d’opinions, incapables de prédire certains épiphénomènes, permettent moins d’identifier un potentiel vainqueur que de comprendre les soubresauts de la campagne et de cerner l’évolution des électeurs. Petit retour sur les quatre dernières présidentielles, à travers le prisme des enquêtes d’opinion.

2017 : François Fillon, de favori à outsider

François Fillon s’impose fin 2016 en tant que principal challenger de Marine Le Pen, annoncée comme la favorite du premier tour. Après sa victoire à la primaire de la droite et du centre, l’ancien Premier ministre caracole très largement en tête du premier tour, puisqu’il est même donné à 31 % dans deux sondages, Kantar Sofres-One Point et Elabe, publiés dans la foulée de son investiture, fin novembre 2016. Quelques semaines plus tard, la machine s’enraille. Le candidat de la droite repasse sous la barre des 25 % durant la première semaine de janvier 2017. « Juste après sa victoire, François Fillon a pris du champ. Il y avait un certain épuisement après une campagne de la primaire assez longue. C’est aussi le moment où la primaire de la gauche est lancée. Pour exister, les candidats attaquent le programme du favori, notamment la réduction du nombre de fonctionnaires et le déremboursement de certains médicaments », rappelle Frédéric Micheau. L’écart avec Marine Le Pen se resserre. Dans un sondage Ifop-Fiducial, réalisé entre le 3 et le 6 janvier, la fille de Jean-Marie Le Pen repasse en tête (25-26 %). Le tassement du candidat s’accélère après les révélations du Canard enchaîné, le 25 janvier 2017, sur des soupçons d’emplois fictifs concernant son épouse.

Moins d’une semaine plus tard, la victoire de Benoît Hamon à la primaire de la gauche, permet à Emmanuel Macron de gagner deux à trois points dans les enquêtes d’opinions (sondage Elabe publié le 1er février) et de passer devant François Fillon, qui continue de s’affaisser progressivement sous la barre des 20 %. « Benoît Hamon n’était pas un candidat de consensus, Il incarne une gauche très affirmée, ses partisans ont fait un choix idéologique en contrebalançant le quinquennat de François Hollande. Mais certains électeurs ne s’y sont pas retrouvés et ont été habilement récupérés par Emmanuel Macron qui, au même moment bénéficie du ralliement de François Bayrou ». Une légère embellie, fin février, permet à François Fillon de repasser brièvement devant le fondateur d’En Marche, qui confirme toutefois son avance durant le mois de mars. Finalement, à six semaines du premier tour, cet ultime croisement des courbes annonce le tiercé de tête : Macron, Le Pen, Fillon.

Ce que disaient les sondages deux mois avant le premier tour : Marine Le Pen 25 % – François Fillon 21 % – Emmanuel Macron : 20 % (sondage Harris interactive, publié le 23 février 2017)

Résultats définitifs : Emmanuel Macron 24,01 % – Marine Le Pen 21,30 % - François Fillon – 20,01 %

2012 : La suprématie de la gauche

Début 2011, les sondages hésitent avec un duel entre le président sortant Nicolas Sarkozy et le candidat PS (pas encore désigné), ou entre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. « En avril 2011, plusieurs enquêtes donnent même Marine Le Pen au second tour face à la gauche, mais pas face à Nicolas Sarkozy, ce qui semblait complètement improbable dans l’histoire de la Cinquième République. Cela disait quelque chose de la stratégie de dédiabolisation mise en place par Marine Le Pen, qui venait d’être nommée à la tête du Front national, de la puissance de la gauche, mais aussi des difficultés rencontrées par le président sortant », observe Frédéric Micheau.

La désignation de François Hollande, après que l’affaire du Sofitel de New York a définitivement écarté Dominique Strauss-Kahn, confirme le clivage gauche droite ; Marine Le Pen s’enlise à la troisième place, généralement sous la barre des 20 %. Dans les projections, la gauche l’emporte systématiquement au premier tour : François Hollande enregistre jusqu’à 11 points d’avance sur le président sortant dans une enquête Ipsos de juin 2011.

