Check Point : est-il vrai de dire que le Parlement européen “n’a quasiment aucun pouvoir” ?

Check Point : est-il vrai de dire que le Parlement européen “n’a quasiment aucun pouvoir” ?

Pour certains, les instances de l'Union européenne sont un appareil complexe où le sentiment d'omnipotence de la Commission domine. En cause : nous connaissons mal nos députés européens et le fonctionnement législatif de l'UE. Mais alors quel est vraiment le rôle du Parlement européen, et a-t-il un réel pouvoir décisionnel ? Décryptage du Check Point.
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Par Ambroise Carton - RTBF

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"Le Parlement européen est fictif. Il n'a quasiment aucun pouvoir." Cette déclaration, c'est Eric Coquerel, député de la France Insoumise, le parti de Jean-Luc Mélenchon, qui l'a faite sur Twitter le 27 septembre dernier.

Tweet Coquerel

 

Plus tôt dans la journée, celui qui est aussi coordinateur du Parti de Gauche était l'invité de la matinale de France Inter. Face à Daniel Cohn-Bendit, qui l'interrogeait sur l’intérêt de lancer des listes transnationales aux élections Européennes, il a affirmé : "On va aller toujours plus en avant pour alimenter un Parlement fictif dans lequel en réalité il n'y a quasiment pas de pouvoir."

 

 

Eric Coquerel a-t-il raison d'affirmer que le Parlement européen "n'a quasiment aucun pouvoir" ? Quels sont les pouvoirs de ce Parlement ? Et quand en a-t-il fait usage par le passé ?

Les pouvoirs du Parlement européen

Si, au début de la construction européenne, le Parlement n'avait qu'un rôle limité, ses missions se sont étendues au fil du temps. Comme l'explique le site officiel de l'UE, le Parlement européen, composé de 750 membres et d'un président, a aujourd'hui trois fonctions principales :

  • Un rôle législatif : dans l'Union, c'est la Commission européenne qui a le monopole de l’initiative. Les Commissaires européens sont les seuls à pouvoir proposer des textes. Ceux-ci sont ensuite débattus à la fois par le Conseil de l’Union européenne (qui rassemble, pour un sujet donné, les ministres compétents de chaque pays) et par le Parlement européen ;
  • Un rôle de surveillance : en clair, le Parlement a un droit de regard sur le travail de la Commission. Il élit le président de cette Commission et a le pouvoir de la faire démissionner ;
  • Un rôle budgétaire : le Parlement approuve le budget de l'UE, en collaboration avec le Conseil de l'UE.

Ces pouvoirs ne seraient-ils que fictifs ? Une sorte de façade pour donner aux citoyens l'impression d'une Europe démocratique ? C'est ce qu'estime Jean-Luc Mélenchon, qui parle sur son blog de "faux pouvoirs du Parlement européen".

L'historien français Emmanuel Todd était du même avis à la veille des élections européennes de 2014. "Nous avons affaire à un 'Parlement Potemkine', un vernis démocratique pour un système qui ne l'est pas. En toute confidence, les eurodéputés eux-mêmes ne se font pas beaucoup d'illusions", déclarait-il dans une interview au site Herodote.net.

Check Point: est-il vrai de dire que le Parlement européen "n'a quasiment aucun pouvoir"?
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La procédure d'initiative ou "l'appel du pied" du Parlement à la Commission

On l'a dit, en tant qu'organe exécutif de l'UE, la Commission dirigée par Jean-Claude Juncker propose et met en application les lois européennes. C'est en priorité elle, et elle seule, qui peut émettre des propositions de textes législatifs.

Cette procédure n'est pas à sens unique. Le Parlement a lui aussi son mot à dire. En jargon européen, on appelle ça la "procédure d'initiative". "Le traité de Maastricht, renforcé en cela par le traité de Lisbonne, a accordé au Parlement européen un droit d'initiative législative qui lui permet de demander à la Commission de soumettre une proposition", peut-on ainsi lire sur le site internet du Parlement européen.

