Chez LR, derrière l’unité de façade, les inquiétudes sur la stratégie à adopter pour un second tour sans Pécresse

Chez LR, derrière l’unité de façade, les inquiétudes sur la stratégie à adopter pour un second tour sans Pécresse

Une tribune des députés LR appelle à soutenir largement Valérie Pécresse pour conjurer les mauvais sondages, et lui permettre d’accéder au second tour de l’élection présidentielle. Mais en parallèle de ce texte, certains élus se veulent lucides sur les chances de qualification de la candidate, et réclament une clarification de la stratégie à adopter au second tour, avec en ligne de mire la campagne des législatives.
Romain David

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La salle est petite, plutôt sombre. Jeudi 31 mars, Valérie Pécresse tenait une conférence de presse à la Maison de la Chimie, à deux pas des Invalides, pour présenter le calendrier des 100 premiers jours de sa présidence, dans l’hypothèse d’une victoire le 24 avril prochain. Depuis plusieurs semaines, la candidate a pris l’habitude de convier la presse dans de prestigieux centres de conférences parisiens, pour y décliner, inlassablement, les différents volets de son projet présidentiel. Il y a d’abord eu la grande salle de l’hôtel de l’Industrie pour la présentation d’ensemble du programme. Plus modeste, mais toujours lambrissé, un salon de la Maison de l’Amérique latine, où il fut question, la semaine dernière, de sa réforme constitutionnelle. Et enfin, cette pièce anonyme et un peu austère, pour évoquer un agenda de gouvernement imaginé par Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat. À mesure que Valérie Pécresse s’attache aux détails techniques de son projet, le décor se rétrécit. À mesure aussi que baissent les intentions de vote à son égard. Plusieurs enquêtes d’opinion lui prédisent désormais un score inférieur au seuil symbolique des 10 %, à la quatrième, voire la cinquième place. Une situation inédite pour la droite à la présidentielle sous la Ve République.

Et pourtant, ce jeudi, la candidate ne s’est pas départie du léger sourire qui flotte souvent sur son visage. Sans doute avait-elle en tête cette tribune publiée la veille, portée par l’ensemble des députés LR, et qui appelle à voter massivement pour elle dès le premier tour. « Ils ont souhaité mettre fin à ces rumeurs de fin de campagne qui essayent de déstabiliser, encore une fois, la droite républicaine », se félicite Valérie Pécresse. « Non, rien n’est joué. Qui peut croire les sondages qui se sont tant trompés dans le passé, comme cela a été encore le cas lors des dernières élections régionales ? », écrivent les élus dans ce texte. Et surtout, cet avertissement contre certaines tentations : « Nous ne sommes solubles ni dans la majorité incarnée par Emmanuel Macron, ni dans l’extrême droite incarnée par Marine Le Pen et Éric Zemmour. »

Des appels à la clarification

Un appel à l’unité bienvenu alors que la fébrilité gagne en interne les rangs LR, sur la stratégie à adopter au second tour, face à l’hypothèse, de plus en plus probable, d’une élimination dès le soir du 10 avril. En 2017, François Fillon avait appelé à voter Emmanuel Macron contre Marine Le Pen. Cinq ans plus tard, la recomposition du paysage politique continue de bousculer les lignes. Quelle sera la position des uns et des autres si l’extrême droite se qualifie, quand certains ténors, comme Éric Ciotti et François-Xavier Bellamy, ont déjà fait savoir qu’ils préféreraient Éric Zemmour à Emmanuel Macron ? Autre option, celle du « ni-ni », théorisé en 2015 par Nicolas Sarkozy pour les élections locales, sauf qu’à l’époque il était question de la gauche, pas d’Emmanuel Macron qui a largement vampirisé LR durant son mandat. Certains élus réclament déjà une clarification, qui passerait par un soutien au président sortant, et ne s’en cachent pas. « J’ai entendu de la part de certains collègues des propos que je n’aimerai pas voir devenir majoritaires », souffle une source parlementaire, qui ajoute : « Le problème, c’est que quand un Bellamy ou un Ciotti disent qu’ils pourraient voter Zemmour, ça ne choque personne à droite. Par contre, quand on dit ‘je voterai Macron’, tout le monde est en émoi. »

