Assurance chômage : le gouvernement dévoile une réforme qui fait l’unanimité contre elle

Assurance chômage : le gouvernement dévoile une réforme qui fait l’unanimité contre elle

Le Premier ministre et la ministre du Travail ont présenté leurs arbitrages sur la transformation du système d’assurance chômage. La réforme prévoit un durcissement des conditions d’éligibilité aux allocations, une dégressivité des droits pour les cadres, et un système de bonus-malus pour les entreprises de 7 secteurs d’activité. Syndicats et patronat ne décolèrent pas.
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Les grandes lignes, dans leurs principes, avaient été annoncées dès février à Matignon, les détails avaient fuité ces dernières heures dans la presse. Mais les partenaires sociaux, qui se succèdent au micro sur le perron de Matignon, ne décolèrent pas, et semblent sonnés après la réforme de l’assurance chômage, présentée ce mardi 18 juin à la mi-journée par le Premier ministre et la ministre du Travail. Le gouvernement avait repris la main cet hiver sur ce dossier ouvert depuis la fin 2017, après l’échec des négociations entre les partenaires sociaux.

Pour des raisons différentes, le texte – dont l’objectif est de lutter contre la précarité professionnelle, de diminuer le taux de chômage et de réduire le déficit du régime de l’Unédic – a déplu aux organisations syndicales, et au patronat.

« On a une réforme qui est perdante, archi-perdante pour l'ensemble des demandeurs d'emploi », dénonce Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, dans des mots inhabituellement forts. La CFDT se montre « abasourdie » par cette une réforme « profondément injuste ». Les autres syndicats sont tout aussi remontés. Des mesures « iniques » qui « mettent en colère » la CGT. « Il n’y a que des perdants aujourd’hui », s’écrit Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière.

Assurance-chômage : « On a une réforme qui est archi-perdante », dénonce Laurent Berger (CFDT)
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« On a une réforme qui est archi-perdante », dénonce Laurent Berger (CFDT)

Durcissement des conditions d’éligibilité pour l’ensemble des demandeurs, et dégressivité des allocations pour les plus hauts revenus

Défendant l’instauration de nouvelles règles pour inciter davantage à la reprise d’un emploi, le gouvernement s’apprête à modifier les conditions pour prétendre à une indemnisation. Actuellement, il suffisait d’avoir travaillé 4 mois au cours des 28 derniers mois. Désormais, il faudra justifier six mois d’activité sur les 24 derniers. « Les règles actuelles datent de 2009, c'est-à-dire d'une époque où il fallait amortir le choc de la crise économique et financière. Aujourd'hui, la conjoncture est meilleure. Il est donc normal que les règles d'accès changent aussi », a justifié le Premier ministre.

Sur 6,3 millions de demandeurs d’emplois inscrits à Pôle Emploi à la fin 2017, 57% étaient indemnisables, et 41% seulement étaient effectivement indemnisés par l’Assurance chômage. Avec la nouvelle réforme, la CGT craint que l’on passe d’un système où un demandeur sur deux est indemnisé, à une proportion d’un sur trois.

Les conditions de rechargement des droits sont aussi durcies. Les allocataires devront avoir travaillé six mois pendant leur période de chômage pour voir leur période d’indemnisation prolongée d’autant. Actuellement, seul un mois d’activité était nécessaire.

Un mécanisme de dégressivité est aussi introduit pour diminuer les allocations touchées par les hauts-revenus. S'ils ont moins de 57 ans, les demandeurs d'emploi qui ont un salaire mensuel supérieur à 4.500 euros brut verront leur indemnisation réduite de 30 % à partir du septième mois. Selon le gouvernement, ces personnes sont qualifiées et leur taux de chômage n’est que de 3,8 %, 5 points de moins que pour l’ensemble des actifs. « Il faut bien admettre qu’un certain niveau d’indemnisation n’incite pas à un retour à l’emploi », considère Muriel Pénicaud. Le Premier ministre n’a pas manqué de souligner que le plafond de l’allocation était « largement supérieur à la moyenne européenne ». Or, il faut rappeler que seulement 5 % des allocataires touchent une indemnité chômage supérieur à 1810 euros net. Et 0,05 % touchent l’allocation maximale de 6615 euros net (chiffre de la fin 2017).

François Hommeril, président confédéral de la CFE-CGC, ne digère pas cette mesure frappant les cadres. « C’est un jour funeste pour le régime d’assurance chômage. Le gouvernement s’attaque à un principe fondateur du régime : son caractère assurantiel », déplore-t-il. L’injustice est palpable, selon lui. Car les cadres financent 42% des ressources de l’Unédic mais n’en consomment que 15%.

La mesure relève en effet plus du symbole politique sans doute destiné à gommer l’image « président des riches » : elle ne dégagera que 210 millions d’économies. Une goutte d’eau comparé aux 3650 millions d’économies que générera la réforme dans tous ses aspects pour les finances de l’Unédic. Les nouvelles règles d’éligibilité et de rechargement des droits représentent à elles seules 78 % du total de l’effort.

