A Haubourdin, des municipales au goût amer face aux suppressions d’emplois chez Cargill

A Haubourdin, des municipales au goût amer face aux suppressions d’emplois chez Cargill

A Haubourdin, près de Lille, la moitié des 315 emplois de l’usine Cargill va être supprimée. Un coup dur pour la dernière usine de cette cité à tradition ouvrière. De quoi marquer les élections municipales. La mairie soutient les grévistes, comme toute la ville qui « fait corps ».
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Pas de ciel bleu ce matin à Haubourdin. Peu de passage aussi, rue Léon Gambetta. Quelques camions remontent de temps en temps la rue qui longe l’usine Cargill. Ils entrent dans l’immense site d’où dépassent de grandes cheminées. L’épaisse fumée blanche qui en sort se confond avec le ciel bouché. Ton sur ton. La couverture nuageuse porte bien son nom. Il pleut et ça ne s’arrête pas.

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L'usine Cargill d'Haubourdin, où 183 emplois devraient être supprimés (photo : François Vignal)

L’église Saint-Maclou, couverte de briques typiques de la région, fait face à l’entrée de l’entreprise. Dans cette commune de 15.000 habitants, située au sud de Lille, l’usine est intimement liée à la vie locale. Elle existe depuis 1856 et se situe au cœur de la ville.

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Au fond, l'église d'Haubourdin, à droite, l'usine Cargill (photo : François Vignal)
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183 emplois supprimés alors que Cargill fait 2,5 milliards d’euros de bénéfices

Au pied de l’église, les restes d’une banderole trahissent le calme apparent. Car les salariés de l’usine sont en lutte. Le 21 novembre dernier, ils apprennent la nouvelle. Brutale, sourde. 183 emplois, sur les 315 que compte l’usine, vont être supprimés (et 19 créés). Un simple communiqué en guise de faire-part. Personne n’a vu venir le coup. « Une semaine avant l’annonce du plan de sauvegarde de l’emploi, le maire était reçu par la direction, qui avait dit que tout allait bien », raconte Bastien, qui travaille ici, « c’était caché ».

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Devant l'église, Banderole dénonçant le licenciement d’un salarié de Cargill (à gauche). Rue de Haubourdin (à droite).

L’usine Cargill a deux activités : l’extraction d’amidon à partir du maïs, transporté par camion du sud de la France, et la transformation de l’amidon. C’est la première activité qui va être supprimée. La faute notamment à la concurrence des pays de l’Est, selon la direction, qui affirme que l’usine est déficitaire. « Faux. L’usine est profitable. Selon le cabinet d’expert-comptable mandaté par le comité social et économique, elle a fait 5,9 millions d’euros de bénéfices en 2019 » soutient Dorian Vallois, 43 ans et délégué syndical CGT de Cargill. On le croise devant l’entrée principe, avant une réunion pour examiner le PSE. Les syndicats se battent. Il y aura peut-être un peu moins d’emplois supprimés. La pilule passe d’autant plus mal que le groupe, un géant américain de l’agroalimentaire qui emploie 155.000 personnes dans 70 pays, fait des bénéfices au niveau mondial. Beaucoup. 2,56 milliards de dollars en 2019.

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Dorian Vallois, délégué syndical CGT de Cargill.

« On a le soutien de la mairie dans la grève »

Depuis l’annonce, la grève illimitée a été décrétée – elle est épisodique en réalité, pas tenable sinon – des piquets de grève ont été installés, l’usine a été bloquée. « On a le soutien de la mairie, qui nous a apporté du café, de la nourriture » raconte Dorian Vallois, « ainsi que des commerçants ». En réalité, c’est toute la cité qui soutient son usine. C’est la dernière. « Toute la ville fait corps », confirme le syndicaliste. Et si ce membre de la CGT voit le maire « plutôt à droite », son soutien est bienvenu. « La mairie a mis à notre disposition une salle pour tenir nos assemblées générales, quand la direction n’a plus voulu qu’on le fasse à la cantine » raconte Lionel, en poste depuis 6 ans.

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Ce contexte aura-t-il un effet sur les élections municipales du 15 et 22 mars ? Le maire sortant, Pierre Béharelle, se représente sans étiquette. Il a succédé en mai dernier, en cours de mandat, au maire Bernard Delaby, classé divers droite. Il a en face de lui un candidat LR, Tigran Arakelian, et la communiste Nathalie Capy.

