Arabie saoudite : un État religieux aux timides réformes

Arabie saoudite : un État religieux aux timides réformes

À 32 ans le prince saoudien Mohammed Ben Salmane a décidé de changer les règles du royaume : religion, place des femmes, culture… Celui qu’on surnomme MBS arrivera-t-il à faire ces réformes dans un pays où le wahhabisme impose une lecture littérale de l’islam ? De la signature en 1945 des premiers accords de non-ingérence avec les États-Unis au 11 septembre 2001 et l’attaque contre le World Trade center, quel rôle jouent les États-Unis dans cette histoire ? Allié ou ennemi ?
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Par Priscillia Abereko

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1946, l’Arabie saoudite un leader dans le monde arabe

En 1946, quatorze années après la fondation de l’Arabie saoudite, un rapprochement s’opère entre les nations arabes. Abdelaziz Ibn Séoud, le fondateur du royaume wahhabite, est reçu en grande pompe au Caire par le roi Farouk. Cette visite officielle confirme la place du roi d’Abdelaziz face aux autres pays arabes : il est le leader du monde arabe. Une position acquise depuis plusieurs années déjà pour l’historien Philippe Pétriat : « en 1946, le roi Abdelaziz a déjà une position importante dans le monde arabe et notamment vis-à-vis de l’Égypte qui était le grand pays du Moyen-Orient, au moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ce qui est intéressant c’est qu’avant cela, pendant une dizaine d’années, il y a eu une période de grand trouble entre l’Arabie saoudite et l’Égypte, des troubles notamment liés à la question du pèlerinage à la Mecque qui fait de l’Arabie saoudite un très grand pays pour le monde arabe mais aussi pour le monde islamique ».

« On sent vraiment l’influence des Américains sur les Saoudiens. Cette mainmise elle est omniprésente ».

1957, le partenaire américain

En 1957, l’Arabie Saoudite a besoin d’alliés au-delà du monde arabe. Les Saoudiens se tournent alors les États-Unis. Pour la première fois, le successeur du roi Abdelaziz Ibn Séoud, Saoud Ben Adelaziz Al Saoud va être accueilli par le président Eisenhower dès sa descente d’avion. Un accueil privilégié qui en dit long sur la relation établie entre les deux pays depuis le Pacte de Quincy, scellé en 1945. Un accord mythifié pour l’historien Philippe Pétriat : « après la Seconde guerre mondiale, progressivement les États-Unis deviennent un des partenaires majoritaires pour l’Arabie saoudite, ce qu’ils n’étaient pas auparavant […]. C’est la rencontre sur le navire du Quincy qui créa un grand mythe, l'accord stipulait : une protection américaine contre du pétrole même si en réalité sur ce navire on a plutôt parlé agriculture et Palestine essentiellement […]. Il n’empêche que cette rencontre a ensuite servi de marqueur pour montrer à quel point les États-Unis par le biais de l’Aramco, en particulier la compagnie pétrolière, sont devenus un partenaire économique et militaire principal pour l’Arabie saoudite ».

Une présence établie depuis l’implantation de la première base militaire américaine sur le sol saoudien, qui se ressent encore aujourd’hui selon la journaliste Clarence Rodriguez, qui y a vécu pendant douze années en Arabie saoudite. Elle explique « quand on va visiter l’Aramco, dans l’Est de l’Arabie saoudite, on entre dans une grande ville aménagée à l’américaine. Les femmes aussi conduisent ou plutôt conduisaient car maintenant toutes dans la société saoudienne y sont autorisées. On sent vraiment l’influence des Américains sur les Saoudiens. Cette mainmise est omniprésente ».

1973, un État religieux

En 1973, dix ans après le règne de Saoud Ben Abdelaziz, le roi Fayçal s’empare du trône. Ce nouveau chef de l’État d’Arabie Saoudite, va à son tour se considérer comme le gardien de l’islam car régnant sur les terres du Prophète Mahomet. Une double casquette qu’admet l’historien Philippe Pétriat : « Fayçal a su très habilement maîtriser une image de roi s’inscrivant à la fois dans la tradition saoudienne mais aussi du roi réformateur. On a souvent retenu que c’était lui qui avait réformé l’État en passant sous silence ce que son frère avait fait avant lui ».

Plus qu’un réformateur, la journaliste Clarence Rodriguez voit par certains des actes du roi Fayçal « un révolutionnaire » : « le roi Fayçal a été l’un des premiers à permettre l’éducation des femmes, c’était déjà presque un révolutionnaire à cette époque. Il a bousculé les diktats dans ce pays où les femmes étaient très isolées ».

