Après la défaite à la présidentielle, « l’union est un combat » à gauche pour les législatives

Après la défaite à la présidentielle, « l’union est un combat » à gauche pour les législatives

Jean-Luc Mélenchon veut faire des législatives un « troisième tour » et devenir premier ministre de cohabitation. Mais avant cela, LFI doit trouver un accord avec EELV, le PCF et même le PS, qui a décidé hier de « tendre la main » à LFI. Une décision très critiquée en interne. Les Insoumis veulent que l’union se fasse sur leur programme. Les discussions sont difficiles.
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A peine la défaite de la présidentielle digérée, la gauche se tourne déjà vers la prochaine élection : les législatives. Une fois le second tour passé, avec l’objectif de faire battre Marine Le Pen, les partis veulent se refaire une santé sur ce scrutin où 577 députés seront élus les 12 et 19 juin.

Premier acte, jeudi 14 avril dernier, La France Insoumise, forte des 21,95 % de Jean-Luc Mélenchon, a pris l’initiative d’écrire à EELV, au PCF, au NPA… mais pas au PS. Le parti propose de bâtir une coalition de gauche en vue de « construire une majorité politique à l’Assemblée nationale ». Elle se ferait sur la base du programme de l’Avenir en commun et des résultats du premier tour de la présidentielle, « dans l’application du principe proportionnel ». Les autres partis doivent au passage s’engager à cesser les attaques. Des exigences élevées, qui rendent difficile d’emblée l’obtention d’un accord.

« La politique, ce n’est pas de l’arithmétique »

Chez EELV, le numéro 1 Julien Bayou a salué l’ouverture, mais il veut que les résultats locaux – c’est-à-dire les municipales réussies – soient pris en compte. Il exclut aussi toute « pénitence ». Place du Colonel Fabien, chez les communistes, on se dit dans un communiqué « prêt à discuter », « il s’agit désormais de continuer à élargir nos capacités de rassemblement respectives, dans le respect de nos objectifs et pratiques politiques, tout en travaillant les convergences ». Le PCF a cependant lui aussi des propositions à « soumettre ».

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« On crée les conditions pour que cela aboutisse. Mais on n’est pas tout seuls », confie un parlementaire communiste. On s’étonne cependant de la base de discussion fixée sur le premier tour. « C’est quand même assez terrible, qu’une formation politique qui est contre le présidentialisme, utilise ce genre d’argument pour les législatives. C’est assez étonnant… » pointe le même parlementaire PCF, qui ajoute : « La politique, ce n’est pas de l’arithmétique ». Une première rencontre a eu lieu lundi avec LFI. L’exécutif du parti devait se réunir cet après-midi Place du Colonel Fabien pour faire le point.

Mélenchon premier ministre ? « C’est certes difficile, mais c’est faisable »

Acte II, Jean-Luc Mélenchon pousse son avantage. Invité de BFMTV mardi soir, le troisième homme de la présidentielle « demande » tranquillement « aux Français de (l)’élire premier ministre ». « Je leur demande d’élire une majorité de députés insoumis et Union populaire » dans le cadre d’« un troisième tour ». « Ne cultivez pas les rancœurs, pas de règlement de compte, pas de vengeance, rassemblez-vous », lance le leader insoumis, « il faut s’accorder sur ce qui permet de rassembler ». Autrement dit, Jean-Luc Mélenchon en appelle à une cohabitation. Il serait ainsi le premier ministre du Président à peine élu, Emmanuel Macron ou Marine Le Pen. Mais c’est lui qui conduirait la politique de la Nation. Un tableau pour le moins baroque, qui consiste à faire mentir le fait majoritaire, c’est-à-dire une victoire aux législatives dans la foulée de celle de la présidentielle. Si l’objectif s’avère difficile, l’ex-candidat réussi néanmoins ici un coup politique malin, alors que les législatives de 2017 s’étaient soldées par 11 % des voix et seulement 17 députés pour LFI.

Dans le camp Mélenchon, le député LFI Eric Coquerel reconnaît que « c’est certes difficile, mais c’est faisable ». « C’est moins baroque quand le Président élu est aussi minoritaire dans le pays », ajoute le député de Seine-Saint-Denis. Eric Coquerel pense qu’« à cette élection, c’est imaginable. Je ne pense pas que celui ou celle qui sera élu aura le même phénomène majoritaire qu’en 2017 ». Faisant aussi le constat qu’il existe aujourd’hui trois pôles, entre l’extrême droite, le centre/centre droit macroniste et un pôle de gauche, il s’agit d’« arriver à mobiliser » ce dernier sur « l’élan » de la présidentielle.

