Check Point : va-t-on vers un nouveau référendum contre le Brexit ?

Check Point : va-t-on vers un nouveau référendum contre le Brexit ?

Alors que de plus en plus de voix remettent actuellement en cause les conséquences du référendum en faveur du Brexit, la Première ministre du Royaume-Uni Theresa May s’est clairement prononcée contre la tenue d’un nouveau scrutin sur le sujet. Le Brexit est-il inéluctable ou les Anglais pourraient-ils obtenir, comme certains le réclament, un "Exit from Brexit"? Check Point mène l’enquête.
Public Sénat

Par Xavier LAMBERT - RTBF

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12 min

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Un second référendum sur le Brexit : c’est ce que réclame une vaste campagne d’affichage lancée en avril 2018 par l’organisation "Best for Britain".

"Le Brexit n’est pas une affaire pliée, a expliqué Lord Andrew Adonis, membre de la Chambre des Lords, et ancien ministre travailliste lors d’une rencontre avec plusieurs journaux européens, dont Le Monde. Nous vivons une situation de crise parlementaire car la première ministre n’a pas de majorité parlementaire pour sa conception du Brexit. La seule issue est un nouveau référendum."
Plus globalement, de plus en plus de voix remettent actuellement en cause les conséquences du premier vote, et plaident pour un second référendum. 
Lord John Olav Kerr, ancien diplomate, considéré comme l’auteur de l’article 50 qui permet à un pays de quitter l’Union Européenne, et sur lequel repose donc le Brexit, affirme même : "Il y a 30% de chances qu’on organise un second référendum".

Alors, le Brexit est-il inéluctable ou les Anglais pourraient-ils obtenir, comme certains le réclament, un "Exit from Brexit" ?

Check Point : va-t-on vers un nouveau référendum contre le Brexit ?
02:09

What is Brexit ?

Tout d’abord, rappelons ce qu’est le Brexit.
Le mot est la contraction de "Britain" et "exit", et a été formé sur la base du "Grexit", la sortie de la Grèce. 
Mais on parlait là, d’une exclusion de la zone euro, tandis que pour le Brexit, il s’agit d’une sortie volontaire, de l’Union Européenne. 

Cette sortie a été approuvée par référendum le 23 juin 2016, par 51,9% contre 48,1%.

Mais aujourd’hui, ils ne seraient aujourd’hui que 42 % à approuver le Brexit, 49 % se disant désormais contre, selon un sondage de BMG research.


Comment expliquer ce revirement ?

1) La facture astronomique

Le gouvernement britannique serait prêt à signer un chèque d'environ 50 milliards d'euros à l'Union européenne pour accompagner sa sortie. Une facture beaucoup plus lourde que ce qu'espéraient les Britanniques au départ

"Le Brexit coûtera 2.000 millions de livres par semaine selon la propre étude du gouvernement? Cela vaut-il le coup?" interrogent ses détracteurs.

2) Les conséquences négatives

À un an de la sortie effective de l’Union, les premiers effets négatifs du Brexit se font déjà ressentir pour les Britanniques : les ménages commencent à souffrir de la forte dépréciation de la livre sterling, puisque les prix des produits étrangers et européens sont plus élevés qu’avant, ce qui suscite beaucoup de mécontentement et freine la consommation.

Les universités britanniques s’attendent aussi à une baisse sensible du nombre d’étudiants et d’enseignants étrangers, notamment européens.

L’industrie pharmaceutique et des sciences humaines a toutefois prévenu que le Brexit pourrait entraîner des attentes prolongées pour les patients britanniques qui doivent avoir accès à de nouveaux médicaments et traitements.

Et les Irlandais craignent que la libre circulation qui existe aujourd'hui entre la République d'Irlande, qui fait partie de l'Europe et l'Irlande du Nord, qui appartient au Royaume-Uni, ne s'étiole. Aujourd'hui, 30.000 personnes - fermiers, chefs d’entreprises, transporteurs - traversent tous les jours ces petites routes de campagne. La frontière est totalement ouverte sur 500 km. Mais avec le Brexit, elle risque d'être davantage contrôlée.

3) Les révélations de la " tricherie " Cambridge Analytica

Ancien employé de Cambridge Analytica, Christopher Wylie, a témoigné des pratiques de la firme britannique devant un comité parlementaire. Pour lui, l’issue du référendum sur le Brexit "aurait pu être différente" si l’entreprise n’avait pas participé à la campagne en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Cambridge Analytica, aidé de la société canadienne Aggregate IQ, a collecté et utilisé illégalement à des fins politiques les données privées de millions d’utilisateurs de Facebook. Grâce aux informations de profil, des publicités micro-ciblées auraient été diffusées sur le réseau social auprès d’un public analysé comme réceptif.

