Affaire Fillon : quelles sont les règles depuis les lois de « moralisation » de la vie politique ?

Affaire Fillon : quelles sont les règles depuis les lois de « moralisation » de la vie politique ?

Le procès en appel de François Fillon au sujet des emplois fictifs présumés de sa femme, Penelope Fillon, s’ouvre aujourd’hui devant la Cour d’appel de Paris. Au-delà d’une affaire politico-judiciaire qui avait bouleversé la campagne présidentielle, les conséquences sur la réglementation de la vie politique française avaient été nombreuses, avec les lois de « moralisation de la vie publique », adoptées dès septembre 2017.
Louis Mollier-Sabet

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Il n’est pas rare que pour comprendre les grandes orientations politiques du quinquennat d’Emmanuel Macron, il faille aller chercher des réponses dans celui de son prédécesseur, François Hollande. On aurait presque oublié que le premier avait été secrétaire général adjoint de l’Elysée puis ministre de l’Economie du second, mais la filiation est assez claire quand on s’intéresse aux différentes lois sur la « transparence » ou la « moralisation » de la vie publique. Sous François Hollande, différentes lois avaient en effet, en 2013 et 2014, posé les premiers jalons d’une rupture dans les usages et les pratiques du monde politique français, en instaurant notamment un nouveau régime de transparence pour les membres de l’exécutif, les parlementaires et les élus locaux. Un régime que le gouvernement d’Édouard Philippe s’était empressé de compléter par les lois du 15 septembre 2017 sur la « moralisation de la vie publique », en y intégrant des dispositions relatives à l’encadrement des conflits d’intérêts et des emplois de collaborateurs familiaux, mises à l’agenda par l’affaire Fillon lors de la campagne présidentielle de 2017.

De 2013 à 2017, la construction d’un régime de transparence de la vie politique

La loi du 11 octobre 2013 sur la transparence dans la vie publique instaure l’obligation de déclarations de patrimoine et d’intérêt pour les différents acteurs de la vie publique, sous des modalités différentes selon les élus et les activités concernées. Les ministres et les membres de leurs cabinets, ainsi que les personnes nommées à des emplois par le Conseil des ministres ou les responsables des principales entreprises publiques doivent déclarer leur « situation patrimoniale » à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), créée à cette occasion. Cette déclaration de patrimoine est publique et disponible sur le site de la HATVP, contrairement à la déclaration de patrimoine des parlementaires et des « principaux responsables d’exécutifs locaux », qui est consultable en préfecture pour n’importe quel citoyen inscrit sur les listes électorales, mais dont la publicisation est interdite. Si un citoyen s’interroge sur un élément de cette déclaration, il ne peut donc pas en divulguer le contenu, mais simplement saisir la HATVP.

La déclaration d’intérêt est, elle, publique pour tous les responsables politiques et contient toutes les activités annexes des élus sur les 5 dernières années, qu’elles soient professionnelles ou bénévoles, ainsi que celles de leurs conjoints. La HATVP qui contrôle ces deux déclarations est une autorité administrative indépendante, dont les membres sont pour partie élus par les corps d’inspection de l’Etat (Cour de Cassation, Conseil d’Etat, Cour des comptes) et ensuite nommés par l’Assemblée nationale et le Sénat. Elle dispose de pouvoirs d’investigation pour remplir cette mission, comme l’assistance et les données des services fiscaux ainsi qu’un pouvoir d’injonction pour demander des pièces complémentaires. Le non-respect de ces obligations de transmission est condamné de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

>> Lire aussi : La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) : comment ça marche ?

Les lois du 15 septembre 2017 complètent ce régime de transparence en étendant la déclaration d’intérêts aux candidats à l’élection présidentielle, qui devaient déjà fournir une déclaration de patrimoine. De même, le Président de la République devra maintenant déposer une déclaration de patrimoine au début, mais aussi à la fin de son mandat, la HATVP se prononçant sur la « variation » entre ces deux déclarations pour s’assurer que le Président de la République ne s’est pas enrichi indûment grâce à sa fonction. Du côté de la transparence des dépenses des parlementaires, Emmanuel Macron avait aussi tenu à supprimer la réserve parlementaire, ainsi qu’à réformer la rémunération des députés et des sénateurs. Ceux-ci percevaient avant une « indemnité forfaitaire » destinée à combler leurs frais de mandat, ils doivent dorénavant se faire rembourser leurs dépenses sur justificatif. Les bureaux des assemblées sont chargés de contrôler les modalités et les plafonds de ces remboursements, ainsi que des avances qui peuvent être accordées. De fait, les députés et les sénateurs reçoivent maintenant une avance qui correspond à peu près à l’indemnité forfaitaire qu’ils touchaient avant le 1er janvier 2018, mais doivent fournir les pièces justificatives nécessaires pour faire valider leurs dépenses par le déontologue de l’Assemblée ou du Sénat.

