Covid-19 : les maires, élus « essentiels » en période de crise sanitaire

Covid-19 : les maires, élus « essentiels » en période de crise sanitaire

Confinement, déconfinement, reconfinement, couvre-feu, centres de vaccination… Depuis un an les élus locaux sont en première ligne pour faire appliquer les mesures sanitaires. Des mois durant lesquels, les collectivités ont été prises dans l’étau des injonctions de l’exécutif et des réalités du terrain. Episode 6 de notre série : « La démocratie sous covid ».
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Le 24 novembre 2020, la recrudescence de l’épidémie conduit à annuler le traditionnel congrès de l’AMF (Association des maires de France). A la place se tient une conférence de presse des représentants des maires de France. L’occasion pour le maire de Troyes et président de l’AMF, François Baroin, de faire ce constat « partagé par tous les maires ». Les relations entre le gouvernement et les maires n’étaient déjà « pas terribles » depuis le début du quinquennat, la crise sanitaire n’aura fait que les aggraver. « L’Etat a été impuissant sur la première partie de la crise du confinement de manière spectaculaire comme rarement », lâche-t-il.

« C’était assez surréaliste ce mépris des collectivités »

Quatre mois plus tard, François Grosdidier, maire LR de Metz, ancien sénateur de Moselle, abonde. « Au départ, c’était assez surréaliste ce mépris des collectivités. Le gouvernement avait fait le choix de gérer d’une façon bureaucratique la phase des masques et des tests », confirme aujourd’hui François Grosdidier, maire LR de Metz, ancien sénateur de Moselle.

Si la santé est une compétence régalienne, et donc de l’Etat, les maires se sont, eux, retrouvés en première ligne pour faire appliquer les mesures sanitaires. Dès le mois de mars 2020, des municipalités sont parfois prises dans l’étau des injonctions de l’exécutif et les réalités du terrain parfois contraires. Des arrêtés de diverses natures sont signés dans plusieurs communes, afin de répondre à des problématiques locales, ou dans le but de faire respecter le plus possible le confinement. L’instauration de couvre-feux, la restriction d’activités sportives dans l’espace ou le temps, le port obligatoire du masque… le panel des mesures est large.

« J’ai fini par me retrouver devant le tribunal administratif »

Comme à Sceaux, dans les Hauts-de-Seine, où un arrêté municipal du 6 avril impose brièvement aux plus de 10 ans de se couvrir le nez et la bouche, à l’extérieur, sous peine d’une amende de 38 euros. « J’avais prévenu le préfet deux jours avant de faire cet arrêté. Il ne m’avait rien dit. Et j’ai fini par me retrouver devant le tribunal administratif », se souvient Philippe Laurent, maire (UDI) de Sceaux et secrétaire général de l’Association des maires de France (AMF).

Ce paradoxe est illustré par l’allocution du chef de l’Etat le 13 avril 2020. « Je demande à tous nos élus, comme la République le prévoit en cette matière, d’aider à ce que ces règles soient les mêmes partout sur notre sol. Des couvre-feux ont été décidés là où c’était utile, mais il ne faut pas rajouter des interdits dans la journée », demande Emmanuel Macron tout en reconnaissant que des solutions ont été trouvées « au plus près du terrain », dans cette crise sanitaire.

Face à la pénurie de masques, dont le port généralisé était à l’époque déconseillé par les autorités de santé et les pouvoirs publics, des élus se sont effectivement organisés. « J’en ai retrouvé dans le grenier de la mairie. Des vieux stocks qui datent de la grippe H1N1. Je les ai distribués dans l’école qui accueille les enfants des personnels soignants des environs », expliquait à publicsenat.fr, Sylvain Sotton, maire de Beaujeu (2100 habitants) et président des maires ruraux du Rhône.

La responsabilité pénale des maires en question

La perspective du premier déconfinement va par la suite amener une question centrale dans le débat public : la responsabilité pénale des maires. A la quasi-unanimité, le Sénat réécrit l’article 1 du projet de loi prolongeant l’état d’urgence de la façon suivante : « Nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’avoir, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire […] pour faire face à l’épidémie de covid-19, soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARS-CoV-2, soit causé ou contribué à causer une telle contamination. »

Le gouvernement s’y oppose fermement. « Atténuer la responsabilité d’une catégorie de décideurs ou même de tous les décideurs ne me semble pas une bonne idée. Je le dis comme je pense en étant conscient que chez beaucoup de maires ma réponse peut susciter des interrogations voire des oppositions », fait valoir le Premier ministre, Édouard Philippe.

« La Chancellerie n’a pas voulu circonscrire la responsabilité des élus, ce qui a pu entraîner une paralysie des prises de décisions. Mais pour les élus locaux, ne pas prendre une décision, c’est aussi une prise de risque » estime François Grosdidier.

« Le gouvernement a appréhendé cet amendement de travers, comme si c’était une forme d’impunité accordée aux élus. Il s’agissait pour nous de protéger les serviteurs de l’Etat à qui on ne pouvait pas faire porter la responsabilité d’une contamination alors qu’ils avaient appliqué les décisions de l’exécutif » précise Françoise Gatel, sénatrice centriste, présidente de la délégation aux collectivités territoriales ».

« On gouverne de loin, mais on administre de près »

En première ligne pour faire respecter le confinement, les élus locaux ont en plus la lourde tâche d’organiser le déconfinement, notamment le retour progressif des enfants à l’école. « Comme tous les maires qui ont une école, la difficulté a été d’appréhender ce qu’on attendait de nous. On s’est gratté la tête pour mettre en application la longue liste de préconisations à tenir », soulignait à publicsenat.fr Dominique Dhumeaux, maire de Fercé-sur-Sarthe, une commune de 630 habitants avec une école primaire de 3 classes.

