Agression d’Yvan Colonna : « Cela peut avoir de vraies retombées sur le retour aux cagoules », analyse Xavier Crettiez

Agression d’Yvan Colonna : « Cela peut avoir de vraies retombées sur le retour aux cagoules », analyse Xavier Crettiez

Après l’agression d’Yvan Colonna par un de ses codétenus, le mouvement nationaliste corse ne digère pas que l’Etat ait toujours refusé le transfert des membres du commando Erignac. Pour Xavier Crettiez, politiste spécialiste des violences politiques en Corse, c’est un « prétexte magnifique » pour que les nationalistes les plus durs fassent de Colonna un « martyr. »
Louis Mollier-Sabet

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Yvan Colonna est toujours dans le coma ce vendredi à l’hôpital nord de Marseille, dans un état stationnaire. Mais la Corse, elle, est en ébullition. Un ferry transportant des gendarmes est bloqué a été boqué quelques heures ce vendredi matin par les marins du syndicat nationaliste STC pour « entraver le débarquement de troupes répressives sur l’île. » L’agression du membre du commando Erignac par l’un de ses codétenus, Franck Elong Abé, 36 ans, ex-djihadiste, à la maison centrale d’Arles mercredi dernier a mis du sel sur les plaies du nationalisme corse, qui a progressivement abandonné les armes et la « cagoule » depuis une vingtaine d’années. Jusqu’à les rouvrir ?

« Les djihadistes n’en ont rien à foutre des Corses »

Xavier Crettiez est professeur de science politique à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et travaille depuis longtemps sur les violences politiques en Corse, il voit dans cet incident une vraie rupture. Ce spécialiste de la question pense « très clairement que c’est un épisode qui peut avoir de vraies retombées sur le retour aux cagoules. » D’après lui, même ceux qui sont contre le « nationalisme dur qu’incarne Colonna » étaient « très partisans » du retour des trois membres du commando Erignac en Corse. Et c’est bien la pomme de discorde pour Paulu Santu Parigi, sénateur nationaliste de la Haute-Corse, membre du groupe écologiste au Sénat : « On n’est pas là pour contester ce qui arrive à Yvan Colonna, qui purge sa peine. Mais comment est-il possible qu’un prisonnier classé DPS se retrouve avec un fanatique dans un gymnase et que ce drame arrive ? »

Les « détenus particulièrement surveillés », dits DPS, sont des détenus appartenant souvent au crime organisé, qui pourraient recevoir une aide logistique extérieure pour leur évasion, et qui sont donc surveillés de manière particulièrement étroite. Le classement des trois membres du « commando Erignac » en tant que DPS était la raison du refus de l’Etat de les transférer à la prison de Borgo, en Corse. « Cela fait des années que l’on demande que le commando Erignac soit rapproché en Corse, on les savait en danger, Ferrandi avait été attaqué à coup de boules de pétanque », explique ainsi Paulu Santu Parigi. Mais pour Xavier Crettiez, qui travaille aussi depuis 10 ans sur l’islamisme radical, et qui vient de rendre un rapport à l’administration pénitentiaire sur la situation dans les prisons, ces tensions entre détenus politiques corses et djihadistes ne sont pas avérées : « La mission de lutte contre la radicalisation violente n’a pas constaté de tensions entre les Corses politiques, qui doivent être 5 ou 6 dans les prisons, et les djihadistes, qui sont plus de 400. Il n’y a pas de conflit ethnique entre musulmans islamistes et Corses dans les prisons françaises, les djihadistes n’en ont rien à foutre des Corses, pour le dire crûment. »

« J’ai du mal à comprendre qu’on ne lève pas ce statut de DPS »

