Annonces de Macron : vu du Sénat, « un discours à un milliard d’euros la minute »

Annonces de Macron : vu du Sénat, « un discours à un milliard d’euros la minute »

À combien se chiffrent les mesures supplémentaires annoncées par le président de la République lors de son allocution ? Gérald Darmanin a annoncé aux sénateurs que le déficit public atteindrait 2,5% en 2019, et même 3,4% en tenant compte de la bascule du CICE.
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Revalorisation de la prime d’activité dès l’an prochain, et non plus sur trois ans, effacement de la hausse de la CSG pour une partie des retraités, ou encore défiscalisation des heures supplémentaires. Emmanuel Macron a annoncé une série de mesures pour répondre à la colère des Gilets jaunes qui dure depuis plus d’un mois.

Certaines modalités devront être précisées et la date de leur mise en œuvre au cours de l’année 2019 influera sur le budget de cette réponse politique. L’addition devra s’affiner au fil des semaines, mais il est certain que totalité des annonces présidentielles pèsera sur la balance du budget de l’an prochain. Les membres du gouvernement ont commencé à donner des indications. Pour le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, elles « se chiffrent entre 8 et 10 milliards d'euros ». La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a évoqué un ensemble d’une « dizaine de milliards d’euros ».

La revalorisation des revenus pour les personnes payées au Smic

Dans « l’état d’urgence économique et sociale » décrété par le président de la République, une mesure concernera les bas salaires. « Le salaire d'un travailleur au Smic augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu'il en coûte un euro de plus pour l'employeur », a annoncé Emmanuel Macron. Mis à part la revalorisation légale du 1er janvier (une vingtaine d’euros nets pour un salarié à temps plein), le coup de pouce aura lieu en réalité sous la forme d’une hausse de la prime d’activité, une somme versée par l’État par l’intermédiaire des Caisses d’allocations familiales. Et ne mettra donc pas les entreprises à contribution.

Il s’agit d’une accélération de la mise en œuvre d’une promesse de campagne. Au lieu d’être rehaussée par paliers successifs (30 euros en avril 2019, 20 euros en 2020, puis en 2021), la prime d’activité augmentera de 70 euros en 2019 en une seule fois. Le gouvernement espère mettre en œuvre la mesure dès le mois de janvier.

Cette « accélération de la trajectoire » nécessite 600 millions d’euros supplémentaires dans le budget 2019, a précisé Gérald Darmanin (vidéo de tête). Le Sénat, lui, a donné son feu vert lors d’une deuxième délibération avant le vote solennel sur l’ensemble du projet de loi de finances (lire notre article).

Combien de personnes sont concernées ? 2,7 millions de foyers bénéficient de la prime d’activité (pour un total de 5,06 milliards d’euros en 2017), versée à des salariés gagnant entre 0,5 et 1,3 Smic. « La prime d’activité concerne beaucoup plus de gens que ceux qui sont juste au Smic », a insisté la ministre du Travail ce matin. En France, 1,6 million de salariés sont au salaire minimum.

Mais tous les travailleurs rétribués au Smic (à temps partiel ou complet) ne sortiront pas gagnant de cette annonce. Car le calcul – complexe – de la prime d’activité (le montant atteint en moyenne 163 euros) varie suivant la composition et les revenus du foyer. Il faut aussi noter que 30% des bénéficiaires potentiels n’en font pas la demande.

Un allègement de CSG pour 3,5 millions de retraités

L’autre geste présidentiel concerne une partie des retraités frappés par la hausse de la CSG (de 6,6% à 8,3%) en janvier 2018. L’augmentation du taux de la cotisation sociale généralisée s’était déclenchée pour les retraités dont le revenu était supérieur à environ 1.200 euros par mois, soit 7 millions de personnes. Le président de la République a proposé de supprimer en 2019 cette hausse de la CSG pour les retraités dont le revenu est compris en 1.200 et 2.000 euros. Selon Les Échos, la moitié des retraités qui étaient au taux plein de 8,3% devraient retomber à une CSG de 6,6%. La mesure devrait coûter 1,5 milliard d’euros en année plein, selon le quotidien économique. « C’est un tout petit moins de deux milliards d’euros », a précisé Gérald Darmanin au Sénat.

La défiscalisation et la désocialisation des heures supplémentaires

Initialement, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019 ne prévoyait de supprimer les cotisations salariales prélevées sur les heures supplémentaires à partir de septembre. Celle-ci pourrait intervenir dès janvier. Emmanuel Macron veut en plus ressusciter la mesure phare introduite par Nicolas Sarkozy dans la loi Tepa (Travail emploi pouvoir d’achat) en 2007, et supprimée au début du quinquennat de François Hollande : la défiscalisation des heures supplémentaires.

