Collectivités : la bataille des territoires entre le Sénat et l’exécutif

Collectivités : la bataille des territoires entre le Sénat et l’exécutif

Suite de notre série sur les relations difficiles entre l’exécutif et le Sénat. Gérard Larcher se fait volontiers le porte-voix des collectivités territoriales. Sur ce sujet très sénatorial, les choses ne se passent pas toujours au mieux avec l’exécutif. Mais parfois, le gouvernement sait composer et même s’entendre avec les sénateurs.
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Les premiers signaux étaient les bons. Quelques semaines après son arrivée à l’Élysée, en juillet 2017, Emmanuel Macron décide d’organiser une Conférence des territoires. Son Premier ministre, un certain Édouard Philippe, que peu de Français connaissent encore, dit vouloir l’organiser au Sénat. Il compte s’appuyer sur ses élus. Et quoi de mieux que cette assemblée qui représente les collectivités de par la Constitution pour accueillir l’événement ? Un signal positif envoyé à son président LR, Gérard Larcher, qui revendique savoir être « constructif ».

Le 17 juillet 2017, lors de la Conférence des territoires, le chef de l’État parle devant les élus locaux de « différenciation territoriale » et de « droit à l’expérimentation simplifié » (voir la vidéo ci-dessous). Des mots doux à leurs oreilles. Il jette ici les bases de la future loi « 3D », pour décentralisation, différenciation et déconcentration. Mais quelques jours après, c’est la douche froide. Nous sommes pourtant au cœur de l’été. Le 2 août, on apprend l’annulation de 300 millions d’euros de crédits destinés aux collectivités locales. Bronca des élus locaux et des sénateurs. La réduction des emplois aidés, le projet de suppression de la taxe d’habitation et la fin de la réserve parlementaire finissent d’assombrir le tableau.

Conférence des territoires: Emmanuel Macron veut « préserver l’unité de la République et la diversité des territoires »
07:23

Crédits annulés, suppression de la taxe d’habitation : la grogne monte chez les élus locaux

Résultat, La République en Marche aborde les sénatoriales de septembre 2017 avec un sérieux handicap. La grogne succède à l’inquiétude. Sans surprise, le scrutin est difficile pour LREM, qui partait de zéro au Sénat.

La suite va sembler à une longue reconquête des élus pour Emmanuel Macron. Mais la suppression de la taxe d’habitation, principale ressource des communes, va au contraire accentuer la crise, même si le gouvernement assure vouloir la remplacer à l’euro près. Les sénateurs, qui sont toujours les premiers à relayer les questions des élus, s’interrogent. L’épisode « balance ton maire », pour dénoncer ceux qui augmentent les impôts locaux, passe très mal et laisse des traces. Lors du congrès de l’Association des maires de France (AMF) de 2018, les édiles sont en plein doute.

Une longue réflexion est lancée sur la réforme de la taxe d’habitation. Le sénateur LREM Alain Richard est chargé, avec le préfet Dominique Bur, de plancher à la nouvelle mécanique. L’exécutif décide finalement de confier aux communes la taxe foncière qui revenait aux départements. En compensation, les départements récupèrent une partie de la TVA.

La résistance s’organise avec Territoires unis

Pendant ce temps, la résistance s’organise. Plutôt que de rester comme « chat et chien », comme dit le président de l’AMF, François Baroin, les associations d’élus décident de la jouer unies (voir la vidéo ci-dessous). « Un exploit » dû à Emmanuel Macron, ironise le président LR de l’Association des maires de France.

Après un appel lancé à Marseille l’été 2018, Territoires unis voit le jour à Rennes, lors du congrès de l’Association des départements de France (ADF). Ajoutez Régions de France, qui dénonce « le mépris » du gouvernement, et vous aurez cette bête à trois têtes qui entend peser et se faire entendre face à Emmanuel Macron. Gérard Larcher joue en quelque sorte les parrains de cet aréopage d’élus remontés. Il les soutient, convaincu de la nécessité de faire entendre la voix des territoires. Et si cela peut mettre quelques bâtons dans les roues du chef de l’État au passage, ce n’est pas plus mal pour ces élus d’opposition.

Baroin : "L'accord de Rennes est la continuité naturelle de l’appel de Marseille"
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Macron au contact des maires lors du grand débat

La crise des gilets jaunes, ici comme ailleurs, va tout faire bousculer. Cette révolte des territoires, de la France qui travaille comme de celle qui galère, sonne comme un sérieux rappel à l’ordre du terrain pour Emmanuel Macron. Les sénateurs n’oublient pas de souligner qu’ils pointent depuis longtemps cette fracture. Elle éloigne les territoires les uns des autres et casse la cohésion du pays.