« Il y a une mémoire ouvrière ici »

L’usine, c’est souvent une affaire de famille, à Haubourdin. « Mon père y était aussi », raconte Dorian Vallois, « c’était une usine familiale. Il y a une mémoire ouvrière ici ». « Il y a un esprit ouvrier à Haubourdin » confirme Xavier Watterlot, trempé par la pluie discontinue. Il attend des municipales « du boulot », même si la mairie ne peut rien faire face à la fermeture. Lui aussi, son « père a fait toute sa carrière au maïs », comme on appelle l’usine ici. Il pense à « tous ces ouvriers qui ont des crédits pour leur maison, des femmes et des enfants », et qui vont se retrouver sur le carreau. Regardez Xavier Watterlot, devant l’entrée de l’usine :

Témoignage de Xavier Watterlot sur la situation à Haubourdin avant les municipales
01:44

« Ça fait 35 ans que j’habite devant cette usine. Ça fait partie d’Haubourdin »

Charline Snykerque
Charline Snykerque habite à côté de l'usine Cargill (photo : François Vignal)

Charline Snykerque, retraitée de 65 ans, passe à son tour devant l’entrée du site. « Ça fait 35 ans que j’habite devant cette usine. Ça fait partie d’Haubourdin » dit cette ancienne de l’entreprise de textile DMC, à Loos. « J’y ai travaillé comme ouvrière bobineuse. Je faisais des bobines de fils ». L’usine est aujourd’hui fermée. Son père, lui, travaillait de l’autre côté du canal, à l’usine Lever d’Haubourdin. 435 salariés y fabriquaient de la lessive. Là aussi, l’usine est fermée en 2000 par la multinationale Unilever. Une autre lutte qui a marqué les esprits. Aujourd’hui, tout a été rasé. Il reste une friche industrielle à nu. Et des souvenirs, une mémoire collective.

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L'usine Cargill vue depuis la friche de l'usine Lever, à Haubourdin (photo : François Vignal)
Friche de l'usine Lever, à Haubourdin
Friche de l'usine Lever, à Haubourdin.

Un grand parapluie rouge approche. Et avec, un autre son de cloche. « Cargill ? Ceux qui ont mis le bazard, c’est la CGT, comme d’habitude » lance ce chef d’une petite entreprise de la commune, créée il y a 10 ans. Il ne souhaite pas donner son nom. « De toute façon, on ne travaille plus à vie dans le même métier » ajoute-t-il. Un salarié de Cargill est d’ailleurs venu le voir pour une reconversion. Le 15 mars, ce chef d’entreprise compte bien voter. Ce sera pour le maire sortant. Il n’est pas surpris qu’il soit sans étiquette : « Il ne vaut mieux pas en avoir. Ce ne sont pas des enjeux nationaux. Ça fait longtemps qu’on ne voit plus les logos des partis aux municipales ! »

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« La ville est morte »

On quitte les abords de l’usine Cargill pour s’approcher du « centre », c’est-à-dire la mairie. Flambant neuve et d’architecture moderne, elle tranche. En face, deux personnes attendent malgré la pluie leur barquette devant « la Friterie de la mairie ». Autour, quelques commerces, surtout des banques.

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La mairie d'Haubourdin, les panneaux électoraux, le bar-tabac La Rotonde avec au fond l'usine Cargill, et une baraque à frites (photos : François Vignal).

« La ville est morte » dit lui-même l’un des commerçants, « il n’y a plus grand-chose ». Une cliente confirme. « Maintenant, il n’y a plus que des banques et des agences immobilières » dit cette Haubourdinoises – « je suis né, j’habite et je vis ici ». Le lot de nombreuses villes moyennes. Elle se souvient : « Quand j’étais petite, la rue Gambetta, c’était plein de commerces partout. Le dimanche, on se promenant avec ma mère, on allait chercher une frite et on regardait les vitrines. Maintenant, se promener et regarder les maisons à vendre… »

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« Mais tu sais ce que c’est le 49.3 ? »

En face de la mairie, on ouvre la porte de La Rotonde, un café-tabac. A droite, devant les cigarettes, le loto. Au fond, deux hommes suivent le PMU sur un écran. L’un d’eux lève son verre vide. « Une Jupiler s’te’plaît ! » Karl, 22 ans, est bien accoudé au bar. Il va voter pour ces municipales, mais il n’attend « rien de particulier ». Le sourire facile, Karl est né ici et travaille depuis l’âge de 18 ans. En 2017, il a voté Mélenchon au premier tour, Le Pen au second, « pour ne pas voter Macron ». Il dit : « Il y a le Coronavirus, tout le monde se focalise et il sort le 49.3 sur les retraites. Ce n’est pas bien passé pour un tas de monde ». Michel, 52 ans, intervient dans la conversation, sa bière à la main : « Mais tu sais ce que c’est le 49.3 ? » « C’est un Président qui passe une loi sans l’avis des députés. C’est, "vous pouvez dire ce que vous voulez, je m’en tape" ».

