Accord sur la pêche : « Les Britanniques jouent l’entourloupe », avertit Didier Marie

Accord sur la pêche : « Les Britanniques jouent l’entourloupe », avertit Didier Marie

Alors que Bruxelles vient de valider le plan de soutien à 100 millions d’euros du gouvernement pour venir en aide à la filière, la question des licences reste, elle, toujours en suspens.
Public Sénat

Par Jules Fresard

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Garder la tête hors de l’eau. Plus que jamais en cette période où les effets du tant redouté Brexit commencent à devenir concrets, c’est la lutte dans laquelle se sont engagés les pêcheurs français du nord-ouest de l’hexagone. Dernier exemple en date ? L’opération filtrage menée à Boulogne-sur-Mer, visant à empêcher le passage des camions transportant des prises britanniques. Le message véhiculé est limpide. Vous ne voulez pas que l’on vienne pêcher dans vos eaux ? Et bien nous ne voulons pas de votre poisson. « Face à l’attitude des Britanniques, la colère des pêcheurs est légitime », estime Catherine Morin-Desailly, sénatrice centriste de Seine-Maritime.

Car depuis que Bruxelles et Londres sont arrivés in extremis à un accord sur la pêche le 24 décembre 2020, le royaume de Sa Majesté freine des quatre fers pour que les termes qu’il prévoit entrent pleinement en disposition. Sur le papier, le pire semblait pourtant avoir été évité. Il est stipulé que les pêcheurs européens œuvrant dans les eaux britanniques doivent renoncer à 25 % de leurs prises, contre 80 % réclamés au départ par Boris Johnson. En contrepartie, ces mêmes pêcheurs européens doivent, s’ils souhaitent toujours accéder aux ressources halieutiques du Royaume-Uni, se faire délivrer par Londres une licence, obtenue en prouvant leur antériorité dans les zones de pêche concernées. Et c’est justement dans cette délivrance de licences que le bât blesse.

Des licences délivrées au compte-goutte

Car le Royaume-Uni tarde à délivrer les fameux documents, et de manière encore plus marquée pour les pêcheurs des Hauts-de-France, là où la dépendance aux eaux britanniques est particulièrement forte.

« Les Britanniques ne respectent pas les dispositions prises. Ils doivent respecter la totalité de leurs engagements, dont l’attribution de licences permettant d’aller pêcher dans leurs eaux. La pêche ne peut pas être la sacrifiée des relations entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne », fustige Didier Marie, sénateur socialiste de la Seine-Maritime.

Et c’est à Boulogne-sur-Mer que les errements britanniques se font le plus ressentir. Dans le port de pêche où normalement 70 % des poissons sont pêchés dans les eaux britanniques, seulement 22 licences ont été attribuées, sur les 120 demandes déjà faites. Laissant entrevoir la lenteur de l’administration outre-Manche, ou ce qui s’apparente plus à un manque de volonté. « Le Royaume-Uni fait de la guérilla administrative. On se retrouve avec des accords de façades, qui quand ils doivent être mis en œuvre, traduisent la volonté de Boris Johnson d’embêter le plus possible les Européens », juge André Gattolin, sénateur LREM des Hauts-de-Seine, vice-président de la commission sénatoriale des Affaires européennes.

Face à la grogne des pêcheurs boulonnais, Annick Girardin, la ministre de la Mer en déplacement lundi 26 avril dans la cité portuaire, est venue avec une bonne nouvelle dans ses bagages. 21 nouvelles licences devraient être accordées dans les prochains jours. Ce qui laisse cependant dans l’incertitude la soixantaine de demandes restantes, notamment concernant les bateaux de moins de 12 mètres de long.

Car ces embarcations de petite taille ne possèdent bien souvent pas de balises de position, contrairement aux plus gros navires. Or, sans données précises de géolocalisation, impossible de prouver l’antériorité dans la zone de pêche britannique, données que demande justement le Royaume-Uni pour l’octroi des licences.

Une situation qui fait dire à Didier Marie que « les Britanniques jouent l’entourloupe ». « Quand ils ont introduit l’histoire de l’antériorité concernant la présence des bateaux, la Commission européenne n’y a vu que du feu, en regardant la disposition avec trop de suffisance. Mais aujourd’hui, les pêcheurs se retrouvent bloqués ». André Gattolin se demande cependant si « la Commission aurait pu aller dans les détails de l’accord, vu le timing incroyablement court qui lui était imposé en décembre dernier ».

Un plan à 100 millions du gouvernement

Face à l’attitude hostile du Royaume-Uni, les Européens tentent de faire front uni. Vendredi 23 avril, Bruxelles a validé le plan de soutien français à 100 millions d’euros, destiné à venir en aide à la filière. Le premier de ce type dans l’Union Européenne.

80 millions iront directement aux pêcheurs, et 20 millions à la filière de transformation du poisson, comme l’a rappelé Annick Girardin lors de sa visite à Boulogne-sur-Mer. La ministre s’est engagée à ce que ces fonds parviennent à ses bénéficiaires sous six mois. « Nous avons compris la détresse, l’exaspération des marins-pêcheurs. […] L’Etat se doit d’être au rendez-vous de l’accompagnement, de l’efficacité », a estimé la ministre, après une longue réunion avec les acteurs de la filière.

Une mesure de court terme, qui s’apparente plus à une bouteille d’oxygène qu’à une véritable opération de sauvetage. « On aura une réduction de la flotte de pêche française, il ne faut pas se le cacher. Il faut déjà penser à la reconversion économique de certains pêcheurs, regarder ce que font les Norvégiens avec l’élevage en mer… » estime André Gattolin. Car même si les Britanniques accordaient l’entièreté des licences demandées, les pêcheurs français doivent toujours réduire de 25 % leurs prises dans ces eaux, comme le stipule l’accord.

Durcissement du ton face à Londres

En attendant, « c’est un bras de fer qui s’engage, et il faut que l’Union Européenne se montre forte », croit Catherine Morin-Desailly. Un avis que semble partager Clément Beaune, secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, qui accompagnait Annick Girardin à Boulogne-sur-Mer. Il a annoncé ce mardi 27 avril que l’Union Européenne était prête à prendre des « mesures de rétorsion » si Londres ne respectait pas les termes de l’accord.

La cible envisagée ? Les services financiers. « Le Royaume-Uni attend de nous des autorisations concernant les services financiers. Nous n’en donnerons aucune tant que nous ne serons pas sûrs que sur la pêche et sur d’autres sujets le Royaume-Uni respecte ses engagements », a ainsi détaillé Clément Beaune sur le plateau de BFM Business. Avant d’ajouter, « nous serons aussi brutaux que nécessaire comme partenaire ». Des déclarations qui interviennent alors que le Parlement européen doit ratifier ce mardi 27 avril l’accord commercial entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne.

« Je crois qu’il n’y a pas de cadeaux à faire au Royaume-Uni, ce serait un signe de faiblesse de ne pas réagir », souligne Didier Marie. D’autant que comme le souligne le sénateur socialiste, « l’accord actuel et les licences attribuées ne sont que provisoires ».

En 2026, les termes du document devront être renégociés, et la position actuelle des Britanniques ne laisse guère présager d’une attitude plus souple du Royaume-Uni à l’issue de cette période transitoire.

Faisant craindre le risque de voir des bateaux européens totalement interdits des eaux anglaises, si l’Europe ne montre pas dès maintenant, qu’elle aussi peut se montrer tatillonne et récalcitrante.

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