Aide à l’achat d’un véhicule électrique : les enjeux pour la filière automobile

Aide à l’achat d’un véhicule électrique : les enjeux pour la filière automobile

Emmanuel Macron a annoncé de nouvelles aides à l’achat de voitures électriques, tout en voyant l’électrification du parc automobile comme une « opportunité » pour relocaliser un secteur industriel clé. Cependant la direction que semble prendre la filière, en misant notamment sur des véhicules haut de gamme et lourds, a de quoi interroger quant aux enjeux climatiques et sociaux posés.
Louis Mollier-Sabet

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Alors que les files de voitures s’étendent à l’entrée des stations-service, la voiture électrique peut apparaître comme la réponse aux problèmes du moment. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, si, à la veille de l’ouverture du Salon de l’automobile, Emmanuel Macron a accordé une interview aux Echos pour préciser sa stratégie pour la filière automobile et le développement « d’une politique massive pour réindustrialiser l’Europe. » En réalité, l’enjeu de la voiture électrique était déjà structurel pour les objectifs climatiques de la France et de l’Europe bien avant l’invasion de l’Ukraine ou les pénuries actuelles. L’électrification des usages représentait un des axes principaux du scénario de RTE, la filiale d’EDF, sur la neutralité carbone en 2050, et notamment par rapport aux gains d’efficacité énergétiques permis, puisque ce scénario suppose de réduire la consommation énergétique française de 40 % d’ici 2050. Dans cette trajectoire, l’automobile fait partie des secteurs clés, et l’UE s’est ainsi fixé comme objectif d’arrêter la vente de voiture thermique en 2035, alors que des « zones à faible émission » (ZFE), qui empêche progressivement les voitures les plus polluantes de circuler dans certaines zones, sont en train d’être mises en place dans les agglomérations de plus 150 000 habitants.

« Quand l’Etat va faire un leasing ce ne sera pas sur tous les véhicules, l’idée serait plus de cibler une Renault Zoé que les gros Hummers [marque de 4x4 militaires] »

Emmanuel Macron réaffirme donc dans cet entretien la nécessité du développement de la voiture électrique en France et en Europe : « Nous assumons cet objectif de 100 % de véhicules électriques en 2035. » Le chef de l’Etat y voit même une « opportunité pour réindustrialiser le pays » et « mettre en cohérence nos objectifs climatiques, industriels et de souveraineté. » Pour un secteur en difficulté, l’objectif écologique d’électrification du parc automobile peut aussi représenter une aubaine industrielle, et permettre de relocaliser une industrie à haute valeur ajoutée en France. « Nous devons nous réveiller, ni les Américains, ni les Chinois ne nous feront de tels cadeaux ! […] On ne peut pas être le seul espace, le plus vertueux sur le plan climatique, qui considère qu’il n’y a pas de préférence européenne. Je défends fortement une préférence européenne sur ce volet et un soutien fort à la filière automobile », a ainsi expliqué Emmanuel Macron. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, si la demande est en hausse – de 1 % des ventes à 13 % aujourd’hui et 30 % d’ici la fin du quinquennat, d’après le Président de la République – les véhicules électriques restent chers. À cet égard, le Président de la République a annoncé une rallonge de 1000 euros (de 6 000 à 7 000 euros) sur le bonus écologique à l’achat d’un véhicule électrique ou hybride de moins de 47 000 euros « pour la moitié des ménages les plus modestes. »

De même un système de « leasing » – location de longue durée – devrait être mis en place dès l’année prochaine pour permettre aux ménages les plus modestes de louer un véhicule électrique pour 100 euros par mois. « Il faut calibrer la mesure de telle manière qu’elle favorise le plus possible » la France ou l’Europe, a précisé le chef de l’Etat. En effet, la limite de prix des véhicules sur les aides exclut les véhicules haut de gamme comme les modèles Tesla, mais les véhicules chinois, notamment, restent 15 à 20 % moins chers que leurs homologues européens, et pourraient donc être subventionnés par de telles aides. Des constructeurs chinois comme Great Wall Motors, Greely ou Saic ont par ailleurs prévu d’installer des usines d’assemblage en Europe de l’est ou du sud. Un ciblage des modèles pourrait permettre à la fois de soutenir des véhicules produits en France ou en Europe, et les véhicules les plus sobres et les moins chers. « Cibler les classes populaires, cela me semble très bien », explique Nicolas Goldberg, responsable du pôle énergie du think tank Terra Nova. « Si vous mettez un leasing à 100 euros par mois, à condition de pas faire des ristournes sur le prix de l’essence, vous avez un gain dès les premiers mois. Quand l’Etat va faire un leasing ce ne sera pas sur tous les véhicules, l’idée serait plus de cibler une Renault Zoé que les gros Hummers [marque de 4x4 militaires]. » Toutefois, Flavien Neuvy, économiste et directeur de l’observatoire Cételem pour les voitures, cité par France Info, estime que « pour l’instant, la France n’est pas prête » à une relocalisation totale de sa production automobile. « Mais c’est un enjeu de souveraineté industrielle et de concurrence internationale, puisque les Chinois ont 15 ans d’avance sur nous », ajoute-t-il.

