Abstention aux régionales : la piste du vote à distance pour sauver la démocratie ?

Abstention aux régionales : la piste du vote à distance pour sauver la démocratie ?

Marqué par une abstention record de plus de 66 %, le premier tour des élections départementales et régionales interroge nos pratiques démocratiques. Le vote à distance est-elle la solution pour réconcilier les Français avec le scrutin ? C’est la petite musique qui monte depuis dimanche soir. Le Sénat a planché sur la question.
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Le premier tour des élections régionales a été marqué par un taux d’abstention record, 66,74 %. Inquiétant pour la démocratie et plus particulièrement pour les deux grands perdants de la soirée, le Rassemblement National et La République en Marche, soit le duel annoncé pour l’élection présidentielle. Marine Le Pen et ses cadres ont exhorté leurs partisans « à un sursaut » dimanche prochain les appelant même à « déconfiner » leurs idées pour « redresser le résultat de ce premier tour ».

Sans illusion sur les chances de victoire des candidats pour le second tour, le délégué général de La République en Marche, Stanislas Guerini voit déjà plus loin et évoque un nouvel outil pour se prémunir d’une aussi faible mobilisation aux prochaines échéances électorales. « Il faut maintenant se donner tous les moyens. La République en Marche avait dit les choses clairement sur le vote par Internet. Moi, je souhaite qu’on puisse le mettre en place dès le prochain quinquennat. Ça fait aussi partie des enjeux démocratiques », a-t-il déclaré sur France Inter.

Ce n’est pas la première fois que la question du vote à distance (électronique ou par correspondance) revient dans le débat public. La crise sanitaire en mars 2020, le report du second tour des élections municipales, le risque de voter en présentielle, a poussé les responsables politiques à réflechir à de nouvelles modalités de vote.

Auditionné par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, le 4 juin 2020, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner avait temporisé une réforme des modalités du vote, renvoyant après le second tour des municipales, le 28 juin, pour ouvrir la réflexion au sein d’un groupe de travail de l’Assemblée nationale. « Le parti du Modem y est attaché, sinon ce n’est pas un sujet sur lequel il y a une forte sollicitation », avait-il souligné en se montrant plus favorable à un vote électronique que par correspondance. Lors d’un échange téléphonique entre Emmanuel Macron et François Bayrou dimanche soir, le patron du Modem n’a pas manqué de rappeler qu’il avait plaidé récemment pour le retour du vote par correspondance.

Vote par Internet subordonné « à une question de sécurité technique »

Au Sénat, une mission d’information intitulée « Le vote à distance, à quelles conditions ? » présidée par le patron de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet, avait été mise en place en novembre.

« La crise sanitaire conduit inévitablement à nous interroger sur nos pratiques démocratiques », posaient en préambule les membres de la mission qui constataient que le report du second tour « n’avait pas permis de juguler l’abstention » au second tour des municipales : 55,34 % contre 36,45 % en 2014. Contacté par publicsenat.fr, François-Noël Buffet rappelle sa préférence pour le vote électronique plutôt que le vote par correspondance même s’il est subordonné « à une question de sécurité technique ». « Nous avions auditionné les membres du ministère de la transformation et de la fonction publiques et la direction interministérielle du numérique (DINUM), qui nous avaient expliqué que ce n’était pas possible de généraliser une identité numérique sécurisée pour chaque citoyen d’ici les prochaines échéances électorales », rappelle-t-il.

Le vote par Internet est, en effet, peu répandu dans le monde. Selon le rapport du Sénat, on le trouve en Estonie pour les élections locales et législatives, dans certaines municipalités du Canada. La Suisse l’a abandonné en 2019. Des expérimentations ont été menées sans certains Etats américains avant d’être abandonné en raison de failles de sécurité.

« Le vote électronique ne résoudra pas à lui seul le problème de l’abstention qui s’aggrave en raison d’un manque de crédibilité de l’action publique, et d’un destin collectif qui n’est pas porté », souligne d’ailleurs le sénateur du Rhône. En revanche, le président de la commission des lois, se montre très réservé sur les bienfaits du vote correspondance, trop compliqué à mettre en place et qui nécessiterait, selon lui, de revoir l’ensemble des procédures électorales, le calendrier entre les deux tours, ou encore la sécurisation des voies d’acheminement des plis.

« Le Sénat aurait pu être à l’origine d’un électrochoc démocratique », regrette Éric Kerrouche

De quoi hérisser le poil d’Éric Kerrouche, le Monsieur vote par correspondance du Sénat. Fort de cinq propositions de loi dont deux organiques et une trentaine d’amendements sur le sujet, le sénateur PS est intarissable sur le vote par correspondance. « On a tout essayé, le vote par correspondance, le vote par anticipation, le vote sur trois jours, pour les élections locales, pour l’élection présidentielle… Tout a été refusé par le gouvernement et par la majorité sénatoriale de droite. Si la mission d’information avait eu un peu plus de courage, le Sénat aurait pu être à l’origine d’un électrochoc démocratique », s’agace-t-il en regrettant qu’une expérimentation du vote à distance n’ait pas eu lieu pour les élections départementales et régionales. C’était d’ailleurs l’objet de sa dernière proposition de loi déposée en fin d’année dernière (voir notre article).

Le vote par correspondance postale est pourtant pratiqué dans d’autres pays comme l’Allemagne, l’Australie, les États-Unis, la Suisse et l’Espagne ou encore le Royaume-Uni. En France, ce dispositif n’existe plus dans l’Hexagone depuis une loi de 1975 visant à lutter contre la fraude électorale. Ce texte remplace le vote par correspondance par le vote par procuration.

La dernière proposition de loi tentait également de répondre aux problèmes de sincérité du scrutin et d’équité devant le vote, que pose le vote par correspondance, car l’électeur, au moment de son vote n’est pas soumis aux mêmes informations. « Les votes par correspondance n’étaient pris en compte qu’à la fin des opérations de vote. Ce qui permettait éventuellement à l’électeur de changer d’avis et d’aller voter en présentiel le dimanche », rappelle-t-il.

Le sénateur socialiste, est par ailleurs, farouchement opposé au vote électronique. « La sécurisation du vote est impossible par Internet et dès lors qu’il y a une intermédiation, il y aura suspicion », juge-t-il.

Pour mémoire, le vote électronique, est la voie dans laquelle avait tenté de s’engouffrer, très maladroitement, le gouvernement en février dernier lors de l’examen d’un projet de loi organique sur l’élection présidentielle. Avec un amendement déposé à la dernière minute, l’exécutif souhaitait rendre possible le vote par anticipation en 2022, via des machines à voter (voir notre article).

« J’entends ceux qui disent que la démocratie, ce n’est pas un driving. Mais un système politique doit fonctionner avec les pratiques sociales de son époque. Les modes de vie ont changé », appuie une dernière fois Éric Kerrouche.

Le patron d’Orange, Stéphane Richard, le rejoint en partie dans cette analyse. « Face à l’abstention massive, un chantier urgent s’impose : la modernisation du vote. Vote par correspondance, vote électronique sécurisé : notre démocratie doit s’adapter à nos vies d’aujourd’hui, en restant irréprochable ! », a-t-il tweeté.

 

 

 

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