Evoquant la perspective d’une réélection d’Emmanuel Macron, le député Guillaume Larrivé, pourtant conseiller politique de Valérie Pécresse, a plaidé la semaine dernière pour que sa famille politique participe à la mise en place d’une nouvelle majorité au côté du chef de l’Etat. « Si Valérie Pécresse est éliminée au soir du premier tour, je m’engagerai pour qu’Emmanuel Macron soit à nouveau président et pour que les Républicains participent, à l’Assemblée, à construire une nouvelle majorité pour la France », annonce-t-il dans un entretien au Point. Mercredi, la sénatrice LR Céline Boulay-Espéronnier, qui avait soutenu Xavier Bertrand au congrès de décembre, a voulu faire montre de lucidité dans les colonnes du Figaro : « On sait maintenant qu’il y a peu de chances malheureusement qu’elle soit présente au second tour », admet-elle. Et d’ajouter : « Je le dis dès à présent, dans le cas d’un second tour face à Le Pen, Mélenchon ou Zemmour, je voterai Macron. Dans son programme, il porte des axes qui rejoignent ceux de la droite républicaine que nous défendons. Le front républicain ne peut souffrir d’aucune fissure face à la menace populiste. »

« Marine Le Pen n’a jamais été aussi près des portes du pouvoir. On dit ça depuis 30 ans, mais là l’écart n’a jamais été aussi minime. Elle dispose d’une réserve de voix, c’est historique », poursuit Céline Boulay-Espéronnier, auprès de Public Sénat. « On aurait pu avoir ce débat durant l’entre-deux tours, sauf que l’urgence de la situation exige de mettre les choses au clair dès maintenant. Ma préoccupation est de faire barrage, coûte que coûte, au populisme », martèle l’élue.

Anticiper les législatives

La tribune des députés, publiée par Le Figaro, essaye de replacer l’église au centre du village. En clair : faire bloc autour de Valérie Pécresse au risque d’une double, voire d’une triple dissolution de la droite entre Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Éric Zemmour. Une initiative « spontanée », assure-t-on dans les rangs de l’équipe de campagne, visant à tuer les rumeurs dans l’œuf. « On nous parle depuis des semaines des élus qui pourraient soutenir Macron, mais avec Guillaume Larrivé et Céline Boulay-Espéronnier… je n’en compte que deux, deux ! », balaye un membre du premier cercle autour de Valérie Pécresse.  C’est oublier, toutefois, la longue série des défections depuis la fin de l’année dernière – Renaud Muselier, Christian Estrosi, Éric Woerth, Jean-Pierre Raffarin, Martine Vassal et Nora Berra en faveur du fondateur d’En Marche ! ; mais aussi Guillaume Peltier et Sébastien Meurant partis chez Zemmour.

« Je ne suis pas d’accord avec les propos de Guillaume Larrivé. Il attend d’avoir un ministère, c’est pour ça qu’il a fait cette déclaration », tacle Bruno Retailleau auprès de Public Sénat. « Mais je trouve rassurant de voir que le groupe à l’Assemblée nationale, qui est le premier groupe d’opposition, fait bloc aux côtés de Valérie Pécresse », salue cet ancien filloniste. « Emmanuel Macron n’est pas un homme de droite, il mange à tous les râteliers, et de droite et de gauche. Comment voulez-vous parler de cohérence quand vous voyez Monsieur Rebsamen, Madame Touraine ou Madame Guigou avec des personnalités de droite ? »