« En moyenne, il faut rouler 50 000 km pour qu’un véhicule électrique rembourse cette dette carbone. C’est grosso modo 3 ans »

Pour répondre à cet objectif de réindustrialisation, le groupe franco-italien Stellantis a annoncé ce lundi au Salon de l’automobile, par la voix de son directeur général Carlos Tavares, qu’il allait passer « à brève échéance », de 6 à 12 véhicules électriques produits en France. La moitié de ces nouveaux véhicules (Peugeot 308, 308 Break et la 408 électrique) seront produits à Mulhouse (Haut-Rhin), tandis que l’autre moitié – différents types de SUV – sera produite à Sochaux et Rennes. Le directeur général de Stellantis a aussi lancé un appel à plus de protectionnisme européen sur les véhicules électriques : « Il faut limiter les aides (aux voitures électriques) aux véhicules fabriqués en Europe », a-t-il réclamé sur RTL depuis le Salon de l’automobile à Paris, qui s’ouvre ce lundi matin. « On est en train de crédibiliser la trajectoire qu’on s’est fixée, celle d’obtenir deux millions de véhicules électriques produits en France en 2030 », s’est félicité le Président de la République. De même, la « 4L » électrique présentée aujourd’hui en grande pompe par Renault, sera « sensiblement plus grande et plus chère » que la gamme R5 électrique ou Twingo électrique présentée par la marque jusqu’alors.

Une direction que semble prendre la filière qui a de quoi inquiéter. Heureux hasard du calendrier, l’Ademe (Agence de la transition écologique) a publié il y a quelques jours un avis sur les voitures électriques et les bornes de recharge qui rappelle que « si l’électrification du parc est l’un des leviers incontournables pour atteindre la neutralité carbone en 2050, elle n’est pas suffisante pour que cette transition soit pleinement efficace aux plans environnementaux, sociaux et économiques. » L’Ademe attire notamment l’attention sur une taille « raisonnable » des batteries (

« Un véhicule électrique part avec une dette carbone, par rapport à un véhicule thermique. C’est ensuite à l’utilisation qu’il la rembourse », détaille Nicolas Goldberg. À la fabrication, un véhicule électrique pollue donc plus qu’un véhicule thermique, notamment à cause de sa batterie. Mais l’expert en énergie cite plusieurs études de l’Ademe, de Carbone 4 ou de RTE, qui estiment « qu’en moyenne, il faut rouler 50 000 km pour qu’un véhicule électrique rembourse cette dette carbone. C’est grosso modo 3 ans d’utilisation. » Si les véhicules électriques permettent donc de décarboner les transports, leur taille fera varier la consommation d’électricité nécessaire au fonctionnement du parc électrifié. En clair, construire des SUV électriques, c’est augmenter la pression sur la consommation électrique, dans un contexte tendu pour le marché européen, mais surtout, « il y a un sujet matériau », explique Nicolas Goldberg : « Il y a des questions de disponibilité des ressources en lithium, ou en cobalt. Si on fait des véhicules plus légers et plus sobres, l’électrification des transports sera plus simple à généraliser. Mais on n’en prend pas la direction. »

« L’ensemble des aires d’autoroutes sera équipé d’infrastructures de recharge rapide d’ici 2023 »

L’autre donnée de l’équation pour l’électrification du parc automobile français, c’est le développement suffisamment important de bornes de recharge. Dominique Estrosi Sassone, sénatrice LR des Alpes-Maritimes, a interpellé le gouvernement par question écrite sur le sujet le 14 juillet dernier, en soulignant que l’objectif de 100 000 bornes de recharge n’avait pas été atteint. Signe que le sujet est en train d’être travaillé dans l’administration, le ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires lui a répondu le 13 octobre : « Début août 2022, près de 67 000 points de recharge ouverts au public sont disponibles sur le territoire. Cela représente une augmentation de 49 % en 12 mois et fait de la France le troisième pays de l’Union européenne avec le plus de points de recharge ouverts au public. » Pour généraliser l’usage de véhicules électriques, le développement de bornes de recharge, et notamment de bornes de recharge rapides, sera crucial. « L’ensemble des aires de services du réseau autoroutier concédé sera équipé d’infrastructures de recharge rapide d’ici 2023 », assure ainsi le ministère de la Transition écologique.

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