Selon Gérald Darmanin, qui s’est exprimé au Sénat, la désocialisation des heures supplémentaires fait « renoncer à l’État et à la Sécurité sociale » environ 150 millions d’euros par mois en moyenne. Quant à la sortie de l’impôt sur le revenu des heures supplémentaires, le coût sera d’un « peu plus d’un milliard d’euros », selon le ministre. Coût global des deux mesures : « un peu moins de deux milliards d’euros ».

Pour le rapporteur général du budget au Sénat, le sénateur (LR) Albéric de Montgolfier, « cela va coûter cher » : entre 3 et 5 milliards d’euros. L’OFCE avait calculé que la désocialisation et la défiscalisation des heures sup en 2011 représentaient un coût pour les finances publiques de 4,5 milliards d’euros en 2011.

Un coût global de 10 milliards d’euros selon Bercy, et un déficit à 3,4% du PIB

« Le président de la République hier n’a pas proposé de dépenses publiques supplémentaires », a résumé Gérald Darmanin, devant des sénateurs étonnés. Le ministre a expliqué qu’il s’agissait d’une accélération de dépenses déjà prévues et d’une baisse des recettes fiscales. Les mesures annoncées lundi soir par Emmanuel Macron se chiffrent selon lui « autour de 6 milliards d’euros ». Une somme à laquelle il faut ajouter le manque à gagner d’environ 4 milliards d’euros provoqué par l’annulation de la hausse de la taxe carbone et de la taxe sur les carburants. La réponse de l’exécutif au mouvement des Gilets jaunes s’élève donc à environ dix milliards d’euros.

Ce matin, en marge des réunions de groupes, les sénateurs s’inquiétaient du dérapage des comptes publics. « Ca fait une addition extrêmement salée et je n’ai pour l’instant pas vu où est-ce qu’on allait faire des économies sur le train de vie de l’État pour compenser cela […] « Ce sont des questions qu’il faut se poser maintenant et auxquelles il faut apporter des réponses parce qu’on ne peut pas jouer sur cette crise avec un jeu de bonneteau», a réagi Sophie Primas, président (LR) de la commission des Affaires économiques.

« Jeu de bonneteau », l’expression était aussi dans la bouche du président (PS) de la commission des Finances, Vincent Éblé.

Dans les rangs des Républicains, c’est le total des mesures qui donnait le tournis. « J’étais stupéfait de voir le président de la République, en 13 minutes, dépenser 12 milliards sans baisser le train de vie de l’État », déplorait le sénateur de Paris, Pierre Charon. Son collègue, Jean-François Husson parlait d’une allocution à « un milliard d’euros la minute ».

« Il faut dire aux Français que si certains vont avoir des bénéfices sur les mesures annoncées par le président de la République, beaucoup d’autres vont payer l’impôt », pointe le président du groupe, Bruno Retailleau, qui évoque une solution : le mécanisme de bascule du CICE. En 2019, les entreprises recevront à la fois les derniers versements décalés d’un an au titre du Crédit impôt compétitivité emploi, mais bénéficieront aussi de sa transformation en baisse de cotisations sociales pérenne. « Il y a un peu près 20 milliards d’euros qui traînent dans le budget », a indiqué le sénateur de la Vendée.

Bascule du CICE : « Il y a un peu près 20 milliards d’euros qui traînent dans le budget », souligne Retailleau
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Bascule du CICE : « Il y a un peu près 20 milliards d’euros qui traînent dans le budget », souligne Bruno Retailleau

Gérald Darmanin a évoqué ce mardi un déficit public à 2,5% du PIB, en dehors des dernières opérations liées au CICE et à sa bascule en baisse de charges, qui se chiffre à 0,9 point de PIB. Soit un déficit total de 3,4%, loin des 2,8% que le gouvernement envisageait.

« On est très loin du projet de loi de finances initial. C’est quasiment une espèce de revirement par rapport aux annonces du gouvernement qui était la maîtrise de la dépense publique », soulignait ce matin le rapporteur Albéric de Montgolfier. La Commission européenne « suivra avec attention l'impact des annonces faites par le président » sur le déficit, prévenait le commissaire Pierre Moscovici.

Annonces de Macron : « On est très loin du projet de loi de finances initial », souligne le rapporteur du budget au Sénat
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