Après le meeting du Zénith, petits (et grands) questionnements chez certains soutiens de Valérie Pécresse

Après le meeting du Zénith, petits (et grands) questionnements chez certains soutiens de Valérie Pécresse

Au lendemain du meeting de la candidate LR, les poids lourds de la droite saluent le fond et excusent la forme, qui pouvait manquer d’incarnation. L’utilisation du terme « grand remplacement », même pour le critiquer, fait débat. Xavier Bertrand a évoqué le sujet en interne. « C’est une erreur stratégique majeure », dénonce le sénateur centriste Loïc Hervé, « ça mène à l’échec ».
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De ces grands discours, passages obligés de toute campagne présidentielle, on ne retient en général pas grand-chose. Au mieux quelques formules et des images. Difficile de dire ce qui restera sur le long terme du meeting de Valérie Pécresse, dimanche au Zénith de Paris. Au lendemain, on parle en tout cas des critiques sur la forme, avec une candidate qui scande, parfois maladroitement, plus qu’elle n’incarne. Et un début de polémique autour de l’emploi du vocabulaire de l’extrême droite, et d’Eric Zemmour en particulier, quand elle dit : « Je ne me résigne ni au grand déclassement, ni au grand remplacement ».

« On est beaucoup plus dur avec elle parce que c’est une femme » selon Florence Portelli, qui dénonce des attaques « hypersexistes »

Devant ses locaux de campagne, dans le XVIIe arrondissement de Paris, ce matin, les caciques de la droite arrivent pour la réunion stratégique du lundi. Officiellement, tout va bien. « J’ai trouvé que c’était un excellent meeting », salue Christian Jacob, patron des LR. « Pourquoi il y aurait une réunion de crise ? » s’étonne le député, répondant à la presse. La candidate arrive. « Je pense que l’exercice était fort, avec une droite qui est de retour. 7.500 militants qui étaient là, attentifs et boostés. Et un projet de nouvelle France », lance Valérie Pécresse (voir les images de Jonathan Dupriez). En creux, elle reconnaît et assume ses limites sur la forme :

Si vous voulez des beaux parleurs, vous en avez plein dans cette campagne. Si vous voulez quelqu’un qui fait, je crois qu’il n’y a pas grand monde.

« On sait parfaitement que ce n’est pas sa forme favorite, les grands meetings », tempère Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR. Florence Portelli, porte-parole de Valérie Pécresse, « pense qu’on est beaucoup plus dur avec elle parce que c’est une femme », elle trouve les attaques sur sa voix « hypersexistes », « c’est scandaleux ». « Et Emmanuel Macron, en train de beugler au micro, en 2017, personne n’a dit que c’était un piètre orateur », selon la vice-présidente du conseil régional d’Ile-de-France. Elle ajoute : « On n’attend pas d’elle qu’elle soit un animateur télé, mais un président de la République capable de parler d’égale à égale à Poutine, qui sache s’occuper des retraites et de la désertification médicale. Le reste, je m’en fous complètement ».

« Pour une femme, c’est toujours plus compliqué de poser sa voix »

Hors micro, un membre de l’équipe de campagne donne son explication : « Pour une femme, c’est toujours plus compliqué de poser sa voix ». Un peu comme un François Hollande qui tentait de se donner des airs de François Mitterrand, en 2012, la candidate a cherché à prendre un ton plus grave qu’au naturel, quitte peut-être à fatiguer ses cordes vocales en fin d’exercice. Face à l’ambiance des militants, la régie a dû « augmenter le son de sa voix, car on l’entendait mal sinon, avec les applaudissements ». A l’image, derrière l’écran, ça donne une candidate qui fait de longues pauses, avant de reprendre, renforçant la drôle d’impression. « Ce ne sera pas celle qui fera les plus grands discours », dit-on, « mais je suis convaincu qu’elle sait faire », assure le staff. Lors de la réunion interne, Valérie Pécresse a reconnu qu’elle pouvait améliorer les choses, selon un participant. « Elle a fustigé certains commentateurs, notamment les chaînes infos en continu. En clair, BFM, c’est Macron et CNews, c’est Zemmour », résume un élu.

Pour Eric Ciotti, on a surtout « trop accordé une place majeure à la communication ces dernières années. La com', c’est Macron », lance le finaliste de la primaire interne des LR, pour qui « l’essentiel, c’est le fond ». Et le député des Alpes-Maritimes a toutes les raisons de s’y retrouver. Bruno Retailleau aussi. « Il n’y a pas de tabou » à employer le terme de « grand remplacement », a assuré dans la matinale de Public Sénat le président du groupe LR du Sénat. Avant la réunion du comité, il salue encore le discours et sa « ligne de droite totalement assumée » (voir ci-dessous). Celui qui est chargé d’organiser les « 100 premiers jours » pointe « le lynchage médiatique, jusqu’à inverser la signification » sur « le déclassement et le remplacement ».

« Il n’y a pas de grand remplacement en France. Et il n’y en aura jamais »

Mais à utiliser le terme de « grand remplacement », ne risque-t-elle pas de lui donner du crédit et d’éloigner les électeurs du centre droit, tentés par Emmanuel Macron ? « C’est un vieux débat de dire qu’on est trop à droite. Il est assez ridicule. Il est en général porté par les gens de gauche. Mais les électeurs attendent de vraie réponse. Ils ne cherchent pas à savoir si les réponses sont de droite ou d’ailleurs », rétorque Eric Ciotti.