Pour autant, le fait qu’un détenu classé DPS « ne soit finalement pas si ‘particulièrement surveillé’ » peut particulièrement porter dans l’opinion publique corse pour Xavier Crettiez. « Le fait que l’agresseur soit rémunéré pour faire du ménage est pour le moins bizarre et l’absurdité de cette agression a évidemment suscité beaucoup de propos complotistes et conspirationnistes. » Et sur le fond, le politiste « a du mal à comprendre qu’on ne lève pas le statut de DPS » des membres du commando Erignac, dans la mesure où « ils peuvent être à Borgo [prison corse, ndlr] avec des moyens de surveillance suffisants » et qu’un tel accident donne « un prétexte magnifique » aux nationalistes : « Colonna va se transformer en martyr de la cause, assassiné en raison du refus de l’Etat de faire le moindre geste pour rendre sa détention supportable. C’est un scénario parfait pour ceux qui ont des instincts un peu belliqueux. »

Le sénateur Santu Parigi, lui, « en appelle à la non-violence pour discuter avec cet Etat qui ne comprend pas ce qu’est la Corse », en rappelant que « la Corse a choisi la voie démocratique depuis un certain temps » et que « les nationalistes ont prouvé qu’ils voulaient tourner cette page d’une histoire violente. » Mais d’après lui, les nationalistes ont en quelque sorte tenu leur part du marché en laissant tomber les armes, alors que « les réponses de l’Etat n’ont pas été à la hauteur », tant sur le volet symbolique avec le commando Erignac, que sur le volet administratif sur le statut autonome de la Corse. C’est ce que Xavier Crettiez trouve « d’autant plus étonnant » : « Une réforme institutionnelle est coûteuse, elle ouvre la porte à d’autres régions et la France est un pays unitariste. Alors pourquoi ne pas prendre la mesure qui ne coûte pas grand-chose à l’Etat, mais apporte aux nationalistes du point de vue symbolique ? »

« La préfectorale pèse de tout son poids pour qu’il n’y ait pas le moindre arrangement avec des gens qui ont tué un préfet »

La réponse était peut-être dans la question. En effet, le politiste évoque la possibilité « que le gouvernement ne veuille pas donner de victoire politique à Gilles Simeoni », qui a déjà raflé tous les échelons du pouvoir institutionnel corse en quelques années, hors Ajaccio. « Le fait de lâcher les bombes a quand même permis aux nationalistes d’avoir tous les pouvoirs dans l’île. Depuis ce moment, la grande famille autonomiste nationaliste a complètement gagné la guerre intellectuelle et institutionnelle », détaille Xavier Crettiez. Cependant, le chercheur spécialiste des violences politiques en Corse, tient aussi à rappeler une cause plus structurelle à cette tension autour du « rapprochement » du commando Erignac : la préfectorale.

« La préfectorale pèse de tout son poids pour qu’il n’y ait pas le moindre arrangement avec des gens qui ont tué un préfet », explique-t-il. Or, une règle d’airain de la science politique reste que « l’Etat n’a pas envie de se mettre à dos la préfectorale, qui est un groupe d’intérêt extrêmement puissant. » On sent cette tension avec l’institution qui incarne les fonctions régaliennes de l’Etat central dans les territoires, particulièrement d’actualité, dans les propos du sénateur Santu Parigi : « On nous envoie un préfet qui joue les gouverneurs, qui prend des sous dans les caisses de l’Assemblée de Corse et qui nous empêche d’y parler le Corse, alors que c’est dans le règlement. » Le sénateur nationaliste, par ailleurs professeur de Corse, regrette le temps du préfet Franck Robine et a « l’impression que M. Lelarge est là pour mater du Corse. » D’après Xavier Crettiez, la tension ne risque pas de s’apaiser, « l’Etat ne s’y est pas trompé » en envoyant des renforts aux forces de l’ordre sur l’île : « D’un point de vue concret, les nationalistes n’ont plus les moyens de leurs ambitions. Il n’y aura plus de lutte armée comme dans les années 1980 et 1990 parce que les moyens d’investigation de la police et de la justice sont maintenant beaucoup trop puissants. Mais il y aura des pistoleros, peut-être des émeutes de jeunes dans les villes. Cela ne m’étonnerait pas qu’il y ait même un retour à une ou deux nuits bleues [série d’attentats à l’explosif se déroulant dans un temps limité, souvent la nuit, ndlr]. »

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