« A l’avenir, l’opéra va de plus en plus s’inviter dans les foyers », prédit Alexander Neef

« A l’avenir, l’opéra va de plus en plus s’inviter dans les foyers », prédit Alexander Neef

Entretien avec Alexander Neef, directeur de l’Opéra de Paris.
Public Sénat

Par Rebecca Fitoussi avec Steve Jourdin

Temps de lecture :

10 min

Publié le

Vous sortez d’une période compliquée. Depuis le déconfinement, vous revivez un peu ?
La saison est terminée et nous avons pu faire deux mois de spectacles à partir de mi-mai, ce qui nous a permis de sauver les meubles. C’était une année très difficile, il a notamment fallu maintenir en forme les équipes artistiques. Mais notre objectif était de retrouver le public, et on est tous très heureux de l’avoir fait. Ça donne de l’énergie.


Vous avez senti que le souffle était revenu, à la fois du côté des artistes et du public ?
Le public est revenu dès la réouverture mi-mai, avec des jauges qui, comme vous le savez, étaient progressives. On a commencé par 35 pour cent d’une salle, puis 65, et les jauges ont disparu à partir de la fin juin. Je pense qu’il y a eu une petite hésitation autour du passe sanitaire, tout le monde n’a pas tout de suite compris comment l’appliquer.

Nous avons commencé à le mettre en place début juin, car nous avons de grandes salles, notamment à Bastia (2 700 places). Tout le monde s’y est habitué très vite. Avec le taux de vaccination qui augmente, les gens viennent plus facilement au théâtre.

Le passe sanitaire va être étendu par le gouvernement. On entend beaucoup d’inquiétude de la part de responsables d’instituts, de bars, de restaurants. Qu’est-ce que vous pouvez leur dire pour les rassurer ?

La situation n’est pas facile de manière générale. Pour nous, la question de la mise en place ou non du passe ne s’est pas vraiment posée, c’était la condition sine qua non pour pouvoir remplir la salle. Dans les faits, ça se traduit par davantage de travail pour les agents d’accueil. Il n’y a pas seulement Vigipirate et le contrôle de billets. A cela s’ajoute maintenant le contrôle sanitaire ainsi que le contrôle des pièces d’identité, car il faut bien prouver qu’il ne s’agit pas de n’importe quel passe sanitaire, mais bien du vôtre. Très souvent, le spectacle commence avec 10 ou 15 minutes de retard car on prend du temps à faire entrer le public dans la salle.

Est-ce que les consignes du gouvernement ont été assez claires ? Avez-vous été accompagné dans la mise en place du protocole ?

Nous avons été très aidés. On a beaucoup échangé avec le ministère de la Culture. Dans notre domaine, les saisons se construisent quatre ans avant. C’est donc très difficile de s’adapter à l’évolution quotidienne de l’épidémie.


Si on parle chiffres, avez-vous déjà une idée du coût économique de cette crise pour l’Opéra de Paris ?
J’aimerais vous répondre, mais malheureusement on sait que l’épidémie n’est pas terminée. Pour l’année 2020, l’Opéra a perdu presque 90 millions d’euros de recettes. On a fait des économies, de l’ordre de 45 millions d’euros, et reçu des aides de l’Etat à hauteur de 41 millions, ce qui nous a permis de nous en sortir. Des aides sont annoncées pour l’année 2021, et nous travaillons de notre côté à une meilleure maîtrise de nos dépenses.


Durant cette période compliquée, diriez-vous que le gouvernement a sauvé la culture ?

Nous avons été très soutenus, et pas seulement en matière d’aides financières. Soutenir la culture, à un moment où on ne peut pas donner de spectacles, c’est très compliqué. Il faut garder un lien avec le public. Tout ce qui a été fait sur le digital, c’est très bien. Mais à la fin, le vrai spectacle se passe en salle. Ce qui nous anime, c’est de voir une salle pleine. C’est vrai pour toutes les institutions du spectacle vivant.

Les artistes sortent-ils abîmés de cette crise ?