Karl, 22 ans
Karl, 22 ans (photo : François Vignal).

Michel n’aime pas Macron non plus. « Je suis FN à 3.000% ! » tonne-t-il, « j’ai qu’une grosse peur : que Macron repasse ». « Je ne suis pas raciste » précise-t-il aussitôt. Il continue : « Si tu t’appelles Ben Ali, que t’as trois gosses, t’as un logement en trois semaines. Mois, je suis dans un logement dégueulasse, tout moisi, j’ai 52 ans, seul. Je ne serai jamais prioritaire ». Il raconte sa vie heurtée : la marine à 17 ans, plus tard un restaurant qui fera faillite, huissiers sur le dos, sa femme qui le quitte, « je me suis retrouvé comme un clochard ». Il n’est pas sûr de voter aux municipales. « J’arrive plus à y croire ».

Michel, 52 ans
Michel, 52 ans (photo : François Vignal).

Johnny Halliday, Piaf, fléchettes et petit blanc

Dans les haut-parleurs, Johnny Halliday s’égosille sur l’Hymne à l’amour de Piaf. On joue aux fléchettes au bout du bar. Au fond à gauche sur une banquette, deux femmes aux cheveux blancs enchaînent les jeux à gratter, avec un verre de blanc. C’est leur petit plaisir, « tous les dix jours ». L’une d’elles explique ne pas avoir vraiment réfléchi pour qui voter mais elle ira. « Je n’ai jamais quitté Haubourdin » explique cette retraitée de 75 ans. Son mari a travaillé 35 ans chez Lever, elle était femme de ménage. Elle raconte :

Mon papa a travaillé à Cargill, ma maman aussi, mon grand-père aussi. C’était ouvrier ici, il y avait cinq-six usines. Maintenant, il n’y a plus rien.

Ses trois enfants sont partis. « Ils vont rester pour quoi faire ? » Elle reprend son grattage.

Tout le monde n’est pas négatif cependant. Devant l’école maternelle « Le petit prince », Elise, 35 ans, vient de déposer son enfant. Cette secrétaire se plaît à Haubourdin. « J’aime beaucoup la vie ici, c’est à la fois une petite ville et la campagne. Et on est juste à côté de Lille » souligne Elise.

Elise, 35 ans
Elise, 35 ans.

« Haubourdin s’est bien embelli depuis pas mal d’années », « les gens s’y sentent bien »

Un peu plus loin, devant le parc du jardin public, Ludwig partage cet avis. « Ça s’est bien embelli depuis pas mal d’années. (…) Beaucoup de choses se sont améliorées, les gens s’y sentent bien et beaucoup y sont restés. (…) c’est une ville assez calme et sécuritaire » dit ce conseiller en vente. Il se sent « plus concerné par les municipales que la présidentielle ». « On se raccroche à nos petites villes qui tiennent leur engagement » ajoute Ludwig sous son parapluie. « Ça fait 6 mois qu’il pleut ! » rigole-t-il. Regardez :

Témoignage de Ludwig sur la situation à Haubourdin (Nord) avant les municipales
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On continue sur la rue Sadi Carnot, l’artère principale. De la lumière sort du Nemrod, un autre café-tabac. « Ça va piquer dans quelques années, quand Cargill va vraiment fermer » dit Christian, le patron. « Ça fait 14 ans que je suis là, ça fait 14 ans que j’entends ça ». Mais malgré le climat ambiant, Christian n’oublie pas de garder le sourire. Sur une chaise, de drôles de vestes léopard pleines de badges sont posées. « C’est pour le Carnaval. Tous les week-ends, on est parti ! » se réjouit Christian. Direction cette fois Wormhout, près de Dunkerque, pour les « chahuts », « bandes » et autres « chapelles, quand on est invité chez les gens ». A Haubourdin, on ne perd pas le Nord.

Chrisitian et Pascal, surnommé
Christian et Pascal, surnommé « Kalou », se préparent pour le carnaval de Wormhout (photo : François Vignal)
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