Apprentissage à 12 ans : derrière la polémique entre Macron et Mélenchon, deux visions de l’Ecole et de l’entreprise

Apprentissage à 12 ans : derrière la polémique entre Macron et Mélenchon, deux visions de l’Ecole et de l’entreprise

Le torchon brûle entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon sur la question de l’apprentissage. Le premier taxe le deuxième de colporteur de « fake news », quand celui-ci l’accuse de vouloir « envoyer un gosse de 12 ans en apprentissage. » La polémique fait suite à une phrase ambiguë d’Emmanuel Macron, mais révèle surtout deux visions de la place de l’entreprise à l’Ecole.
Louis Mollier-Sabet

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

À quelques jours du 1er tour, des problématiques arrivent enfin à s’imposer au-delà de la situation internationale. D’aucuns diront que c’est un peu tard, mais depuis le week-end dernier, c’est l’apprentissage qui agite la campagne électorale. Une thématique qui n’enflamme habituellement pas le débat public, mais qu’une « petite phrase » d’Emmanuel Macron prononcée en Charente-Maritime a remis au centre du jeu politique. En déplacement à Fouras jeudi dernier, le Président de la République a répondu à un restaurateur qui l’interpellait sur ses difficultés à embaucher : « On a besoin de faire mieux connaître vos métiers. Et donc alternance, apprentissage et orientation dès la 5ème pour faire connaître ces métiers. » Emmanuel Macron ajoutant ensuite : « Vous êtes prêt à prendre des apprentis ? Si vous êtes prêts à en prendre, on va vous en trouver. »

De deux choses l’une, « dès la 5ème » se rapporte soit seulement à « l’orientation », soit à « l’orientation, à l’apprentissage et à l’alternance. » Dans un cas, Jean-Luc Mélenchon propage des « fake news », dans un autre, le Président de la République ouvre effectivement la porte à l’apprentissage à 12 ans. Finalement, chacun comprend un peu ce qu’il veut dans cette phrase. En tout cas, la simple confusion a laissé place à une séquence ambivalente, en déclenchant à la fois une polémique de fin de campagne électorale relativement stérile, et un véritable débat politique sur un sujet peu abordé.

La polémique : au-delà d’une phrase ambiguë, Emmanuel Macron ne propose pas l’apprentissage à 12 ans

Quelques jours plus tard, Jean-Luc Mélenchon, en meeting à Toulouse, cible Emmanuel Macron, estimant que celui-ci à ouvert la porte à l’apprentissage dès la 5ème, soit environ 12 ans : « Comment ont-ils pu imaginer envoyer un gosse de 12 ans en apprentissage ? […] Quoi qu’il arrive, cela n’aura pas lieu parce que les conventions internationales qu’a signées la France interdisent qu’on envoie un jeune au travail avant la fin de la scolarité obligatoire. » Le Président candidat a ensuite dénoncé « une fake news » lundi matin sur France Inter, « relayée » par le candidat de l’Union populaire. « C’est un scandale de dire ça », martèle Emmanuel Macron. « J’ai dit qu’à 12 ans il fallait permettre à des enfants de connaître des métiers, ça n’a rien à voir, c’est-à-dire de permettre aux régions, aux entreprises, de venir quelques heures [dans les établissements] » ajoute-t-il. Actuellement, hors quelques dérogations, les contrats d’apprentissage ne peuvent être conclus qu’entre un employeur et un majeur ou un mineur d’au moins 16 ans. La séquence de Fouras reste ambiguë sur ce point, mais force est de constater que dans d’autres réunions publiques, comme lors de son premier rassemblement à Poissy, Emmanuel Macron avait plutôt parlé « d’une demi-journée » par semaine sanctuarisée dès la 5ème pour découvrir le monde professionnel.