Tout le monde en sort fatigué, pas seulement les artistes. Je ne sais pas si on se sent abîmés, mais on est fatigués. Faire une saison, on sait faire, on en a l’habitude. Mais ne pas faire une saison normale, et surtout ne jamais savoir quand on pourra rouvrir, ça demande beaucoup d’énergie. On a tout fait pour que les artistes restent mobilisés. On a eu le droit de répéter, de préparer des spectacles. C’était essentiel pour le maintien de notre forme artistique.


Cette crise majeure va-t-elle selon vous déboucher sur une forme d’énergie créatrice ?

C’est une possibilité. On s’est posé beaucoup de questions pendant cette période. Nous avons questionné le rôle de l’artiste dans la société. Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelle est notre mission ? Ce sont des questions essentielles.


Il y aura un avant et un après pour vous aussi personnellement ?
C’est sûr. J’ai pris mes fonctions en pleine crise. Je suis arrivé en septembre dernier et tout le monde pensait que l’épidémie serait terminée à Noël. Elle est toujours là. Tenir la maison dans un moment si compliqué a été une expérience inédite dans ma carrière. On a l’habitude de gérer les incertitudes au théâtre, mais gérer une pandémie, c’est une nouveauté.

Essayons de se projeter quand même un peu. Qu’est-ce qui attend votre public pour septembre ?
Après la pause estivale, on reprend le 1er septembre avec un nouveau spectacle de Marina Abramovic sur Maria Callas, qui n’est ni un opéra, ni un ballet. C’est quelque chose entre les deux. Une performance d’une très grande artiste qui nous propose une réflexion sur la vie de Maria Callas. Il y aura aussi pas mal de reprises. La première nouvelle production c’est Œdipe, un opéra un peu oublié aujourd’hui, basé sur le drame de Sophocle. Il est question d’un roi dont la ville est frappée par la peste. On a programmé cette œuvre à un moment où on ne savait rien de la pandémie de covid.

 

Vous diriez que ce sont des œuvres accessibles auxquelles un public pas forcément habitué à aller à l’opéra pourrait être réceptif ?
Je crois qu’il y a effectivement des œuvres qui sont plus difficiles d’accès que d’autres. Mais pour les non-initiés, il ne faut surtout pas avoir peur. A la base, les histoires que raconte l’opéra sont très simples. Il est question d’amour, de mort, de haine, d’amitié. C’est autour des grands thèmes de la condition humaine que se construit notre projet. Je dis toujours aux publics qui n’ont pas l’habitude de venir nous voir de ne pas se préparer avant le spectacle. Je pense que le premier contact avec une œuvre d’art doit se faire par l’émotion. L’émotion que transporte la musique doit être la porte d’entrée.

 

Vous faites des choses pour que l’opéra ne soit plus réservé à une élite. Gustavo Dudamel a été nommé directeur musical. Sa mission : rendre l’opéra accessible à un plus large public…

Gustavo Dudamel incarne cette ouverture. C’est un très grand chef. Il nous rejoint à partir de septembre et on en est très heureux. C’est quelqu’un qui croit profondément que la musique a une mission dans la société, que les œuvres racontent quelque chose sur nous et qu’elles nous permettent de mieux comprendre qui nous sommes. L’art et la vie sont une seule et même chose.

L’opéra, ce n’est pas uniquement la musique classique. Il y a aussi du hip-hop, de la culture urbaine, de la diversité…
Je pense que la diversité a un rôle très important. Il ne s’agit pas uniquement de diversifier nos publics, il faut que cette diversité se retrouve aussi au niveau des artistes et des interprètes.

L’opéra reste malgré tout un peu élitiste. C’est compliqué de démocratiser la pratique ?

C’est un défi. Mais je crois profondément que les œuvres sont ouvertes à tout le monde. Il y a beaucoup de mystère autour de la réception d’une œuvre. Il faut franchir la barrière d’entrée, qui est avant tout culturelle. Dans cette perspective, on crée des spectacles avec des artistes du 21ème siècle pour un public du 21ème siècle. L’opéra n’est pas un musée, ce n’est pas une école non plus. Il s’agit d’un lieu de spectacle vivant. On invite les gens à découvrir, à se promener, selon leurs propres règles.