Face aux difficultés, certains élus renoncent à rouvrir les établissements scolaires. « En découvrant la dernière version du protocole sanitaire, celle de 54 pages, ils ont découvert des exigences impossibles à mettre en œuvre », rapportait à Public Sénat le 11 mai, jour de déconfinement progressif, Christophe Bouillon, président de l’Association des Petites Villes de France.

« On gouverne de loin mais on administre de près. J’ai le souvenir d’un maire qui a acheté deux abreuvoirs pour que les enfants puissent se laver les mains et respecter les distanciations sociales », rapporte Françoise Gatel.

« Le couple maire préfet plébiscité »

Cette déconnexion de l’Etat vis-à-vis des enjeux locaux pendant la crise sanitaire est symbolisée par les Agences régionales de Santé (ARS). Créées en 2010, ces agences placées sous l’autorité du ministère de la santé ont été au cœur des critiques des élus. « Nous avions affaire à des autorités sanitaires qui sont plus des gestionnaires que des fonctionnaires opérationnels en capacité de gérer une crise d’une telle ampleur […] nous n’avions pas de bilan humain, aucune visibilité sur l’importance de la crise dans le département. Les circuits d’information ont mis beaucoup de temps à se mettre en place », déplorait devant le Sénat fin avril Brigitte Klinkert, à l’époque présidente du conseil départemental du Haut-Rhin.

« La leçon que l’on doit tirer, c’est qu’en période de crise nous avons besoin de l’organisation d’une taskforce avec un interlocuteur unique de l’Etat, le préfet », confirme Françoise Gatel. Le fameux couple « maire-préfet » a, par la suite mieux fonctionné. En témoigne cette enquête réalisée en novembre, de l’Observatoire de la démocratie de proximité, menée par le Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po) en partenariat avec l’AMF, selon laquelle 64 % des maires interrogés estiment que leurs relations avec les préfets ont été efficaces.

« La crise a montré que nous n’avions pas la culture de la discussion collective. Au début de l’épidémie, nous avions des échanges avec les préfets, mais ils n’avaient pas grand-chose à nous dire. Emmanuel Macron annonçait les grandes lignes à la télévision et après les préfets ramaient pour les préciser. Ça a un peu changé lorsque le Premier ministre a commencé à communiquer plus régulièrement. Après les vacances d’été, nous, les associations d’élus, sommes allés voir Jean Castex pour lui demander que soient mis en place des points hebdomadaires en visioconférence entre les maires et les préfets, » rappelle Philippe Laurent.

« Nous ne demandons pas à décider, mais au moins d’avoir notre mot à dire »

La territorialisation des mesures de couvre-feu ou de confinement prises après un dialogue avec les élus a parfois entraîné des désaccords entre élus et exécutif. Comme lorsqu’Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo, évoque l’hypothèse d’un confinement de trois semaines pour la capitale quelques heures après l’annonce d’une simple « surveillance renforcée » par le Premier ministre.

A Metz, François Grosdidier avait demandé aux pouvoirs publics un confinement total, sans être suivi. « Je me serais contenté d’un avancement des vacances scolaires », souligne-t-il avant d’ajouter. « On nous a imposé le couvre-feu à 18 heures avant les autres. On nous disait que c’est parce que cette mesure avait bien fonctionné en Guyane. Mais la Guyane ce n’est pas la Moselle, les modes de vie sont quand même différents », s’agace-t-il.

« Oui, 18 heures c’est trop tôt notamment pour les rythmes de vie de la région parisienne », appuie Philippe Laurent. « Avec les 36 maires des Hauts-de-Seine, nous avons demandé au préfet de le déplacer à 19 heures mais il n’a aucune marge de manœuvre. Nous sommes toujours considérés comme de simples exécutants. Nous ne demandons pas à décider, mais au moins d’avoir notre mot à dire ».

Les élus de la montagne n’auront, par exemple, pas eu gain de cause au sujet de la fermeture de stations de ski, maintenue tout l’hiver. « Une annonce venue d’en haut qui nie le travail réalisé par les acteurs du secteur. On a l’impression qu’on fait semblant de nous associer et finalement une décision tombe, sans prise en compte de ce qui a pu être dit », confiait à pubicsenat.fr, le sénateur de l’Isère, Guillaume Gontard, président du groupe écologiste.

La crise sanitaire a eu un coût pour les collectivités. « Nous avons chiffré, et c’est un chiffre bas, les pertes de ressources et les dépenses nouvelles pour les communes et les intercommunalités, à hauteur de 6 milliards […] Nous avons (en 2020) 2 500 communes qui vont bénéficier de crédits de fonctionnement à hauteur de 230 millions. A cela s’ajoutent en crédits d’investissements, 400 millions de dotations de soutien à l’investissement local », comparait en novembre André Laignel, le vice-président de l’AMF.

« La campagne vaccination n’est pas une compétence des communes, mais c’est nous qui l’organisons »

Les communes aimeraient aussi partager la facture des centres de vaccination. La ville de Sceaux, qui s’est associée avec les communes d’Anthony et de Bourg-la-Reine pour l’ouverture d’un vaccinodrome le 15 mars, a fait ses calculs. « Ce sera de l’ordre de 100 000 euros par mois, rien que pour le personnel administratif. La campagne de vaccination n’est pas une compétence des communes, mais c’est nous qui l’organisons » rappelle Philippe Laurent.

« Quand on fera le bilan de la gestion de crise, il sera intéressant d’évaluer l’efficacité de chacun des acteurs. On a beaucoup parlé de ce qui était essentiel et ce qui ne l’était pas. Et bien, les maires sont essentiels pour appliquer les décisions de l’Etat. C’est la République des faiseurs et des inventeurs de solutions », conclut Françoise Gatel.

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