Avec le référendum, Macron peut-il répondre à la crise ou fait-il « diversion » ?

Avec le référendum, Macron peut-il répondre à la crise ou fait-il « diversion » ?

L’hypothèse d’un référendum le jour des européennes est sur la table d’Emmanuel Macron. Techniquement, le délai serait court pour l’organiser. Politiquement, ce référendum fait débat. Certains, jusque dans la majorité, dénoncent un affaiblissement du scrutin européen. D’autres y voient une manière de « détourner l’opinion ».
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On est en plein grand débat. Les réunions se multiplient sur le territoire. Mais l’exécutif pense déjà à la suite. Elle pourrait prendre la forme d’un référendum à questions multiples. L’idée avait déjà été évoquée en tout début d’année. En recevant quelques journalistes le 31 janvier, Emmanuel Macron a confirmé que l’hypothèse était « sur la table ». Il ne « l’exclu(t) pas ». Selon le JDD, il serait prêt à organiser ce référendum le 26 mai, le même jour que les élections européennes. Les questions pourraient reprendre des éléments de la réforme institutionnelle – baisse du nombre de parlementaires, proportionnelle, non-cumul dans le temps – et d’autres sujets issus du grand débat s’y ajouteraient, comme la prise en compte du vote blanc.

« Redonner un élan » à Emmanuel Macron

Pour Emmanuel Macron, cela lui permettrait de consulter des Français, alors que beaucoup ne se sentent pas ou plus écoutés. Les Français demandent la parole, il leur donne.

Politiquement, un référendum réussi, c’est-à-dire avec une majorité de « oui », permettrait au chef de l’Etat de se remonétiser pour mieux aborder la suite de ses réformes. Manière de se « redonner un élan » selon un responsable de la majorité, tout en évitant que la consultation se transforme en référendum pro ou anti Macron. « Avec plusieurs questions, il n’y a pas de risque » pense le même.

Autant de projets de loi que de questions posées

Techniquement, le référendum s’appuierait sur l’article 11 de la Constitution, qui peut porter sur l’organisation des pouvoirs publics. Avoir plusieurs sujets ne serait pas une première. « Un référendum sur plusieurs questions est déjà arrivé en 1945, lors du passage de la IIIe à la IVe République » souligne Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur à l’université de Lille. Il faut en revanche « autant de projets de loi que de questions posées ». Au niveau des délais, en soi « il est possible d’organiser un référendum d’ici le 26 mai, d’autant plus qu’apparemment le ministère de l’Intérieur a commencé à s’y préparer. Le seul délai légal, c’est la durée de la campagne référendaire, qui est de 15 jours » souligne le professeur de droit.

Mais Dominique Rousseau, constitutionnaliste à la Sorbonne, est moins catégorique. « D’un point de vue juridique, c’est quasi infaisable car le Conseil constitutionnel doit donner un avis sur les décrets qui organise le référendum. Généralement, il a besoin d’au minimum deux mois pour donner son avis », a-t-il souligné sur Public Sénat. Or le grand débat se termine le 15 mars, ce qui laisse très peu de temps. « Ou alors on le fait à l’arrache. Mais dans ce cas, ce n’est plus un référendum, c’est un plébiscite » souligne Dominique Rousseau. Regardez :

Organiser un référendum lors des européennes est « d’un point de vue juridique quasi infaisable » selon Dominique Rousseau
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Selon le code électoral (l'article L558-45), le cas de l’organisation de plusieurs référendums (et donc de plusieurs questions) en même temps est prévu. Les électeurs répondent sur un seul bulletin. Il faudrait donc deux urnes : une pour le référendum et une pour les européennes. Une question logistique à régler pour les communes. Il faut suffisamment d’urnes.

« Il peut y avoir une autre issue. Le Président décidera »

Politiquement, l’idée d’un référendum a germé dans les têtes des responsables de la majorité présidentielle dès la fin d’année 2018. Le président du groupe LREM, François Patriat, avait été l’un des premiers, à l’évoquer. « Le 15 décembre, j’ai dit qu’il faudrait une issue politique. La meilleure réponse pouvait être le référendum. Maintenant, c’est une hypothèse retenue. Mais il faudra voir si dans un ou deux mois c’est toujours la réponse possible. Si ça l’est, c’est bien, mais ça peut être une autre issue. Ça peut être législatif. Le Président décidera » souligne François Patriat à publicsenat.fr.

