Abstention : « Cela devient une caractéristique majeure du système français, c’est structurel », selon la Fondation Jean Jaurès

Abstention : « Cela devient une caractéristique majeure du système français, c’est structurel », selon la Fondation Jean Jaurès

Face à une démocratie mise « en péril » par l’abstention, la Fondation Jean Jaurès a publié ce vendredi une étude sur les causes, mais aussi les solutions à apporter au « désengagement massif » des Français.
Public Sénat

Par Nithiya Paquiri

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On l’avait anticipée, on l’attendait comme l’une de ces secousses auxquelles notre système politique se serait presque habitué, et ce fut finalement un séisme. Avec ses 67,72 %, l’abstention au premier tour des élections régionales atteint un record. Et pousse à la réflexion.

Dans son étude publiée ce vendredi, la Fondation Jean Jaurès alarme sur une « mise en péril » de la démocratie tout en s’interrogeant sur les causes d’une telle crise de son exercice.

Selon ces conclusions, le très sobrement nommé « Grand retrait », apparaît surtout comme une tendance de fond qui s’accentue depuis plusieurs décennies, notamment concernant les élections locales, « les plus affectées par ce reflux très net de la participation politique conventionnelle ». A titre d’exemple, l’abstention aux régionales a été multipliée par 3 depuis 1986 où elle s’établissait autour de 22 %. Et si quelques sursauts d’intérêt pour ce scrutin sont à noter en 2004 et 2015, force est de constater qu’il ne mobilise plus.

« Une gangrène qui mine la légitimité des représentants politiques »

D’après les auteurs de l’étude, Antoine Bristielle et Tristan Guerra, respectivement directeur et membre de l’Observatoire de l’opinion de la fondation, l’abstention devient « une gangrène qui mine directement la légitimité des représentants politiques ». Mais alors, y aurait-il un risque pour que cette dynamique s’établisse au point de ne plus étonner ?

« Est-ce une tendance qui s’installe ? Oui. Est-ce que cela s’aggrave ? Oui, également. » Contacté par publicsenat.fr, Antoine Briestelle est catégorique. « On a gagné 16 points d’abstention depuis les dernières régionales en 2015. Et ce qui inquiète c’est que cela se matérialise dans toutes les élections sauf l’élection présidentielle, qui se stabilise autour de 20 % d’abstention. » On serait peut-être là face à un tournant, tant la situation devient insolite. « Aujourd’hui ce qui nous frappe », analyse Antoine Briestelle, « c’est qu’on avait anticipé cette abstention mais pas son taux. L’abstention on avait commencé à l’accepter, quand elle restait autour de 40-50 %. Ce qui met cette question sur le devant de la scène, c’est que l’on se retrouve face à des éléments presque ridicules : il y avait plus de monde devant la télévision le soir des élections qu’aux urnes ! C’est dire le problème de cohésion politique auquel on fait face. » Quant à trouver une explication conjoncturelle, qui expliquerait le manque de mobilisation face aux urnes par la crise sanitaire, le directeur de l’Observatoire de l’opinion de la fondation Jean Jaurès s’y refuse : « Certes le covid-19 a encouragé certains à se concentrer davantage sur le privé que sur les enjeux politiques. Mais c’est tellement ancré que ça en devient une caractéristique majeure du système français, c’est clairement structurel. «

 

Des institutions en décalage avec les aspirations citoyennes

 

Bien sûr quelques logiques sociales se dégagent de la masse des abstentionnistes, les jeunes - 16 % des 18-24 ans et 19 % des 25-34 ans se sont déplacés lors de ce premier tour - les classes populaires, les femmes, ont été moins nombreux à se rendre aux urnes. Des groupes finalement « forts différents » que l’on ne saurait véritablement rassembler sous un même profil, et au sein desquels on ne pourrait identifier les causes précises d’une telle démobilisation.

