Affaire Pénélope Fillon : la compétence du parquet national financier en question

Affaire Pénélope Fillon : la compétence du parquet national financier en question

Selon la défense de François Fillon, le parquet financier n’avait pas compétence pour enquêter sur les soupçons d’emplois fictifs de Pénélope Fillon. En conséquence, les investigations seraient frappées de nullité selon l’un de ses avocats.
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« Mes avocats viennent de signaler au parquet national financier qu’il n’était sans doute pas compétent ». Lors de sa conférence de presse, lundi, François Fillon a donc contre-attaqué sur le terrain juridique concernant l’enquête préliminaire dont sa femme et lui font l’objet depuis les premières révélations du Canard Enchainé, le 25 janvier dernier. L’Hebdomadaire satirique évoque des soupçons d’emplois fictifs concernant Pénélope Fillon, embauchée en tant que collaboratrice parlementaire pendant une dizaine d’années. Quelques heures après la publication du premier article, le parquet national financier (PNF) lançait une enquête préliminaire pour « détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel de ces délits ». Si le parquet financier n’a compétence exclusif qu’en matière de délits boursiers, il dispose d’une « compétence concurrente à celle des tribunaux de grandes instances de droit commun » pour le délit de détournement de fonds publics. « La poursuite du délit de détournement de fonds publics relevant d'une compétence partagée avec le parquet de Paris, l'ouverture de l'enquête préliminaire a été précédée d'un échange avec ce dernier comme le prévoit la circulaire du 31 janvier 2014 » a justifié le PNF, lundi, dans un communiqué.

« Un parlementaire ne peut pas être concerné par un détournement de fonds publics »

Or, Pour Me Antonin Levy, l’un des avocats de François Fillon, « un parlementaire ne peut pas être concerné par un détournement de fonds publics ». Sont concernés par ce délit une « personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l'un de ses subordonnés » selon l’article 432-15 du code pénal.  « Un parlementaire n’est pas chargé d’une mission de service public, il n’est pas fonctionnaire, il n’est pas comptable public. Jamais un parlementaire n’a été condamné pour détournement de fonds publics » développe Antonin Lévy. Un parlementaire n’est pas non plus dépositaire de l’autorité publique, en ce sens, qu’il n’a pas de pouvoir de contrôle ou de contrainte sur des personnes ou des choses dans le cadre de ses fonctions, en dehors de la loi votée collectivement. Contacté par publicsenat.fr, un ténor du barreau, qui souhaite rester anonyme, concède : « ça se tient ».  « Mais, axer son système de défense sur un vice de procédure, je ne suis pas sûr que ce soit efficace » ajoute-il. En ce qui concerne l’incrimination « d’abus de bien social » suspecté dans le cadre de l’emploi de Pénélope Fillon à la Revue des 2 Mondes, Le PNF n’a pas compétence. Pour Me Antonin Levy, il s’agit d’une volonté manifeste de la part du parquet financier de « préempter » l’ensemble du dossier. « L’abus de bien social pourrait relever de sa compétence si une connexion entre les différentes affaires était établie » explique-t-il, mais, justifie-t-il, « le travail de Pénélope Fillon en tant que collaboratrice parlementaire est aujourd’hui établi ».

Le parquet national financier a-t-il voulu aller trop vite ?

Comme l’expliquait à publicsenat.fr, il y a quelques jours, l’avocat d’Anticor, Jérôme Karsenti, la rapidité de la saisine du PNF peut s’expliquer par la jeunesse de cette institution « en quête de légitimité ». Selon le tenor du barreau, cité plus haut, si un détournement de fonds publics ne peut pas s’appliquer à un parlementaire, il n’en n’est pas de même avec le délit d’ « abus de confiance ». Défini par l’article 314-1 du code pénal, il « est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé ». Or, là encore, le PNF n’est pas compétent. « Le fait que l’enquête soit menée par le mauvais procureur n’annule pas l’action publique. Le principe en droit est l’indivisibilité du parquet. Le procureur financier pourrait se dessaisir  au profit du procureur de Paris. Reste à savoir si les procès verbaux rédigés jusqu’à maintenant seront annulés dans ce cas l’enquête pourrait repartir de zero » s’interroge le pénaliste.

La séparation des pouvoirs a-t-elle été malmenée ?

C’est un autre axe de défense de l’avocat de François Fillon qui « s’estime choqué par la perquisition des enquêteurs à l’Assemblée nationale ». « Une commission d’enquête parlementaire n’aurait pas pu aller fouiller le bureau de Madame Eliane Houlette (ndlr : procureur du parquet national financier) » prend-t-il en guise d’exemple. Pascal Jan, professeur de droit constitutionnel à Sciences Po Bordeaux, estime que « la séparation des pouvoirs a été malmenée » par cette perquisition et que le PNF a été « maladroit ». « Un contrat de travail d’un assistant parlementaire est un document administratif sur lequel la justice n’a que peu de prise. Son contenu relève de la liberté du parlementaire. Le contraste entre le Sénat et l’Assemblée nationale est saisissant. Sur accord de Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, une perquisition a été menée pour récupérer ces contrats de travail. Alors qu’au Sénat, une réquisition a suffit pour les récupérer. Gérard Larcher, le président du Sénat, a autorisé la communication des documents à l’autorité judiciaire. Une perquisition n’était donc pas nécessaire » observe-t-il.

Dans une note adressée lundi au parquet national financier, Me Antonin Levy réaffirme que « le parquet national financier n'a pas compétence » pour mener l'enquête et pointe des atteintes au principe de la séparation des pouvoirs. « La conséquence de leurs fautes, c'est la nullité de l'enquête », estime-t-il.

 

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