Est-ce que le vote en faveur du Brexit aurait eu lieu sans Cambridge Analytica ?
"Non, ils ont joué un rôle crucial, j’en suis sûr, affirme-t-il. Il y a deux aspects dans le scandale. D’une part, Cambridge Analytica a admis la semaine dernière avoir effectivement travaillé avec le groupe de campagne "Leave.EU". L’autre aspect, c’est que AggregateIQ (une entreprise canadienne issue de Cambridge Analytica, ndlr) a aussi travaillé avec Cambridge Analytica sur un système qui a permis à Leave.EU de dépasser son plafond de dépenses, et d’utiliser près d’un million de livres pour cibler la population. Sans AggregateIQ, le camp du "Leave" n’aurait pas pu gagner le référendum, qui s’est joué à moins de 2% des votes. Or, 40% du budget de "Vote Leave" est allé à AggregateIQ, c’est beaucoup. Cette entreprise a joué un rôle pivot dans le référendum. Elle a travaillé main dans la main avec Cambridge Analytica. Si vous ciblez un petit nombre spécifique de personnes avec des milliards de publicité, cela peut suffire à gagner suffisamment d’électeurs."

De nombreux politiciens, dont l'ex-Premier ministre britannique Tony Blair, estiment de ce fait que les Britanniques ont été induits en erreur, et réclament un nouveau référendum : "Lorsque les faits changent, je pense que les gens ont le droit de changer d'avis", a lancé Tony Blair. Selon lui, les promesses des partisans du Brexit n'auraient pas été tenues, ce qui justifierait une nouvelle consultation.
L’opposition travailliste britannique veut que les députés aient le droit de bloquer le processus s’ils ne sont pas satisfaits de l’accord final bouclé entre Londres et Bruxelles. Chargé du Brexit dans le contre-gouvernement travailliste, Keir Starmer juge "inacceptable" le scénario actuel, où les députés pourront simplement approuver ou rejeter, mais pas amender l’accord final. Il réclame le droit de faire redémarrer les négociations avec l’UE plutôt que de partir sans accord.

La moitié des Britanniques sont d’ailleurs favorables à un nouveau référendum sur la sortie de l'Union européenne, selon un sondage récemment publié  par le Mail on Sunday. (Ils sont 34% d'un avis contraire et 16% à se déclarer sans opinion sur la question).

En évoquant la possibilité d'un retour en arrière du processus de retrait enclenché par le Brexit, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a déclaré "N'est-ce pas David Davis lui-même qui a dit que si une démocratie ne peut pas changer d'opinion, elle cesse d'être une démocratie" (..)"Nos cœurs vous sont toujours ouverts". 


Pourrait-on avoir un nouveau vote ?

Selon certains, la probabilité est de plus en plus grande. Le premier à l’affirmer est Lord John Olav Kerr, l’un des pères de l’article 50 du Traité de Lisbonne, qui serait appliqué pour la première fois afin de lequel doit permettre aux Britanniques de quitter l’Union européenne.
 "Jusqu’en mars 2019, le Royaume-Uni est membre à part entière de l’Union européenne. Il reste un peu moins d’un an pour faire marche arrière. L’opinion publique commence à changer, assure l’ex-représentant permanent du Royaume-Uni auprès de l'UE. C’est petit, mais perceptible : les gens sont de plus en plus inquiets face aux conséquences de notre départ, notamment sur l’emploi!"
Pour inverser la tendance, l’ancien diplomate compte sur le rassemblement des militants anti-Brexit, les associations, notamment celles financées par le milliardaire George Soros, les travaillistes europhiles, les conservateurs rebelles
De son côté, le projet de Lord Adonis  compte déposer un amendement prévoyant une deuxième consultation lors du vote, à l’automne, de la " loi de sortie de l’UE " adoptée en première lecture par la Chambre des communes et en débat à la Chambre des lords. Il assure que les députés conservateurs proeuropéens peuvent s’unir à ceux du Labour pour faire adopter cet amendement qui, d’après lui, n’impliquerait pas la chute du gouvernement conservateur ni de nouvelles élections.

Mais il n’y a pas que les travaillistes qui plaident pour un nouveau référendum : l'ancien Premier ministre britannique John Major a défendu lui aussi l'idée d'un second référendum sur l'accord final sur le Brexit car, selon lui, les Britanniques ont été "induits en erreur" sur les conséquences du Brexit..
Après la sortie du Royaume-Uni de l'UE, "je crains que nous soyons plus faibles et moins prospères, en tant que pays et en tant qu'individus. Et, bien qu'il me déplaise de l'admettre, notre divorce avec l'Europe diminuera notre stature internationale. En fait, il l'a déjà fait", a dit John Major lors d'un discours à Londres deux jours avant un discours attendu de Th
"Je ne suis ni europhile ni eurosceptique" mais "réaliste", a affirmé le Premier ministre conservateur, qui avait fait campagne contre le Brexit mais dit s'être opposé à ce que le Royaume-Uni adopte l'euro ou rejoigne l'espace Schengen.
"Beaucoup d'électeurs savent qu'ils ont été induits en erreur: beaucoup d'autres commencent à s'en rendre compte et l'électorat a donc le droit de reconsidérer sa décision", a-t-il considéré.

