Check Point : plus de “migrants économiques” que de réfugiés vers l’Europe ?

Check Point : plus de “migrants économiques” que de réfugiés vers l’Europe ?

La question du migrant dit "économique", par opposition au réfugié, est devenue un enjeu politique. Un argument électoral. Un épouvantail agité en pleine campagne.
Public Sénat

Par Thomas Mignon

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Le 20 mars dernier encore, François Fillon a évoqué cette distinction lors du premier grand débat de la présidentielle française sur TF1.

"On n'est pas en présence, pour l'essentiel, de réfugiés, a lancé le candidat de la droite. En tout cas, pas de réfugiés au sens politique, qui fuyaient un régime. Il y a une partie de ces hommes et de ces femmes qui fuyaient la guerre en Syrie, bien sûr. Mais l'immense majorité de ces réfugiés sont en réalité des hommes et de des femmes qui fuient la pauvreté et qui viennent de toutes les régions du monde."

À en croire François Fillon, une majorité des personnes venues en Europe via les récents flux migratoires seraient donc ces fameux "migrants économiques".

Mauvaise terminologie

D'emblée, le candidat à la présidentielle fait une erreur de terminologie. Il nomme "réfugiés" l'ensemble de ces personnes. Et il assure que la plus grande partie de ce même ensemble sont des personnes "fuyant la pauvreté", des "migrants économiques" donc.

Or, réfugiés et migrants sont deux groupes distincts.

Les premiers "sont des personnes qui fuient des conflits armés ou la persécution" et qui "sont par conséquent reconnus internationalement en tant que réfugiés accédant à l'aide des États", selon la définition du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR), qui précise qu'il y a potentiellement un danger de mort à ne pas leur accorder l'asile.

Les seconds, les migrants, font le choix de quitter leur pays, "non pas en raison d'une menace directe de persécution ou de mort, mais surtout afin d'améliorer leur vie en trouvant du travail, et dans certains cas, pour des motifs d'éducation, de regroupement familial ou pour d'autres raisons".

Contrairement aux réfugiés, les migrants "continueront à recevoir la protection de leur gouvernement" s'ils retournent chez eux.

Par définition, les migrants ne peuvent donc pas être assimilés à des réfugiés.

Et la "distinction est importante", car, explique l'UNHCR, "les pays gèrent les migrants en vertu de leurs propres lois et procédures en matière d'immigration", tandis qu'ils "gèrent les réfugiés en vertu des normes sur la protection des réfugiés et de l'asile aux réfugiés qui sont définies dans les lois nationales et les lois internationales".

Confusion et "conséquences graves"

Mais problème : dans les débats politiques, cette confusion est courante, nous confie un responsable du Haut-Commissariat.

L'agence des Nations Unies écrivait d'ailleurs en juillet dernier : "La confusion entre les réfugiés et les migrants peut avoir des conséquences graves sur la vie et la sécurité des réfugiés".

"Interchanger les deux termes détourne l'attention de la protection juridique précise dont les réfugiés ont besoin. Cela peut saper le soutien de la population pour les réfugiés et l'institution de l'asile à un moment où, plus que jamais auparavant, les réfugiés ont besoin d'une telle protection."

Au-delà de l'erreur de terminologie, s'il on jette un œil aux demandes d'asile enregistrées en 2016, on se rend bien vite compte que ce sont effectivement des réfugiés qui, majoritairement, tentent d'obtenir ce statut.

Les trois nationalités les plus représentées sont les Syriens, les Afghans et les Irakiens, respectivement au nombre de 339 285, 186 505 et 129 975, comme le montrent les données d'Eurostat reprises dans le graphique ci-dessous (sélectionnez l'année de votre choix pour voir l'évolution des demandes enregistrées).

Ensemble, les citoyens de ces trois pays en guerre représentent à eux seuls 52,08% des demandes d'asile. Sans aller plus loin, on peut d'ores et déjà conclure qu'une majorité des demandeurs d'asile avaient théoriquement bel et bien droit au statut de réfugié en 2016.

Et nous aurions pu encore parler des dizaines de milliers de ressortissants du Pakistan (où l'armée affronte les talibans dans le nord), du Nigeria (où Boko Haram sème la terreur dans une partie du pays), de Somalie (en guerre depuis 2006, notamment contre les islamistes shebabs) ou encore d'Ukraine (enlisée dans un conflit armé avec les séparatistes du Donbass depuis 2014).

Mais combien seraient alors les migrants ?

Impossible à dire, car les chiffres établissant cette distinction n'existent pas. Ni l'Union européenne, ni l'UNHCR, ni l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) ne sont parvenus à établir de statistique claire et fiable permettant d'évaluer la proportion de migrants ou de "migrants économiques".