Les conséquences de l’affaire Fillon : de la transparence à la moralisation

Si la continuité entre les réformes Hollande et Macron sur la transparence de la vie publique est indéniable, entre-temps, la campagne présidentielle 2017 et l’affaire Fillon ont tout de même changé la donne. Les lois prises dès le début du quinquennat d’Emmanuel Macron s’intitulent d’ailleurs significativement « loi sur la moralisation de la vie publique. » Les rebondissements de l’affaire Fillon, tant sur les emplois présumés fictifs de collaborateurs parlementaires familiaux, que sur les conflits d’intérêts par des activités de conseil ont déplacé la focale de la simple déclaration à l’interdiction de certaines pratiques.

Dans le viseur des lois de 2017, évidemment, l’emploi par un député ou un sénateur de collaborateurs parlementaires issus de sa propre famille. Le procès en appel qui s’ouvre aujourd’hui tranchera sur les présomptions d’emplois fictifs de Penelope Fillon en tant que collaboratrice parlementaire de son mari, mais l’affaire Fillon sonne en tout cas le glas pour les emplois familiaux au Parlement ou dans les ministères. Un député, un sénateur ou un ministre ne pourra ainsi plus employer un membre de son « 1er cercle familial » (conjoint, concubin, parents, beaux-parents, enfants ou beaux-enfants). En ce qui concerne les frères sœurs, neveux, nièces ou ex-conjoints, soit le « 2ème cercle familial », l’emploi est possible mais soumis à une obligation de déclaration à la HATVP pour les ministres et au déontologue de l’assemblée concernée pour les parlementaires, qui peut décider de mettre fin au contrat.

L’autre volet de l’affaire Fillon, qui a moins retenu l’attention de l’opinion publique, mais qui a eu des conséquences dans la réglementation des activités politique, c’est celui du cabinet « 2F Conseil », dont les statuts ont été déposés 11 jours avant l’élection de François Fillon comme député de Paris, date à laquelle il n’aurait plus pu fonder de cabinet de conseil en vertu de l’interdiction de commencer une fonction de conseil pendant un mandat. Face aux soupçons de conflits d’intérêts, notamment par rapport à des clients du monde de l’assurance comme Axa, le déontologue de l’Assemblée nationale avait été saisi, mais n’avait pas donné suite. Celui-ci avait en effet estimé que ces intérêts financiers de François Fillon n’avaient pas influencé son travail parlementaire puisqu’il n’avait « pas pris position » sur les textes relatifs à ces questions. En tout état de cause, ces pratiques sont désormais beaucoup plus strictement encadrées par les lois de 2017, avec notamment l’interdiction de poursuivre une activité de conseil débutée moins d’un an avant le début de son mandat.

Plus largement, la campagne présidentielle de 2017 avait aussi fait émerger les difficultés de certains candidats à financer leur campagne par le système bancaire privé, d’autant plus depuis que les lois de 2017 interdisent les prêts de banques n’ayant pas leur siège dans l’Espace économique européen. François Bayrou, éphémère garde des Sceaux qui avait porté le projet de loi pour la confiance dans la vie politique en 2017, avait fait de la création d’une « banque de la démocratie » une priorité, et même une condition de son ralliement à Emmanuel Macron. Finalement, seul un « médiateur du crédit » a été créé, qui peut être saisi par tout candidat à une élection se voyant refuser au moins deux prêts en 6 mois, et qui est ensuite censé faciliter les demandes de prêts.

>> Voir aussi : La banque de la démocratie, itinéraire d’une proposition enterrée

Le sujet avait été si prégnant pendant la campagne présidentielle, et les débats autour de l’affaire Fillon avaient été tels, que les lois sur la moralisation de la vie publique avaient aussi mis en place une vérification a priori de la situation fiscale des parlementaires et des personnes « pressenties pour entrer au gouvernement », en plus de la déclaration que les parlementaires et les ministres doivent fournir dans l’année suivant leur nomination. Une manière pour le gouvernement d’éviter une nouvelle affaire Fillon en son sein, ou en l’occurrence, plutôt une affaire Cahuzac. La filiation avec François Hollande a ses limites.

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