Cette possibilité figure en toutes lettres à l'article 225 du traité de Lisbonne :

"Le Parlement européen peut, à la majorité des membres qui le composent, demander à la Commission de soumettre toute proposition appropriée sur les questions qui lui paraissent nécessiter l'élaboration d'un acte de l'Union pour la mise en œuvre des traités. Si la Commission ne soumet pas de proposition, elle en communique les raisons au Parlement européen."

La dernière phrase de cet article est claire : rien n'oblige la Commission à prendre en compte la demande du Parlement. Mais dans ce cas, elle doit motiver sa décision.

Conséquence de ce mécanisme décisionnel européen : les intérêts des eurodéputés et ceux des Commissaires européens ne vont pas toujours dans le même sens. C'est ce qu'explique l'eurodéputée française Michèle Rivasi (Europe Écologie Les Verts) dans la vidéo ci-dessous : "Il y a eu un rapport d’initiative (du Parlement) qui (…) apporte un plus pour la protection des lanceurs (d'alerte). Mais maintenant il faut que la Commission le propose. Or la Commission, si elle le propose, elle a certains États membres qui sont contre."

 

>>> À lire aussi : le Parlement européen réclame une législation sur l'obsolescence programmée

>>> À lire aussi : Les eurodéputés veulent des règles pour encadrer les robots et l'intelligence artificielle

La Commission toute-puissante ? Pas toujours…

La Commission tient donc le volant de l'Union européenne. Mais, plus d'une fois par le passé, elle a dû faire face à la résistance du Parlement. Un exemple récent : en octobre 2017, les eurodéputés ont rejeté les plans de la Commission sur les perturbateurs endocriniens. Le projet a donc été renvoyé vers la Commission pour être modifié.

Même chose pour la pêche électrique. Un sujet sur lequel le Parlement et la Commission n'étaient pas tout à fait sur la même longueur d'onde en janvier dernier.

Tweet Jadot

Mais l'un des exemples les plus éclatants du pouvoir du Parlement européen remonte au mois d'octobre 2004. Cette année-là, José Manuel Barroso, futur président de la Commission, souhaite prendre Rocco Buttiglione dans son équipe. Problème : le candidat italien est critiqué pour ses déclarations sur l’homosexualité.

Le rôle de surveillance confié au Parlement lui permet de rejeter en bloc l'équipe composée par le président de la Commission. Pour éviter d'en arriver là, sous la pression des eurodéputés, José Manuel Barroso a revu sa copie. Résultat : début novembre, il annonce le remplacement de Rocco Buttiglione par Franco Frattini, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Berlusconi.

Archive JT du 27 octobre 2004 :

Les eurodéputés refusent Rocco Buttiglione

https://www.rtbf.be/auvio/detail_archive-jt-du-27-octobre-2004-les-eurodeputes-refusent-rocco-buttiglione?id=2307844

Quelques années plus tôt, en 1999, le Parlement européen avait même poussé la Commission menée par Jacques Santer à la démission.

Archive JT du 16 mars 1999 :

La Commission présidée par Jacques Santer démissionne

https://www.rtbf.be/auvio/detail_archive-jt-du-16-mars-1999-la-commission-presidee-par-jacques-santer-demissionne?id=2308981

Signalons enfin que les relations entre la Commission et le Parlement sont parfois tendues. La preuve avec cette séquence du 4 juillet 2017. Ce jour-là, l’hémicycle de Strasbourg est pour le moins clairsemé. Jean-Claude Juncker s'en prend alors à des eurodéputés qu'il juge "ridicules".

Antonio Tajani, le président de l'assemblée réagit au quart de tour. "Ce n'est pas la Commission qui doit contrôler le Parlement. C'est le Parlement qui doit contrôler la Commission", martèle-t-il aussitôt.

https://www.rtbf.be/auvio/detail_vous-etes-ridicules-lance-juncker-devant-le-parlement-europeen?id=2231392

Verdict

Il est donc plutôt faux de dire que le Parlement européen n'a "quasiment aucun pouvoir" dans l'Union. Le traité de Lisbonne précise les missions de cette assemblée et lui donne un droit de regard sur le travail de la Commission. Ce pouvoir, les eurodéputés l'ont utilisé à plusieurs reprises. Il n'empêche, c’est bien cette Commission qui tient la barre du navire législatif européen.

Plutôt faux

 

 

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