Nicolas Sarkozy remonte dans les sondages au cours du dernier trimestre 2011. « La crise de l’euro a contribué à lui redonner une certaine stature », observe notre spécialiste. Il n’officialise sa candidature que le 15 février 2012, sans véritablement bénéficier d’un très fort effet d’entraînement. En vérité, le podium est figé depuis octobre. En mars, le score de François Hollande se stabilise autour de 28-30 % des intentions de vote. Celui de Nicolas Sarkozy continue lentement de progresser, pour atteindre en mars un plateau à 28 % des intentions de vote.

On notera la très grande volatilité des chiffres de Marine Le Pen, plutôt stables jusqu’en janvier (18-19 %), mais qui enregistrent ensuite des écarts variant de 14 % à 20 %, selon les enquêtes. « Elle était candidate pour la première fois, il était difficile pour les analystes de faire la part entre le sentiment de rejet suscité par son patronyme, et la forme de nouveauté qu’elle incarnait », décrypte Frédéric Micheau.

Ce que disaient les sondages deux mois avant le premier tour : François Hollande 28 % - Nicolas Sarkozy 27 % - Marine Le Pen 17 % (sondage CSA du 22 février 2012)

Résultats définitifs : François Hollande : 28,63 % - Nicolas Sarkozy : 27,18 % - Marine Le Pen : 17,9 %

2007 : la comète Bayrou

Les sondages ont figé le tableau de longs mois à l’avance : avec un traditionnel duel gauche droite et ce avant même que le nom des principaux champions ne soit connu. Le 16 novembre 2006, Ségolène Royal décroche l’investiture du parti à la rose. Quinze jours plus tard, c’est au tour de Nicolas Sarkozy de confirmer ses ambitions présidentielles. À quelques exceptions près, l’ancien ministre de l’Intérieur est donné gagnant au premier tour, dans certains cas avec 10 points d’avance (sondage Ipsos du 19 février) sur la candidate socialiste.

Elément fort de cette campagne : la progression très marquée de François Bayrou, troisième homme de cette élection, dont les intentions de vote décollent en février, jusqu’à être donné ex aequo avec Ségolène Royal (23 % tous les deux, face à Nicolas Sarkozy à 28 % dans un sondage Ifop du 9 mars 2007). « Il y a eu, au sein de la gauche, un doute sur la présidentialité de Ségolène Royal après une série de maladresses. On se souvient de la ‘bravitude’, des erreurs sur le nombre de sous-marins nucléaires… En face, François Bayrou incarne une forme de responsabilité. Courant mars, on le voit progresser en notoriété, en popularité et dans les intentions de vote », rappelle le directeur général adjoint d’Opinionway. La progression de François Bayrou occasionne une baisse des intentions de vote à l’égard de Ségolène Royal, et un tassement pour celles de Nicolas Sarkozy. « Celui-ci va reprendre la main avec sa proposition de ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, qui réactive le clivage gauche droite. En face, Ségolène Royal invoque le vote utile en agitant le souvenir du 21 avril 2002. Finalement, François Bayrou se retrouve pris entre le marteau et l’enclume. Il marque le pas… ». En avril, le tableau final est fixé dans les sondages.

Cette élection marque également un revers important pour Jean-Marie Le Pen. Cinq ans après avoir accédé au second tour, le fondateur du Front national termine à la quatrième position, avec 10,44 % des suffrages exprimés, alors que les sondages qui paraissent durant le mois précédent le scrutin le créditaient de 12 à 16 % des suffrages. « Les sondeurs lui ont peut-être accordé une attention particulière, dans la crainte de voir se reproduire ce qui s’était passé en 2002 ». Quitte a surestimer le poids du Menhir.