Fidèle à son sens politique, le chef de l’État décide de lancer le Grand débat. Et alors que la situation semble quasi insurrectionnelle dans le pays, il en profite pour remettre les maires dans la boucle. Plutôt que le contact direct avec les citoyens, rendu pour le moment quasi impossible dans ce contexte électrique, rien de mieux que l’élu préféré des Français, « à portée d’engueulade », comme dit Gérard Larcher. Les sénateurs regardent eux avec circonspection le Macron show, qui dure parfois des heures.

Le gouvernement s’appuie sur les travaux du Sénat pour le texte

L’été 2019, le décès du maire de Signes, mort dans l’exercice de ses fonctions, marque les esprits. Le Sénat lance une grande consultation des maires. Le président LR de la commission des lois, Philippe Bas, en sort une série de propositions pour les renforcer. De quoi nourrir le projet de loi de Sébastien Lecornu, qui participe, pour l’exécutif, à la reconquête des élus. C’est le texte « engagement et proximité », qui porte notamment sur le statut de l’élu, sujet dont on parle depuis longtemps au Palais du Luxembourg. Le texte arrive quelques mois avant les municipales. Sûrement pas un hasard.

Si Sénat et exécutif ont souvent eu des relations difficiles, ils savent aussi s’entendre, quand il le faut. Ce texte, sur les collectivités, en est l’occasion. Signe de ce bon climat, Sébastien Lecornu ne cache pas s’être « inspiré » largement des travaux du Sénat. « Il est temps de montrer que sur ces questions, nous savons aussi parfois faire front commun » lance dans l’hémicycle le sénateur LR de l’Ardèche, Mathieu Darnaud, co-rapporteur LR du projet de loi, avec la sénatrice UDI Françoise Gatel.

Un pas de deux qui ne dure pas longtemps

Ce pas de deux ne dure pas longtemps. Le clivage politique reprend ses droits. Au moment de l’ouverture du congrès de l’AMF, Gérard Larcher tape du poing sur la table. Il apprécie peu les modifications votées par les députés, après l’examen par le Sénat. « On pose clairement des lignes rouges. Ce n’est pas un caprice sénatorial » prévient Mathieu Darnaud. « Moi aussi j’ai mes lignes rouges » répond Sébastien Lecornu (voir la vidéo ci-dessous). Au final, la tension redescend. Un accord est trouvé entre députés et sénateurs.

Sébastien Lecornu aux sénateurs : « Moi aussi j’ai mes la lignes rouges » sur le texte engagement et proximité
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Ces tensions peuvent aussi s’expliquer politiquement. Avant les municipales, les sénateurs n’entendent pas laisser au gouvernement le gain politique sur un sujet qui est LEUR sujet. Leur fonds de commerce, diront certains. Une position qui peut irriter, jusqu’au Sénat. « J’en peux plus des territoires ! » lâche un sénateur du côté de la majorité présidentielle. Au gouvernement, où on n’entend pas laisser le monopole de la question au Sénat, l’attitude peut aussi déplaire. L’un de ses membres confie : « Il peut y avoir des idées sur les territoires qui n’émanent pas de Mathieu Darnaud ou de Françoise Gatel… Cette espèce de propriété des choses m’énerve ».

Jupiter redescend sur terre

La reconquête des élus est un canon à deux coups pour le gouvernement. La suite, c’est le projet de loi 3D, porté par Jacqueline Gourault. Mais les travaux ont été repoussés pour cause d’épidémie de Covid-19. Emmanuel Macron défend néanmoins une dimension territoriale dans sa déclaration de juillet. Avant de prendre la parole, il écrit à Gérard Larcher pour lui demander de contribuer aux idées. Le président du Sénat lui remet 50 propositions de l’ensemble des groupes politiques sur les territoires. Sur les « coll ter », comme disent les habitués du sujet, difficile de faire sans le Sénat.

Avec la nomination à Matignon de Jean Castex, élu local à l’accent chantant du Gers, qui n’a que le mot « territoire » à la bouche, Emmanuel Macron ambitionne clairement de recoller les morceaux sur ce terrain. Il annonce une nouvelle Conférence des territoires, accueillie froidement, et compte faire de la différenciation son nouveau mantra pour les collectivités. Jupiter redescend sur terre.

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