Check Point : combien de refus d’entrée après les contrôles aux frontières intérieures ?

Check Point : combien de refus d’entrée après les contrôles aux frontières intérieures ?

Conséquence des attentats terroristes et de la crise migratoire, des contrôles ont été temporairement rétablis à plusieurs frontières intérieures de l'espace Schengen depuis 2015.
Public Sénat

Par Thomas Mignon

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Dans une interview accordée à Libération, le candidat à la présidentielle française Emmanuel Macron a évoqué ce phénomène, pointant une Union européenne qui n'assume pas son rôle en la matière. "Le vrai problème de l'Europe sur ce sujet, dit-il, c'est le manque de leadership politique : les États membres ne veulent pas que l'Europe se préoccupe de sécurité."

Le candidat d'En Marche ajoute : "Il faut rappeler que les accords de Schengen permettent de rétablir les contrôles aux frontières en cas d'urgence : en France, depuis le 15 novembre 2015, on a ainsi refusé l'entrée sur le territoire à 73 000 personnes".

Quels sont ces cas d'urgence prévus par les accords de Schengen ? Et ce chiffre de refus d'entrée est-il exact ?

Les rétablissements de contrôles se sont multipliés ces derniers mois. Ils sont d'ailleurs toujours en vigueur en France, et à certaines frontières d'Allemagne, d'Autriche, de Suède, du Danemark et de Norvège.

Chacun ses raisons...

Suivant les pays, la durée varie, le motif également.

S'il on remonte un peu en arrière, on notera que la Belgique avait rétabli les contrôles à sa frontière avec la France le 23 février 2016 en prévision du démantèlement de la "Jungle" de Calais. Le ministre de l'Intérieur Jan Jambon (N-VA) souhaitait par ce dispositif éviter un déplacement des migrants et demandeurs d'asile vers la Belgique. Initialement prévus pour un mois, ces contrôles ont été prolongés à deux reprises, pour être finalement levés le 22 avril.

En France, la situation est tout autre. Ce sont des raisons sécuritaires qui ont été brandies au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Le motif invoqué est la "menace terroriste persistante", mais les contrôles étaient d'ores et déjà prévus en marge de la conférence de l'ONU sur le climat (COP21) qui allait ouvrir ses portes à la fin du mois.

Quant aux autres pays précédemment cités, ils suivent une recommandation du Conseil européen – laquelle a été à nouveau prolongée le 7 février dernier – permettant de maintenir des contrôles à certaines frontières au vu du "nombre significatif de migrants en situation irrégulière et de demandeurs d'asile pouvant venir de Grèce".

Bien que le nombre d'arrivées ait significativement diminué ces derniers temps, le Conseil européen estime que ces contrôles ciblés sont justifiés, le temps de permettre un retour à la normal au sein de l'espace Schengen.

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Quels que soient les motifs, chacun de ces cas peut apparaître comme contraire au principe de libre circulation des accords de Schengen, tel que défini par l'article 1.1 de la convention d'application : "Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans qu'un contrôle des personnes soit effectué".

Prévisibilité et action immédiate

Mais le second point de ce même article permet dans la foulée des exceptions : "Toutefois, lorsque l'ordre public ou la sécurité nationale l'exigent, une Partie Contractante peut, après consultation des autres Parties Contractantes, décider que, durant une période limitée, des contrôles frontaliers nationaux adaptés à la situation seront effectués aux frontières intérieures. Si l'ordre public ou la sécurité nationale exigent une action immédiate, la Partie Contractante concernée prend les mesures nécessaires et en informe le plus rapidement possible les autres Parties Contractantes".

Comprenez que, lorsqu'il est possible de le prévoir, le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières doit être concerté avec les 25 autres pays membres de l'espace Schengen.

En cas d'urgence, ils peuvent néanmoins être rétablis immédiatement. À ce propos, le code frontières Schengen, adapté en 2016, évoque ainsi les "menaces terroristes" et "la criminalité organisée". "La menace" ou "l'urgence" ne sont pas pour autant exactement définis, chaque pays devant en toute circonstance motiver sa décision auprès des États membres et de la Commission européenne.

Ce règlement précise par ailleurs que la mesure doit être limitée à une période maximale de six mois. Face à des situations exceptionnelles – notamment suite à des "manquements graves persistants liés au contrôle aux frontières extérieures" –, cela peut néanmoins aller jusqu'à deux ans.

La France est considérée comme rencontrant ces conditions inhabituelles. Fin janvier dernier, elle a prolongé ses contrôles jusqu'en juillet 2017. Les contrôles auront alors été maintenus durant près d'un an et huit mois.

Près de 1000 personnes non admises en 15 jours

Et qui dit contrôles, dit par conséquent personnes non admises à la frontière. Ils auraient été 73 000 depuis la mi-novembre 2015 selon les dires d'Emmanuel Macron. Mais qu'en est-il ?

Un chiffre a rapidement été donné après la mise en place du dispositif : "Près de 1000 personnes (…) ont été empêchées d'entrer sur le territoire national en raison du risque que ces personnes pouvaient représenter pour l'ordre public et la sécurité" en France, annonçait déjà le 28 novembre 2015 Bernard Cazeneuve, alors ministre français de l'Intérieur.

Il a ensuite fallu attendre les données statistiques annuelles. Au total, durant les moins de deux mois de contrôles menés en 2015, 15 849 étrangers en situation irrégulières se sont vus refuser l'entrée sur le territoire, nous indique le ministère français de l'Intérieur.

L'année suivante, sur douze mois cette fois, 63 732 non admissions sont prononcées aux frontières.

Depuis que les contrôles ont été rétablis, il y a donc eu 79 581 refus d'entrée sur le territoire français. Et cela, sans compter 2017, dont les données ne sont pas encore disponibles. Le total devrait donc être encore plus important.

Sans pour autant en être très éloigné, Emmanuel Macron sous-évalue donc quelque peu le bilan de ces contrôles rétablis aux frontières intérieures de Schengen.

Quid en Belgique ?

Concernant le rétablissement des contrôles à la frontière franco-belge, ni le ministère de l'Intérieur, ni la police fédérale n'ont été en mesure de nous fournir un bilan de ces deux mois d'opérations.

Même écho à l'Office des Étrangers qui ne "consolide pas de statistiques" à ce propos, considérant que "les "contrôles temporaires" ne constituent pas un rétablissement de frontières".

Seuls les "refoulements" à la frontière sont enregistrés (les frontières Schengen belges étant la frontière maritime et les frontières aériennes telle que l'aéroport de Bruxelles-National ou celui de Charleroi). Entendez par refoulement le renvoi dans le pays d'origine des demandeurs d'asile déboutés ou des étrangers qui ne respectent pas les conditions requises pour entrer dans l'espace Schengen.

Il y a ainsi eu 1649 refoulements en 2015, et 1543 en 2016. Quant à 2017, il y a eu, pour les mois de janvier et février, 358 refoulements aux frontières.

 

Retrouvez le Check Point dans l'émission Europe Hebdo jeudi 13 avril à 17h et vendredi 14 avril à 7h et 11h30. 

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