Pour trancher sur la vision de l’apprentissage et de la place de l’entreprise dans la vie des mineurs, on peut aller au-delà des déclarations de campagne et se pencher sur les réformes concrètes proposées par le candidat, mais aussi appliquées par le ministre puis Président. Dans son programme, le chef de l’Etat accorde une place relativement importante à la question et propose bien de « découvrir plusieurs métiers de la 5ème à la 3ème, dont les métiers techniques et manuels. » Il annonce aussi une réforme du lycée professionnel, avec une augmentation de 50 % du temps de stage en entreprise, en contrepartie d’une rémunération. En tant que ministre de l’Economie, Emmanuel Macron avait déjà transformé – par un décret du 19 avril 2015 – le régime d’autorisation par un régime de simple déclaration à l’inspection du travail, lors de l’embauche d’un apprenti. Le MEDEF de l’époque avait salué par la voix de Pierre Gattaz, « un signal important pour de nombreux secteurs d’activité […] au regard des contraintes fortes qui leur étaient imposées depuis 2013. »

L’affrontement de deux véritables visions politiques des rapports entre l’Ecole et l’entreprise

Si la polémique de « l’apprentissage à 12 ans » est intéressante, c’est que le ministre de l’Economie, puis le Président Macron, a toujours fait de l’apprentissage un axe majeur de son action, à la fois sur le plan économique et éducatif. L’incitation au recrutement d’apprentis – y compris d’apprentis mineurs – était déjà à son agenda lors de son arrivée à Bercy en 2015. « Je compte sur vous pour embaucher plus d’apprentis, c’est désormais gratuit quand ils sont mineurs », déclarait-il aux universités d’été du Medef en 2015. Une fois Président de la République, Emmanuel Macron a fait de l’apprentissage une priorité, avec une réforme de 2018 qui a eu des effets certains : l’OFCE évaluait il y a quelques semaines le stock de contrats d’apprentissage en cours à 900 000, contre 480 000 deux ans plus tôt. Si l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) émet plusieurs réserves, notamment sur le coût de la subvention de l’apprentissage, et sur le fait que les mesures bénéficient surtout à des jeunes déjà insérés sur le marché du travail – ce qui n’était pas le but – Emmanuel Macron a fait de ce succès un axe de campagne.

Le Président de la République entend poursuivre dans cette voie dans un éventuel deuxième quinquennat, en permettant une orientation et une confrontation au monde de l’entreprise plus précoce dans le parcours scolaire des élèves. Et au-delà de la polémique sur l’apprentissage à 12 ans, c’est ce qui déplaît à Jean-Luc Mélenchon. L’ancien ministre de l’Enseignement professionnel (2000-2002) a toujours développé une vision antagoniste de la place de l’entreprise à l’Ecole, défendant l’importance les enseignements généraux (français, maths, histoire) dans les parcours professionnels, ou le bac professionnel en 4 ans et non 3. « On envoie tous les gosses de 3ème en stage et je suis déjà contre » déclarait le candidat de l’Union populaire ce matin sur Sud Radio. « Quand on a 12 ans, on ne demande pas à découvrir le monde de travail. Un enfant, il lui faut le temps de se construire. » À 12, à 14 ou à 16 ans, Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron ne partagent pas la même vision de l’apprentissage et de la place de l’entreprise dans le parcours scolaire des élèves, et ça, ce n’est pas une « fake news. »

Pour en savoir plus

Dans la même thématique

Au sein de la droite sénatoriale, de plus en plus de sénateurs tentés par le parti Horizons
8min

Politique

Au sein de la droite sénatoriale, de plus en plus de sénateurs tentés par le parti Horizons

Le président de la commission de l’aménagement du territoire, Jean-François Longeot, rejoint Horizons, tout en restant dans son groupe de l’Union centriste. Pour les membres du parti d’Edouard Philippe, il ne fait aucun doute que d’autres l’imiteront après les européennes. Des membres du groupe LR confirment que certains collègues « se posent des questions ».

Le

Apprentissage à 12 ans : derrière la polémique entre Macron et Mélenchon, deux visions de l’Ecole et de l’entreprise
6min

Politique

Européennes 2024 : quelles sont les principales mesures du programme de Valérie Hayer ?

Valérie Hayer présentait, ce lundi, 48 propositions de son programme pour que « l’Europe ne meure pas ». Parmi les mesures mises en évidence, un « Plan Europe 2030 », destiné à compléter le Pacte vert, un investissement 100 milliards pour le réarmement de l’UE, l’inscription du droit à l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux ou encore une hausse des moyens de Frontex.

Le