Antoine Briestelle et Tristan Guerra voient toutefois se dessiner deux catégories d’abstentionnistes : celles de la France qui se révolte, en majorité masculine, modeste, séduite par les extrêmes de gauche ou de droite, et celle, plutôt jeune, de classe moyenne ou supérieure, électrice d’Emmanuel Macron en 2017, désabusée par la politique Pour autant, cette hétérogénéité ne sauraient masquer une volonté commune des citoyens à « exercer plus directement le pouvoir politique », selon la Fondation Jean Jaurès. Un tournant démocratique qui ne peut s’appliquer sans une plus grande vigilance à l’égard des activités de nos représentants comme le rappellent les auteurs de l’étude. « Ce n’est pas aux citoyens de s’adapter aux institutions politiques telles qu’elles existent », « mais c’est bien à ces institutions de s’adapter aux aspirations et à l’expression des citoyens d’aujourd’hui ».

Et de toute évidence, à s’en tenir aux élections de dimanche dernier, c’est le débat politique qui est à questionner, plus que l’intérêt des Français pour leur région. « Ce n’est pas un désintérêt pour les élections locales qui s’est exprimé », souligne Antoine Briestelle. « Tout simplement, car l’on n’a pas parlé d’enjeux régionaux au cours de la campagne. Celle-ci a été axée sur les problématiques politiques des partis, des candidats, en vue de la présidentielle. Et ce sont autour des questions sécuritaires que s’est cristallisé le débat. Finalement, les électeurs ne connaissaient ni les raisons de leur vote, ni son impact. »

 

Le vote à distance, « une alternative technique insuffisante »

 

En raison de cette dynamique globale qui s’exprime élections après élections, les élus sont ainsi invités à « prendre conscience des limites du système politique actuel » et s’engager vers une révision du calendrier électoral -coupler les législatives et la présidentielle, par exemple - et du mode de scrutin. Dans leur étude, les experts de la Fondation Jean Jaurès proposent quelques « pistes pour que les citoyens renouent avec les urnes ». « Il peut s’agir de prévoir des mécanismes de vote supplémentaires », on pense alors au vote à distance, par correspondance ou électronique, solutions plusieurs fois évoquées et discutées au Sénat.

La crise sanitaire et le report du second tour des élections municipales au printemps 2020, avaient ainsi initié la réflexion autour de nouvelles modalités de vote. Le 4 juin 2020, le ministre de l’intérieur de l’époque Christophe Castaner avait même été entendu sur cette question dont il avait différé une éventuelle réforme, après le second tour. Un groupe de travail avait alors été constitué à l’Assemblée Nationale. Surtout, en novembre dernier une mission d’information présidée par François-Noël Buffet, sénateur LR du Rhône, avait vu le jour sous le nom « Le vote à distance, à quelles conditions ? » (lien 2). Le sénateur PS Éric Kerrouche avait à la même époque déposé une proposition de loi en vue de profiter des élections départementales et régionales pour tester le vote à distance, mais s’était heurté à de multiples refus.

Si le débat refait surface suite aux élections du 20 juin dernier, le vote à distance n’est pas la solution d’après l’étude de la Fondation Jean Jaurès. « Il faut être conscient que ces mécanismes ne sont absolument pas un remède miracle à l’abstentionnisme de masse », mettent en garde ses auteurs. Interrogé à ce sujet, Antoine Briestel explique ainsi ses réticences : « Le vote par correspondance ne ferait qu’accroître les inégalités de participation. Faire ce choix, ce serait finalement permettre aux plus motivés de mieux pouvoir participer aux élections. »

Le chercheur en sciences politiques milite plutôt pour « ‘une réforme globale d’une plus grande importance » en adéquation avec les autres formes de participations citoyennes que sont « les mouvements, les pétitions, les marches, comme celles pour le climat, qui mobilisent davantage les plus jeunes ». De quoi entièrement repenser nos rapports aux institutions.

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