Le PS prêt à « tendre la main » à Mélenchon

Dans cette tectonique des plaques politiques, le PS ne veut pas rester sur son îlot. Juste après l’interview de Jean-Luc Mélenchon, le Conseil national du Parti socialiste, hier soir, a été le théâtre d’une petite révolution. Si LFI ne veut pas du PS, le PS veut bien de LFI. Une résolution proposant de discuter avec l’ensemble des forces de gauche et écologique pour trouver un accord aux législatives a été votée par 160 voix, contre 75, 10 abstentions et 58 n’ayant pas pris part au vote.

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« On part du postulat que si la gauche et les écologistes sont rassemblés, ils sont forts et peuvent gagner. Quand ils sont divisés, ils perdent », explique Pierre Jouvet, porte-parole du PS et chargé des élections. Il appelle à ne « pas reproduire en juin » le schéma de la présidentielle. Il ajoute : « On tend la main à l’ensemble des forces écologique et de gauche, sans exclusive ».

« Les conditions posées par Jean-Luc Mélenchon sont inacceptables » dénonce le sénateur PS Rachid Temal

Une décision qui passe très mal chez certains socialistes, pour qui la discussion avec LFI n’est pas envisageable. « Les conditions posées par Jean-Luc Mélenchon sont inacceptables. Que ce soit le projet de LFI, ou de dire que les discussions se font sur la base de la présidentielle. Donc pour le PS, c’est 34 candidats sur 577. Et ça veut dire que vous êtes en dessous des 50 circonscriptions où il faut faire 1 % pour avoir des financements publics », tonne le sénateur PS Rachid Temal. Sur le fond, les rapprochements ne sont pas possibles, selon l’ancien premier secrétaire du PS par intérim. Il pointe la « conception de la démocratie » de Jean-Luc Mélenchon, « sa vision de l’Europe, qui conduirait à sortir de l’Europe », son « rapport à l’entreprise », sans compter son positionnement pour le second tour, le sénateur accusant le leader de LFI de « mettre un trait d’égalité entre Macron et Le Pen ».

« Quand vous êtes héritiers de Blum, Jaurès, Mitterrand, Rocard, Jospin, Hollande, vous ne pouvez pas être d’accord avec le projet de LFI. LFI ne veut pas gagner la présidentielle, mais soumettre la gauche », insiste Rachid Temal, qui ajoute :

Vous avez le choix entre l’enfer avec Mélenchon ou une traversée du désert. Dans un cas, l’enfer c’est long, voire on n’en sort pas. Dans l’autre, c’est temporaire.

« Venez avec la robe de bure et la corde au cou… »

Rachid Temal n’est pas le seul pour qui le choix de la direction passe mal. Carole Delga, présidente PS d’Occitanie, n’a ainsi pas pris part au vote. « La seule question d’Olivier Faure et ses amis, c’est comment on sauve les parlementaires », pointe un membre du Conseil national.

Pour beaucoup, s’il est aussi difficile d’accepter de discuter avec Jean-Luc Mélenchon, c’est qu’il voit en lui un concurrent, voire un ennemi. « Depuis qu’il a quitté le PS, il ne pense qu’à tuer le PS », confiait avant le premier tour un responsable socialiste, « c’est venez avec la robe de bure et la corde au cou, et vous serez les bienvenus… »

« Nous devons entendre cette part de radicalité et l’intégrer », soutient Pierre Jouvet, porte-parole du PS

Du côté de la direction du PS, on mise plutôt sur le principe de réalité. Celle des urnes. « Il y a un élément simple : soit tout le monde considère que Manuel Valls avait raison et que les gauches sont définitivement irréconciliables, ce serait les gauches les plus bêtes du monde. Soit nous considérons qu’il y a une clarté politique, avec trois blocs », dont celui de gauche, qui, uni, aurait « été en capacité d’être premier à la présidentielle », soutient Pierre Jouvet. Le porte-parole du PS ajoute :

Le choix qui doit être le nôtre doit être le même que celui qui a été fait par les électeurs. La gauche n’a jamais raison contre ses électeurs.

