Baisse du chômage : le syndrome Jospin menace-t-il Emmanuel Macron ?

Baisse du chômage : le syndrome Jospin menace-t-il Emmanuel Macron ?

Avec 8,1%, le taux de chômage atteint son niveau le plus bas depuis la crise de 2008. Une bonne nouvelle qui n’assure pas à Emmanuel Macron une hausse de sa popularité. La crainte des ministres et de la majorité : le syndrome Jospin, qui avait baissé le chômage mais perdu l’élection présidentielle. Pour y remédier, le chef de l’Etat mise avant tout sur le régalien.
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Entre la difficile réforme des retraites et la polémique sur le congé pour le deuil d’un enfant, c’est une bouffée d’air pur pour Emmanuel Macron : le taux de chômage est en baisse de 0,4 point au quatrième trimestre 2019, selon les chiffres de l’Insee, publiés jeudi 13 février. Il s’établit ainsi à 8,1% de la population active (7,9% pour la seule France métropolitaine), soit le plus bas niveau depuis la crise de 2008. Une baisse amorcée en 2015 sous François Hollande, qui s’est globalement prolongée depuis 2017. La France (hors Mayotte) compte 2,424 millions de chômeurs, soit 85.000 de moins sur le trimestre.

« Certes, il y a des mesures prises dans le quinquennat précédent mais elles sont d’inspiration macronienne. Maintenant, ce sont les mesures prises depuis trois ans : ordonnances travail, mesures fiscales, baisse des charges, formation, apprentissage. Tout cela montre que la politique de l’offre du gouvernement commence à porter ses fruits » salue François Patriat, président du groupe LRME du Sénat.

« On a un risque de jospinisation »

Au-delà des chiffres, Emmanuel Macron peut-il tirer les fruits politiques de la baisse du chômage ? Les gilets jaunes vont-ils être rangés dans leur boîte à gants ? Et les sondages vont-ils remonter ? Rien n’est moins sûr. Car dans toutes les têtes de la majorité, on se souvient d’un certain Lionel Jospin, premier ministre socialiste de 1997 à 2002, candidat à la présidentielle avec un bilan positif sur le front du chômage et… éliminé dès le premier tour de la présidentielle.

Au sein même du gouvernement, on y pense. « On a un risque de jospinisation. On a de bons résultats économiques. Mais ça ne change pas la vie des gens qu’il y ait 1,2% d’augmentation du pouvoir d’achat. C’est un peu déconnecté » confiait en fin d’année 2019 une secrétaire d’Etat du gouvernement Philippe. La même ajoutait :

On a besoin de souffle, de chair, d’être un peu transporté. Personne ne se lève en pensant au PIB. (une secrétaire d’Etat)

« On commence à avoir des résultats. Mais il ne faut pas se leurrer, le seul juge de paix, c’est la perception des Français » ajoute de son côté un autre secrétaire d’Etat. Le risque de jospinisation ? « L’histoire a montré que c’était possible. A la fin, le bilan n’est pas porté par les économistes ou les commentateurs. Il est perçu, ou il ne l’est pas » dit le même.

Un troisième membre du gouvernement, du côté de Bercy, dit plus laconiquement : « Un mauvais bilan peut nous éliminer. Mais un bon bilan ne nous garantit pas de gagner ».

« Le gain politique ne sera pas déterminant »

Chez les parlementaires aussi on a conscience de ce risque. « Économiquement et socialement, c’est une bonne nouvelle. Mais il ne faut pas faire de triomphalisme. Je me rappelle trop de la période Jospin pour penser que les résultats économiques suffiront » met en garde François Patriat, qui était l’un des acteurs de l’époque :

J’étais membre du gouvernement Jospin. On a pensé que la croissance et la baisse du chômage allaient nous donner les clefs du pouvoir… (François Patriat)

« Le gain politique ne sera pas déterminant. Vous n’avez plus aujourd’hui l’idée que le chômage est un point central d’appréciation du gouvernement » estime Sacha Houlié, député LREM de la Vienne. Il ajoute :

On est en passe de réussir mais cette réussite est en train d’être passée sous silence, alors que c’est vraiment une traduction majeure de notre politique.

La baisse du chômage, ça eut payé, mais ça ne paye plus en somme. François Patriat regrette ainsi « qu’aujourd’hui, à chaque fois que ça va mieux, c’est l’insécurité qui repasse devant ». Sacha Houlié fait la même analyse d’une forme d’injustice politique : « Le risque, c’est de ne pas profiter des résultats économiques. Ce n’est plus la priorité des gens. Il y a une forme de normalité à notre réussite ».

« Macron a dit qu’"on ne sera pas jugé sur la baisse du chômage mais sur les sujets régaliens et l’écologie" »

Evidemment, Emmanuel Macron a lui-même conscience de cette limite. Le chef de l’Etat l’a clairement exprimé, lors d’un dîner de la majorité, début juillet dernier. François Patriat y était. Il se souvient : « Il a dit qu’« on ne sera pas jugé sur la baisse du chômage mais sur les sujets régaliens et l’écologie. Je veux que vous vous en empariez ». C’est de la lucidité ». Un mot d’ordre qui s’exprima à la rentrée par le débat sur l’immigration. Et aujourd’hui sur le thème de l’écologie.

Aborder le régalien pour éviter l’effet Jospin, c’est la stratégie qu’applique l’exécutif. Ce qui rassure la majorité. « En 2002, on avait des résultats économiques pas mauvais. Et il y a eu papy Voise. Ça avait cristallisé le vote sur l’insécurité. Mais on n’est pas dans une situation comme celle-là » selon un député LREM, qui a passé un paquet d’années au PS. « Avec Lionel Jospin, il y avait cette idée d’insécurité. Là, on y travaille avec la police de sécurité du quotidien, la question du séparatisme » ajoute de son côté Sacha Houlié. « C’est la différence avec Jospin, le Président mise sur l’économie mais il s’occupe aussi des problèmes de communautarisme. C’est l’ensemble du spectre qui peut rendre crédible sa politique » complète François Patriat.

« Emmanuel Macron est convaincu qu’il sera face à Marine Le Pen » 

Une aspiration régalienne, que le mouvement des gilets jaunes aurait en partie renforcé. « Les gilets jaunes, en ricochet, ont créé une aspiration à l’ordre » pense la secrétaire d’Etat citée plus haut. Avec en ligne de mire 2022 et l’extrême droite. « Emmanuel Macron est convaincu qu’il sera face à Marine Le Pen » soutient la même. De quoi, là encore, pousser le Président sur les thématiques régaliennes. Avec la part d’incertitude quant à la réussite de ce calcul politique.

Pour l’heure, à défaut d’assurer un regain de popularité à Emmanuel Macron, la baisse du chômage pourra peut-être resserrer les rangs au sein d’une majorité qui doute. L’idée fait du moins sourire Sacha Houlié : « Ça ne peut pas faire de mal ! » Mais là non plus, ça ne suffira pas.

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