Tous ces règles s’appliqueront dès le 1er novembre 2019, seulement aux nouveaux entrants. Il n’y aura pas d’application rétroactive aux chômeurs qui touchent déjà une allocation.

Le gouvernement modifie également les règles de calculs, complexes, qui étaient trop favorables à certaines situations d’alternance entre courtes périodes d’activité et d’emploi. Selon l’exécutif, 20 % des demandeurs d’emploi indemnisés touchaient une allocation de retour à l’emploi plus importante que leurs anciens salaires. Désormais, l’allocation sera calculée en fonction du revenu mensuel moyen. La logique est la suivante selon la ministre du Travail : « À travail égal, allocation égale ». Une façon d’éviter que les personnes alternant les périodes de contrats courts et d’inactivité soient mieux indemnisées que les personnes travaillant en continu, mais à temps partiel. « Personne ne verra son capital de droits diminué. Il sera juste réparti différemment dans la durée », cherche à rassurer Muriel Pénicaud. L’allocation ne pourra ni être inférieure à 65 % du salaire mensuel moyen (net), ni être supérieur de 96 %.

Un système de bonus-malus qui hérisse le patronat

La réforme englobe aussi un mécanisme de « responsabilisation » des employeurs, pour faire reculer la précarité professionnelle, qui coûte cher au système de l’Assurance chômage. Selon Édouard Philippe, les contrats courts se sont développés « jusqu’à l’excès » : aujourd’hui, 70 % des embauches correspondent à des emplois de moins d’un mois. Le gouvernement ouvre la voie à l’instauration d’un système de bonus-malus pour pénaliser les entreprises qui abusent de ces contrats, et récompenser, dans une logique incitative, les plus vertueuses. En clair, plus le nombre de salariés envoyés à Pôle Emploi sera élevé, plus les cotisations employeur à l’Assurance chômage le seront. Leur niveau entre 3 et 5 % de la masse salariale de l’entreprise (la cotisation est à 4,05 % actuellement). Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef a dénoncé une « vision punitive de l’économie qui aura très peu d’effets ». Le patronat trouve néanmoins que les autres mesures vont dans le bon sens.

Bonus-malus sur les contrats courts : une « vision punitive de l’économie », regrette Roux de Bézieux
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Bonus-malus sur les contrats courts : une « vision punitive de l’économie », regrette Geoffroy Roux de Bézieux (Medef)

Tous les secteurs d’activité ne seront pas concernés par ce mécanisme, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2020 : seuls 7 ont été listés, parmi lesquels l’hôtellerie-restauration, l’industrie agroalimentaire, ou encore le transport. Le bâtiment, le spectacle, les services à la personne sont en revanche épargnés.

Le gouvernement entend parallèlement stopper l’expansion des CDD d’usage, ces CDD aux conditions particulières comportant quelques dérogations (pas de prime de précarité, succession de contrats dans la même entreprise facilitée). Selon l’exécutif, ces types de contrats représentent 8 signatures sur 37 chaque année. Pour en limiter le nombre, une taxe forfaitaire de 10 euros frappera tous les CDD d’usage.

Le gouvernement insiste sur le meilleur accompagnement des chômeurs

Outre le bonus-malus, la réforme entérine également des promesses de campagne d’Emmanuel Macron, comme la création de « nouveaux droits ». Les démissionnaires pourront être indemnisés s’ils ont un projet professionnel en vue, mais ce droit ne sera applicable qu’une fois tous les 5 ans. Les indépendants, sans cotisations supplémentaires, pourront aussi faire valoir leurs droits à l’Assurance chômage. Ils toucheront 800 euros par mois pendant 6 mois, à condition d’avoir perçu un revenu moyen de 10 000 euros sur les deux dernières années.

Dans sa stratégie visant « tous les angles possibles » pour faire reculer le chômage d’ici 7% de la population active d’ici 3 ans (contre 8,8 % actuellement), le gouvernement table aussi sur un meilleur accompagnement des demandeurs d’emploi, l’ « élément positif » de la réforme selon la CFDT et d’autres syndicats. Le ministère du Travail s’engage ainsi à « arrêter la diminution » des effectifs qui était engagée à Pôle Emploi. Plus de 1000 agents seront même recrutés dans les trois dernières années du quinquennat. Le gouvernement compte aussi sur la numérisation et la baisse conjoncturelle du chômage pour dégager du temps supplémentaire pour les agents. Au total, le gouvernement, avec sa panoplie de mesures, espère faire diminuer le nombre de chômeurs de 150 000 à 250 000.

Mais ce volet, qui sera aussi garni de mesures d’accompagnements personnalisées selon les régions (en termes d’aides au transport par exemple), ne suffit pas à calmer la colère des syndicats. La ministre du Travail reconnaît elle-même que son texte, dont le décret est attendu à la fin de l’été, ne plaira pas. « C’est une réforme difficile, mais elle est importante. Le statu quo n’est pas acceptable », résume-t-elle. La CGT appelle déjà à des actions de mobilisation dans la rue.

Assurance-chômage : « C’est une réforme difficile, mais elle est importante » (Muriel Pénicaud)
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« C’est une réforme difficile, mais elle est importante » (Muriel Pénicaud)

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