Beaucoup de gens pensent que les places à l’opéra sont hors de prix…
Pour les deux théâtres Bastille et Garnier, les prix commencent autour de 15 euros. Nous avons de très belles offres pour les jeunes et pour les familles. Les places peuvent ensuite aller jusqu’à 200 euros, mais on fait tout pour offrir un maximum de places en dessous de 100 euros, car cela fait partie de notre mission de service public. Mais compte tenu de notre modèle économique, nous avons l’obligation de ramener 75 millions d’euros par an.


Et si on ne vient pas à l’opéra, l’opéra peut venir à vous… Vous avez créé une plateforme pour rendre l’opéra accessible à tous depuis chez soi, à prix réduit, en direct ou en replay. Ça a bien marché ? Est-ce que la formule va continuer ?
Ça va absolument continuer. C’est quelque chose qu’on a lancé un peu à l’improviste au mois de décembre, à cause du confinement qui était prolongé. On avait plutôt en tête de la lancer au printemps ou même à l’automne. Mais on s’est dit qu’il fallait vraiment créer cette présence, établir ce lien avec le public. On l’a lancé avec un direct du palais de La Bayadère le 13 décembre. Ça a été un succès formidable.
On a ensuite fait plein d’autres captations au cours de la saison. On a mis en ligne nos archives, nos concerts, et des projets de notre académie qui forme des jeunes artistes. Il y en a vraiment pour tous les goûts.

Et cela a permis de toucher un nouveau public ?

Il y a beaucoup de gens, surtout des familles, qui se sont fait une soirée devant la télé en regardant un opéra ou un ballet. Cela nous a effectivement permis d’élargir notre public. On donne environ 400 spectacles par an dans les grandes salles, mais on a atteint un plafond. On ne peut pas donner plus de spectacles tout public. Du coup, l’idée de sortir de nos salles de manière virtuelle, grâce au digital, pour atteindre davantage de gens, est très intéressante. A l’avenir, l’opéra va de plus en plus s’inviter dans les foyers.

Dans la même thématique

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
6min

Politique

Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : « Il se pose en sauveur de sa propre majorité, mais aussi en sauveur de l’Europe »

Le chef de l'Etat a prononcé jeudi 25 avril à la Sorbonne un long discours pour appeler les 27 à bâtir une « Europe puissance ». À l’approche des élections européennes, son intervention apparait aussi comme une manière de dynamiser une campagne électorale dans laquelle la majorité présidentielle peine à percer. Interrogés par Public Sénat, les communicants Philippe Moreau-Chevrolet et Emilie Zapalski décryptent la stratégie du chef de l’Etat.

Le

Paris : Speech of Emmanuel Macron at La Sorbonne
11min

Politique

Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : on vous résume les principales annonces

Sept ans après une allocution au même endroit, le président de la République était de retour à La Sorbonne, où il a prononcé ce jeudi 25 avril, un discours long d’1h45 sur l’Europe. Se faisant le garant d’une « Europe puissance et prospérité », le chef de l’Etat a également alerté sur le « risque immense » que le vieux continent soit « fragilisé, voire relégué », au regard de la situation internationale, marquée notamment par la guerre en Ukraine et la politique commerciale agressive des Etats-Unis et de la Chine.

Le

Police Aux Frontieres controle sur Autoroute
5min

Politique

Immigration : la Défenseure des droits alerte sur le non-respect du droit des étrangers à la frontière franco-italienne

Après la Cour de Justice de l’Union européenne et le Conseil d’Etat, c’est au tour de la Défenseure des droits d’appeler le gouvernement à faire cesser « les procédures et pratiques » qui contreviennent au droit européen et au droit national lors du contrôle et l’interpellation des étrangers en situation irrégulière à la frontière franco-italienne.

Le

Objets
4min

Politique

Elections européennes : quelles sont les règles en matière de temps de parole ?

Alors que le président de la République prononce un discours sur l’Europe à La Sorbonne, cinq ans après celui prononcé au même endroit lors de la campagne présidentielle de 2017, les oppositions ont fait feu de tout bois, pour que le propos du chef de l’Etat soit décompté du temps de parole de la campagne de Renaissance. Mais au fait, quelles sont les règles qui régissent la campagne européenne, en la matière ?

Le