D’où une évolution qui s’impose. Si « chacun doit garder son identité – je ne suis pas devenu insoumis – nous avons plus de convergences que de divergences », soutient le porte-parole du PS. Il cite le pouvoir d’achat, la revalorisation des salaires, la planification écologique, l’approche territoriale ou le refus de la retraite à 65 ans. Mais Pierre Jouvet va plus loin : « Quant à la radicalité, quand François Mitterrand est arrivé au pouvoir, est-ce que ce n’était pas un programme radical ? Quand on a fait les congés payés, les 35 heures, ce n’était pas de la radicalité ? Si. La gauche se construit dans la radicalité. Nous devons entendre cette part de radicalité et l’intégrer ».

Le secrétaire national aux élections assume naturellement sa volonté d’avoir « un maximum de députés de gauche et écologistes, un maximum de députés socialistes ». Pierre Jouvet ne donne pas de chiffre, mais il demande que « chacun soit respecté dans la force qui est la sienne », alors que les socialistes sont toujours implantés localement. Le groupe compte aujourd’hui 28 députés PS et apparentés.

« Si des éléments du PS veulent montrer qu’ils acceptent de former une majorité sur nos bases, il va falloir qu’ils le montrent », prévient Eric Coquerel

Du côté de Jean-Luc Mélenchon, comment prend-on cette main tendue ? Dans le JDD, la présidente du groupe des députés insoumis, Mathilde Panot, a assuré qu’il n’y aurait « pas de discussions » entre LFI et le PS. Et de prévenir : « Ce refus est définitif ». Mais ce mercredi, Eric Coquerel est un peu plus ouvert. Notant les débats internes au PS, il ne ferme pas formellement la porte, mais attend de voir pour y croire. « Si des éléments du PS veulent montrer qu’ils acceptent de former une majorité sur nos bases, il va falloir qu’ils le montrent, car pour l’instant, on en est assez éloigné », prévient le député de Seine-Saint-Denis, qui ajoute que « la main tendue, du haut de 1,7 %, l’image est un peu osée. C’est surtout à eux de donner des preuves de leur évolution », insiste Eric Coquerel, pour qui « la question est d’abord politique. Sur quel programme on est capable de gouverner ou pas ». Il constate que « rien dans ce qui est dit pour l’instant laisse penser qu’ils acceptent de se rassembler sur ce qu’on propose ».

Les insoumis sont plus conciliants avec Europe Ecologie-Les Verts. « On estime qu’il y a plus de possibilités qu’ils s’adaptent au programme qu’on a porté, à sa radicalité. Il ne nous a pas échappé que Yannick Jadot n’a pas été tendre, mais il y a des voix chez EELV qui ont exprimé des choses », constate Eric Coquerel, « et localement, on a fait la preuve qu’on pouvait diriger des villes ensemble. C’est plus du domaine du faisable ».

« La responsabilité est du côté de LFI, comme ils sont arrivés en tête », selon David Cormand

Du côté d’EELV, on répond que « la responsabilité est du côté de LFI, comme ils sont arrivés en tête », soutient David Cormand, député européen EELV. L’ancien numéro 1 du parti reconnaît qu’il y a « une logique politique à construire ce rassemblement, en prenant acte du premier tour, mais aussi en respectant les uns et les autres ». Il ajoute : « On ne fait pas la manche, ni l’aumône », mais partir sur les proportions du premier tour « n’est pas une hypothèse de travail sérieuse. Il faut un équilibre. Il ne faut pas être dans le déni, mais il y a aussi des implantations locales qui comptent lors des législatives ». « A minima » pour EELV, « c’est un pacte de non concurrence, on ne s’élimine pas mutuellement des seconds tours possibles ». Pour compliquer un peu plus les choses, « Le souffle », aile gauche d’EELV, remet en cause la légitimité de la direction à négocier avec LFI. « C’est normal que les gens qui sont déçus, au lendemain d’une élection loupée, expriment leur frustration », minimise David Cormand.

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Il reste peu de temps pour conclure. Les forces en présence peuvent se laisser deux semaines, trois maximum, car après, il faudra faire campagne. « Il y a un chemin mais c’est difficile. Car pour que ça marche, il faut une volonté réelle et sincère de la part de LFI d’y parvenir », prévient le député européen EELV, « il faut passer d’une culture d’hégémonie à une culture de rassemblement ». « Je ne dis pas que les discussions ne sont pas possibles », dit Eric Coquerel, « il y a toujours des corrections, mais on va garder la même échelle, que ce soit sur le programme ou le reste ». « Tout le monde se parle », assure Pierre Jouvet. Mais comme le rappelle le socialiste, « l’union est un combat ». Il y a des choses qui ne changent pas à gauche.

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