Même la figure emblématique du Brexit Nigel Farage estime lui aussi que le Royaume-Uni devrait organiser un nouveau référendum sur la sortie de l'Union européenne. "Pour être sûr que nous voulons vraiment quitter l'UE", a déclaré M. Farage sur la télévision britannique.
Nigel Farage en est convaincu. Si le Royaume-Uni organise un second référendum sur le Brexit, le résultat obtenu le 23 juin 2016 serait largement conforté. Le vote s'était alors soldé par la victoire des partisans du retrait, à 52% contre 48%.

Les pro-Européens tels que l'ancien Premier ministre Tony Blair "ne renonceront jamais, jamais, jamais", a-t-il expliqué dans l’émission "The Wright Stuff" sur la chaîne de télévision britannique Channel Five. "J'en arrive au point de penser que peut-être, vraiment peut-être, nous pourrions avoir un deuxième référendum sur l'appartenance à l'UE. (...) Cela mettrait fin une fois pour toute au problème pour une génération", a-t-il ajouté. 


Peut-on vraiment revenir en arrière ?

La somme de ces oppositions  suffira-t-elle à renverser la vapeur du Brexit, ou en tout cas à susciter un nouveau vote avant son adoption définitive?

Techniquement, Lord Olaf John Kerr a raison : selon l’article 50, c’est seulement au bout des deux ans de négociation et de l’approbation de l’accord définitif par les 27 pays membres que le divorce sera effectif. Jusqu’en mars 2019, le Royaume-Uni peut donc faire marche arrière.

Mais le Parlement va-t-il bloquer l’activation de l’Article 50?

Tous les observateurs politiques neutres sont convaincus du contraire.

La Première ministre Theresa May, qui a accédé à la tête du parti conservateur, puis du pays, grâce à la victoire du Leave, s'est en effet clairement positionnée contre un second référendum, estimant qu'il "saperait la confiance dans la démocratie" et qu'il reviendrait à "trahir le peuple britannique". La plupart des membres du parti conservateur de May sont d’ailleurs désormais en faveur du Brexit. Quant aux travaillistes dans l’opposition, ils ont fait savoir qu’ils ne s’opposeraient pas au déclenchement de l’article 50 - même si certains parlementaires pourraient évidemment s’éloigner de la ligne du parti.

La solution d'un nouveau vote parait d'autant plus difficile à mettre en œuvre que la Première ministre britannique Theresa May "a indiqué très clairement, dès le moment où elle est devenue Première ministre, que son gouvernement respecterait le résultat du référendum" précise Jill Rutter, directrice du programme sur le Brexit au sein du think tank Institute for Government à Londres et interrogée par Le Parisien.

Paul Waugh, rédacteur en chef du HuffPost au Royaume-Uni indique très clairement que "Il n'y aura jamais de second référendum. L'Union européenne doit comprendre que Theresa May est en poste pour tenir la promesse du Brexit. Dans l'agenda actuel, il n'y a pas d'élection générale avant 2022, et aucun conservateur ne va appeler d'élection anticipée" argumente-t-il.

" La démocratie ne consiste pas à faire revoter jusqu’à ce que le résultat souhaité prenne le dessus, car le risque est évidemment celui d’une manipulation systématique et de grande ampleur de l’opinion à cette fin." explique Rémi Bourgeot, économiste, chercheur associé à l’IRIS et spécialiste des marchés de capitaux à Atlantico.

"Un deuxième référendum serait politiquement impossible", analyse pareillement Alexander Mattelaer, directeur des affaires européennes à l'Institut d'Egmont, qui était l'invité de La Semaine de l'Europe sur la Première:

Même le leader de l’opposition travailliste, Jeremy Corbyn, soutient la sortie de l’Union Européenne. "Dans le Parlement, il y avait une majorité écrasante pour déclencher l’Article 50,assure Rutter. La plupart de députés, qu’ils soient pour ou contre le Brexit, estiment qu’il faut respecter le référendum."


Comme il n’y a pas d’élection avant 2022, le risque que l’organisation d’un nouveau référendum soit voté par le parlement est donc minime, voire nul.
Donc, quand Lord John Olav Kerr dit qu’il y a 30% de chances qu’on organise un nouveau référendum… c’est contestable.

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