Ce que disaient les sondages deux mois avant le premier tour : Ségolène Royal : 29 % - Nicolas Sarkozy : 28 % - François Bayrou : 17 % (sondage CSA du 21 février 2007)

Résultats définitifs : Nicolas Sarkozy : 31,18 % - Ségolène Royal : 25,87 % - François Bayrou : 18,57 %

2002 : l’inversion des courbes que les sondages n’ont pas vu venir

2002, ou le séisme de l’accession au second tour de l’extrême droite, qu’aucun sondage n’a été capable d’anticiper. D’autant que Jean-Marie Le Pen doit faire face à la candidature dissidente de l’ancien numéro 2 du FN, Bruno Mégret. Sans surprise, les enquêtes d’opinion installent dès 2001 un duel Chirac-Jospin. Le socialiste avait déjà affronté le fondateur du RPR en 1995, et à cette époque, jamais un président sortant n’avait encore renoncé à se présenter. Dans les sondages, Jacques Chirac bénéficie d’une avance plus ou moins large sur son Premier ministre, de 0,5 à 7 points. « Ce duel était présenté comme inéluctable, mais on observe qu’il ne satisfaisait pas les électeurs. Il y a eu, au cours de la campagne, un moment Arlette Laguiller puis un moment Olivier Besancenot », observe Frédéric Michaux. « Pour les commentateurs, cet affrontement ne pouvait pas ne pas se produire. Le clivage gauche droite apporte un certain confort intellectuel, parce qu’il est très structurant. En vérité, la politique produit aussi de la nouveauté ».

Une nouveauté paradoxalement incarnée par un candidat de 74 ans, présent dans la vie politique depuis les années 1950 ; Jean-Marie Le Pen franchit pour la première fois le cap des 10 % dans une enquête CSA réalisée les 3 et 4 janvier. Sa progression accélère nettement en avril, dans les toutes dernières semaines de la campagne, à la faveur d’une série de faits divers qui donnent un écho particulier à l’un des grands thèmes de la campagne, cheval de bataille du candidat frontiste : la sécurité. « C’est une autre nouveauté de ce scrutin, pour la première fois la thématique sécuritaire s’impose sur le chômage et le pouvoir d’achat », note Frédéric Micheau. Un dernier sondage BVA donne Jean-Marie Le Pen à 14 % le 18 avril. Un score en théorie insuffisant pour lui ouvrir les portes du second tour puisque, selon cette étude, Lionel Jospin et Jacques Chirac restent largement en tête avec 18 % et 19 % des intentions de vote. Les deux favoris ont perdu des voix au cours du mois écoulé, du même coup leur écart s’est sensiblement resserré.

Ce que disaient les sondages deux mois avant le premier tour : Jacques Chirac : 25 % - Lionel Jospin : 23 % - Jean-Pierre Chevènement : 10 % - Jean-Marie Le Pen : 7 % (sondage Ifop des 21 et 22 février 2022)

Résultats définitifs : Jacques Chirac : 19,88 % - Jean-Marie Le Pen : 16,86 % - Lionel Jospin : 16,18 %

« Il y avait moins de 200 000 voix de différence entre Lionel Jospin et Jean-Marie Le Pen. C’est un écart extrêmement faible. Cette marge d’erreur est indétectable pour n’importe quel outil statistique », défend notre sondeur, qui dresse un parallèle entre la campagne de 2002 et celle de 2022. Il s’agit de campagnes de réélection pour le président sortant, dont l’adversaire a déjà été désigné par les commentateurs, Lionel Jospin dans un cas, Marine Le Pen dans l’autre. Enfin, la plupart des candidats en lice ont déjà candidaté plusieurs fois. « Les électeurs sont à la recherche d’une certaine nouveauté. Valérie Pécresse n’a jamais été candidate, mais elle est présente dans la vie politique depuis plusieurs décennies… Ce qui explique aussi l’effet de curiosité suscité par Éric Zemmour ou, dans une moindre mesure, Fabien Roussel ».

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