L’hebdomadaire Le Point, qui a eu accès aux messages que se sont échangés les députés LR en préparant leur texte, révèle une ambiance de « chasse aux sorcières » du côté du Palais Bourbon. Si le principe d’une tribune de soutien semble avoir fait l’unanimité, l’idée, lancée par un pécressiste, d’y rappeler explicitement l’incompatibilité de LR avec le macronisme et l’extrême droite a soulevé quelques réticences chez les uns et les autres. « Cette tribune a été l’objet d’un débat en interne », confirme une élue de droite. « Il faut saluer les efforts de Damien Abad, le président de groupe, qui réussit cet exploit d’unité à une semaine du vote. »

C’est Bruno Retailleau qui livre, indirectement, les clefs de ces tensions. Interrogé pour savoir si le groupe LR au Sénat – qui compte une quarantaine d’élus de plus qu’à l’Assemblée nationale - pourrait aussi produire un texte de soutien, le Vendéen lâche, peut-être un peu rapidement : « Nous n’avons pas d’élections dans quelques mois… ». En filigrane de cette tribune, et des remous qu’elle a pu susciter en interne, c’est donc aussi le coup d’après qui se prépare, c’est-à-dire les législatives. Avec la perspective d’une nouvelle élimination de la droite dès le premier tour de la présidentielle, certains élus songeraient déjà à la nécessité de lier des alliances locales pour pouvoir conserver un maximum de circonscriptions. Car une cinquième place à la présidentielle ne peut laisser présager que du pire pour le scrutin de juin.

Le meeting de la dernière chance

Des calculs politiciens qui agacent le chef de file de la droite sénatoriale : « Ce que je dis aux députés et à d’autres, c’est que rien n’est joué ! Les Français sont agacés qu’on leur dise que c’est plié et de voir Emmanuel Macron se comporter comme s’il était déjà élu », martèle Bruno Retailleau, qui refuse de s’exprimer sur un scénario Macron-Le Pen au second tour : « Je le dis depuis des mois et des mois, d’abord il y a le premier tour et moi je suis fait de telle façon que j’ai besoin de mon énergie et de mon enthousiasme pour me battre jusqu’au bout. » Valérie Pécresse, quant à elle, fait valoir le meeting qu’elle a prévu dimanche à Paris, porte de Versailles, pour conjurer les pronostics. « Le 18e de sa campagne », insiste un collaborateur. C’est la première fois, néanmoins, qu’elle renoue avec un format de cette ampleur – les équipes attendent au moins 5 000 personnes - depuis la prestation très critiquée au Zénith, le 13 février. Mais même si l’exercice est réussi, il paraît difficile de rattraper en six jours la lente érosion des trois derniers mois. « Il ne vous a pas échappé que j’ai été privée d’une semaine de campagne pour des raisons médicales », se défend Valérie Pécresse. Cinq jours d’isolement précisément, après avoir été testée positive au covid-19 la semaine dernière, et durant lesquels elle a continué de participer à différents événements par visioconférence.

Malgré le retard qu’elle accuse face à Marine Le Pen et Emmanuel Macron, la présidente de la région Île-de-France assume la stratégie adoptée et évoque même la possibilité d’un vote caché : « Nous avons une vraie force dans les territoires, qui est sous-estimée, c’est pour ça que je fais des meetings dans les territoires plutôt qu’à Paris », explique-t-elle. Dimanche, les principales figures du parti, dont Christian Jacob, Laurent Wauquiez ou encore Gérard Larcher, seront au premier rang pour jouer une dernière fois la carte de l’unité. Sur scène, une dizaine d’intervenants prendront la parole avant le discours de la candidate, prévu vers 16 heures. Avec une absence néanmoins, toujours la même, celle de Nicolas Sarkozy. Invité par l’équipe de campagne, il a décliné. Il se murmure désormais que l’ancien chef de l’Etat, dont on connaît les liens de sympathie avec Emmanuel Macron, attendra l’entre-deux tours pour s’exprimer.

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