1976, le pétrole comme arme

Au milieu des années 70, le pétrole devient une arme pour les Saoudiens. Ils vont jouer sur le volume de production pour faire pression sur les Américains. Une stratégie commencée depuis les années 60 selon l’historien Philippe Pétriat : « Fayçal avait soutenu la création d’une organisation des pays exportateurs de pétrole largement menée par l’Arabie saoudite. Cette organisation faisait déjà du pétrole une possible arme économique, ou en tout cas, un instrument des relations diplomatiques internationales ». Ainsi, le but des Saoudiens était, pour Philippe Pétriat de « soutenir les pays du Front, financièrement notamment, qui mènaient la guerre contre Israël ».

Cette décision a des conséquences importantes à l’échelle mondiale : le choc pétrolier de 1973 et celui de 1979, engendrant une hausse des prix de l'or noir en Occident. Pour l’Arabie saoudite à l’inverse, c'est le boom économique et urbain, appelé « tafra».

1986, les femmes privées de droit

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En 1986, un reportage télévisé de France 2 nous plonge dans le quotidien d’une femme saoudienne, Jasmine. À cette époque, les femmes ne disposent pas des mêmes droits que les hommes. Conduire notamment, leur est formellement interdit. Une situation que la journaliste Clarence Rodriguez connaît bien. Elle explique : « les femmes en Arabie saoudite sont sous le tutorat masculin d’un père, d’un mari ou d’un fils lorsque celle-ci est veuve. J’ai eu l’occasion de rencontrer des femmes de 50 ans, chefs d’entreprise sous la tutelle de leur fils de 18 ou 20 ans ».

Depuis l’arrivée du prince héritier Mohammed Ben Salmane en juin 2017, la société saoudienne commence à évoluer : les femmes ont désormais le droit de conduire, de se rendre dans des salons dédiés à l’automobile ou encore au stade afin d’assister à un match de football. De nouvelles réformes certes positives mais qui ne sont pas les plus urgentes selon Clarence Rodriguez : « c’est très bien que les femmes saoudiennes soient autorisées à conduire car à ça leur donne un peu plus d’autonomie […] mais il ne faut pas croire que derrière ses microréformes la femme devient libre. Non. Il y a une réforme fondamentale selon moi, c’est l’abolition du tutorat ».

2001, Oussama Ben Laden le Saoudien

En 2001, un Saoudien engendre la terreur : Oussama Ben Laden. Celui qui est considéré comme étant l’instigateur des attentats visant le World Trade Center aux États-Unis le 11 septembre 2001, représente peu à peu en Arabie Saoudite une alternative à la famille régnante, les Saoud. L'historien Philippe Pétriat explique « en 2001, Oussama Ben Laden représente une alternative depuis une dizaine d’années. Il y a eu en Arabie saoudite un mouvement, une sorte de réveil religieux en partie menée et motivée par l’arrivée de frères musulmans qui ont fui l’Égypte et qui ont beaucoup enseigné dans les universités saoudiennes, qui se développent dans les années 60 et 70. Tout cela a donné lieu à une radicalisation islamique ou en tout cas une opposition à la famille Saoud sous des termes islamiques. Cette opposition s’est manifestée par une prise d’otages dans le haram de la Mecque en 1979 et surtout pendant la Guerre du Golfe en opposition, à l’appel lancé par les autorités saoudiennes aux troupes américaines de stationner sur leur sol, ce qui est apparu comme un scandale y compris religieux pour beaucoup d’opposants à la famille Al Saoud comme Oussama Ben Laden ». À cette époque, faire appel à des étrangers non musulmans, sur la terre des lieux saints choque. On reproche à la famille Al Saoud d’être dépendante des Américains.

Une opposition qui se ressent encore aujourd’hui en Arabie saoudite selon Clarence Rodriguez : « en Arabie saoudite, la majorité de la population est conservatrice. Peu de gens aspirent à la modernité. C'est un pays de musulmans très pratiquants. » Un point de vue que ne semble pas totalement partager l’historien Philippe Pétriat: « j’ai l’impression qu’il y a quand même aussi une volonté de réformes importantes et que les gens adhèrent plutôt à des réformes qui certes ne doivent pas heurter un élément essentiel de l’identité saoudienne qui est l’aspiration à être en accord avec la religion islamique ».

Un chemin vers la modernité de la société saoudienne qui semble encore long, mais des initiatives du prince héritier MBS qui sont quant à elles, prometteuses.

 

Bibliographie:

  • Arabie Saoudite 3.0 de Clarence Rodriguez, éd Erickbonnier
  • Le négoce des lieux saint de Philippe Pétriat, éd La Sorbonne
  • L'Annuel de l'AFP 2017

 

Retrouvez l'intégralité de l'émission présentée par Fabrice d'Almeida, samedi à 8h30 et 15h30, dimanche à 12h et lundi à 23h.

 

 

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