Même prudence de son homologue de l’Assemblée nationale, ce lundi matin. « Aujourd’hui, la décision du référendum n’est absolument pas prise » a affirmé le patron des députés LREM à la sortie de son entretien à l’Elysée. Le chef de l’Etat reçoit cette semaine tous les présidents de groupe parlementaires.

Le sujet fait en réalité débat dans la majorité. Stanislas Guerini, secrétaire général de LREM, « s’interroge sur l'opportunité de le faire le jour des élections européennes ». « La collusion des deux est gênantes » estime aussi le sénateur LREM André Gattolin. Questionnement partagé jusqu’au sein du gouvernement. Pour le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, il n’est « pas souhaitable » de « mélanger les deux », européennes et référendum.

« Pourquoi ne pas poser d’autres questions que celles institutionnelles, comme l’ISF ? »

Même interrogation de Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat, qui craint que « le débat européen passe à la trappe ». Le sénateur du Nord souhaiterait élargir les sujets du référendum. « S’il est considéré comme la sortie du grand débat, pourquoi ne pas poser d’autres questions que celles institutionnelles, comme l’ISF ? » demande Patrick Kanner, qui rappelle l’idée de référendum d’initiative partagée sur l’ISF qu’il a lancé avec Valérie Rabault, à la tête des députés PS.

Sur les 185 parlementaires nécessaires, « en fin de semaine, nous avions 162 signatures. Comme on veut un référendum, là il y en a un qui est tout prêt. Je vais le dire à Emmanuel Macron », qu’il verra vendredi. Mais le Président a exclu jusqu’ici de revenir sur la suppression de l’ISF.

« Emmanuel Macron utilise une technique connue, celle du derviche tourneur »

A droite, le sénateur LR Roger Karoutchi, qui jouit d’une certaine expérience de la vie politique, y voit carrément un subterfuge. « Emmanuel Macron utilise une technique connue, celle du derviche tourneur, c’est-à-dire qu’il veut donner le tournis aux médias et aux Français. Les médias sont perdus » estime l’ancien secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement. Le sénateur LR des Hauts-de-Seine ajoute :

« Il veut détourner l’opinion publique. C’est une diversion. Je reconnais qu’il est très fort. Il a réussi son coup. Il y a deux mois, tout le monde se demandait s’il allait tenir, et là, il a tellement lancé de pistes en tous genres… En fait, il doit être très pasquaïen. Charles Pasqua disait toujours, quand il y a une crise, créez une crise dans la crise pour détourner l’attention ».

Mais pour Roger Karoutchi, « on ne sort ni de la crise sociale, ni de la remise en cause institutionnelle » avec un référendum tel qu’il semble envisagé. « Il faudrait une réforme plus globale qui renouvelle réellement la pratique institutionnelle ».

Contourner le Sénat

Du côté du groupe Union centriste du Sénat, son président, Hervé Marseille, dit « pourquoi pas » à un référendum. Mais lui aussi met en garde : « Il ne faut pas que ça fasse collision avec les européennes, ce n’est pas possible. On y est hostile à l’UDI ». Quant à l’idée de réduire le nombre de parlementaires, ce n’est pas forcément la solution, souligne Hervé Marseille :

« Pour apaiser les problèmes sociaux, donner le scalp de parlementaires ne suffira pas. Le jour où il y aura moins de parlementaires, je ne suis pas sûr que les gens sur les ronds-points iront mieux ».

Passer par référendum pour baisser le nombre de parlementaires aura en revanche un avantage pour le gouvernement : contourner le Sénat, qui entend avoir son mot à dire sur ce point pour assurer une bonne représentation des territoires. Mais se mettre à dos les sénateurs ne serait pas sans risque pour la réforme constitutionnelle, où l’accord du Sénat est nécessaire.

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