Lire aussi : Le « grand remplacement » : la trajectoire politique d’une thèse complotiste

Reste que les positions diffèrent encore fortement à droite sur le « grand remplacement », point de fixation. « A titre personnel, je trouve que c’est un danger qui existe, et je trouve très bien qu’elle en ait parlé. Notre campagne doit se faire à droite. On ne la gagnera pas à gauche. Si on ne fait rien de sérieux, le grand remplacement aura lieu », soutient le sénateur LR et ancien secrétaire d’Etat, Alain Joyandet, quand la porte-parole Florence Portelli dit « clairement qu’il n’y a pas de grand remplacement en France. Et il n’y en aura jamais ». Même son de cloche de Geoffroy Didier, responsable du pôle communication : « Sur le grand remplacement, elle n’a dit que ce qu’elle avait dit lors des débats de la primaire. C’est un concept qu’elle rejette. C’est une théorie qu’elle rejette et abhorre ».

« Xavier Bertrand trouve que ça patine trop dans les départements »

Reste que lors de la réunion du comité stratégique, Xavier Bertrand a pris la parole pour dire qu’« il faut clarifier, dire que le grand remplacement, ce n’est pas nous », selon un journaliste de France Télévision. Des propos que confirme à publicsenat.fr. un participant. « Il a dit qu’il faut réexpliquer clairement pour qu’il n’y ait pas de confusion », précise-t-on. Le président des Hauts-de-France a aussi souligné qu’« il faudra embrayer sur le terrain. Car ça n’embraie pas assez, avec les militants, les responsables. Il trouve que ça patine trop dans les départements. Il ne suffit pas d’avoir des comités de soutiens », rapporte-t-on. Jean-François Copé, ancien numéro 1 de l’UMP, a lui enjoint la candidate à « marquer la barrière avec les extrêmes ».

Ces conseils d’amis sont symptomatiques de la difficulté de la candidate à joindre les deux bouts. Ou à s’extirper de la tenaille, sortir du marteau et l’enclume. Soit une forte pression de l’extrême droite d’un côté, et la capacité à ne pas perdre l’électorat de centre droit modéré de l’autre. La quadrature du cercle.

« Si c’est ça la ligne, ça me pose un vrai problème » prévient Loïc Hervé

Chez une partie des centristes qui sont restés fidèles à la droite républicaine, la ligne bien à droite de Valérie Pécresse fait tousser. Illustration avec Loïc Hervé, sénateur de la Haute-Savoie. Sans filtre. « La ligne de Valérie Pécresse représente une droite modérée, de centre droit, libérale, européenne, pas seulement focalisée sur les questions de sécurité et d’immigration, qui assume une forme de modération politique. Et hier, au-delà de la forme du meeting, sur le fond, ce n’est pas possible. On ne peut pas avoir dans la bouche les mots de Ciotti, voire les mots de Zemmour. Comment voulez-vous gagner une élection présidentielle dans ces conditions-là ? » demande le sénateur, membre des Centristes, le parti d’Hervé Morin, soutien de la candidate. Loïc Hervé ajoute :

Il ne faut pas être dans une course à l’échalote derrière des théories fumeuses comme le grand remplacement.

Le centriste n’en démord pas. Il pointe « la manière dont la question européenne est abordée. Mais bon sang, on est quand même les héritiers de Schuman ! » « Si vous employez les mots de Zemmour ou de Le Pen dans un discours, et que vous êtes la candidate de droite et du centre, vous alimentez la campagne de vos concurrents et vous risquez de perdre les modérés », alerte Loïc Hervé. « Quand vous écoutez Eric Ciotti expliquer sa définition du grand remplacement, je me dis que l’infusion d’un certain nombre de concepts dans la droite républicaine me fait froid dans le dos », ajoute-t-il. « Si c’est ça la ligne, ça me pose un vrai problème », lâche le sénateur, qui attendait plutôt « un grand discours sur les libertés. Ne pas le faire, c’est laisser au Président l’occasion de le faire. C’est faire un cadeau à Emmanuel Macron. C’est une erreur stratégique majeure ». Pour le centriste, l’issue ne fait pas de doute : « Ça mène à l’échec ».

Il n’y a « jamais eu la moindre complaisance avec les idées d’extrême droite » chez Valérie Pécresse

Une lecture très dure que ne partage pas Hervé Marseille, président du groupe Union centriste du Sénat. Sur le grand remplacement, « je pense que c’est un mauvais procès. Si vous lisez ce qu’elle a dit, c’est au contraire pour le contester. Elle n’a jamais dit qu’elle défendait le grand remplacement », rappelle le sénateur UDI des Hauts-de-Seine, qui souligne qu’il n’y a « jamais eu la moindre complaisance avec les idées d’extrême droite » chez Valérie Pécresse. S’il est « clair que les électeurs centristes se reconnaissent davantage dans la politique familiale, la valeur travail, la décentralisation et l’Europe, ça ne veut pas dire qu’ils sont désintéressés de la nécessité d’ordre républicain », soutient Hervé Marseille.

L’ancien premier ministre Edouard Balladur, qui a pu en son temps parler justement à une droite centriste et libérale, est venu ce matin exprimer son « soutien » à la candidate. « Je suis persuadé qu’elle a trouvé en elle la force pour convaincre que son projet pour notre pays était le meilleur », pense Edouard Balladur, à 92 ans. « C’est un soutien important, car c’est un homme politique qui compte et qui a compté. C’est un premier ministre qui a modernisé la France. Et c’est ce que je veux être », lance Valérie Pécresse. Confondre le « faire » et l’« être », un bon résumé des questions existentielles qui traversent la droite et le centre.

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