Tout ce que l'on sait, c'est qu'un million de personnes ont rejoint l'Europe en 2015 (via la mer Méditerranée pour une écrasante majorité) et que ce chiffre est tombé à 387 739 en 2016. Ces statistiques de l'OIM compilent les arrivées, à la fois de migrants et de réfugiés, qui ont pu être recensées par leurs outils de suivi.

Mais cela ne permet toutefois pas de déduire la proportion des deux groupes, pas même en effectuant une comparaison avec les demandes d'asile, puisque celles-ci ne sont pas toujours introduites l'année de l'arrivée.

Un facteur peut toutefois nous donner un indice : le taux d'acceptation des demandes d'asile. En effet, lorsque l'asile a été refusé après analyse du dossier, on pourrait en déduire que le demandeur n'était pas un réfugié, mais un migrant.

Un papier de l'Institut national d'études démographiques (Ined), établissement public français, en a fait la démonstration en avril 2016. Le démographe Philippe Fargues, chercheur à l'Ined, mais aussi professeur à la Harvard Kennedy School et à l'Institut universitaire européen de Florence, s'est penché sur la situation en Grèce et en Italie, les principaux points d'entrées vers l'Europe, entre 2011 et 2015.

En 2011, le nombre de migrants et réfugiés entrés dans ces deux pays était de 119 635. En 2012, c'était 90 145. Le taux d'acceptation des demandes d'asile est alors relativement faible : 33,5%, 47,9%. Cela signifie qu'après examen moins d'un demandeur sur deux pouvait prétendre à l'asile.

Les années suivantes, le taux d'acceptation augmente. En 2013 d'abord, avec 62,9%, alors que le nombre d'arrivées a diminué en Grèce et en Italie (82 684). Mais en 2014 et 2015, au plus fort de la crise migratoire – avec 247 262 puis 952 246 personnes entrées clandestinement –, les demandes d'asile ont vu leur taux d'acceptation encore augmenter : 70,9% puis 75,7%.

"L'idée de migrants économiques déguisés en demandeurs d'asile est de moins en moins crédible"

"La répartition des migrants irréguliers par nationalité est passée d'une majorité de personnes ayant peu de chances d'obtenir le statut de réfugié à une majorité de personnes ayant une forte probabilité de l'obtenir", analyse Philippe Fargues.

Face à ce constat, la conclusion du chercheur est sans appel : "On peut affirmer sans se tromper que les réfugiés représentent la majorité parmi les flux les plus récents, leur proportion parmi les migrants entrés irrégulièrement en Italie et en Grèce étant passée de 33% à 76% (il arrondit, ndlr) au cours des cinq dernières années. L'idée selon laquelle les personnes qui franchissent illégalement les frontières extérieures de l'Europe seraient pour la plupart des migrants économiques déguisés en demandeurs d'asile est de moins en moins crédible".

Les chiffres manquent au niveau européen pour confirmer ou infirmer la déclaration de François Fillon. Mais, au vu des quelques rares facteurs disponibles, dire qu'une "immense majorité de ces réfugiés sont en réalité des hommes et de des femmes qui fuient la pauvreté" apparaît tout à fait contestable.

En France, les titres de séjour humanitaires plus nombreux que les économiques

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Et si, lors du débat, François Fillon n'avait voulu pointer que la situation française ? Là, la vérification est plus simple grâce à un récent document du ministère français de l'Intérieur qui donne à voir les titres de séjour délivrés selon les motifs d'admission entre 2010 et 2016.

Premièrement, on observe que le nombre de titres délivrés tournent autour des 200 000 chaque année. Suite à la crise migratoire, on observe une hausse en 2014, 2015 et 2016, année lors de laquelle 227 550 titres de séjour ont été délivrés.

Ces délivrances sont catégorisées selon cinq motifs : économique (celui que pointe donc François Fillon), familial, "étudiants", "divers" et humanitaire.

Chaque année, le motif éducatif et celui du regroupement familial sont les plus importants. Ensemble, ils représentaient près de 70% des titres de séjour délivrés en 2016.

La proportion de titres humanitaires était alors de 14,18%, contre 9,92% pour le motif économique. Et le premier devance le second depuis 2012 (et l'écart est de moins de 0,2% en 2010 et 2011).

Dans le cas français, l'affirmation de François Fillon se révèle complètement fausse. Les chiffres officiels contredisent plus que largement la thèse d'une soi-disant "immense majorité" de migrants économiques.

Retrouvez le Check Point dans l'émission Europe Hebdo jeudi 30 mars à 17h et vendredi 31 mars à 7h et 11h30. 

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