Crise des sous-marins : après le « camouflet », quelles conséquences pour la diplomatie française ?

Crise des sous-marins : après le « camouflet », quelles conséquences pour la diplomatie française ?

L’Australie ne veut plus du « contrat du siècle » passé avec la France pour la vente de sous-marins, préférant privilégier un partenariat avec la Grande-Bretagne et les États-Unis. Paris ne décolère pas contre ses alliés historiques. Le Sénat va conduire une série d’auditions. Une sénatrice réclame également une commission d’enquête.
Public Sénat

Par Romain David et Cécile Sixou

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Officiellement tombé à l’eau le 15 septembre, le contrat de vente de sous-marins français à l’Australie - souvent qualifié de « contrat du siècle » - n’en finit plus de faire des vagues dans l’univers habituellement policé et feutré de la diplomatie. La France ne décolère pas : outre la perte d’un faramineux accord, elle dénonce la méthode employée par des pays alliés. Paris explique n’avoir été informé de cette rupture qu’au dernier moment, alors que l’information avait commencé à fuiter dans la presse. De son côté, Washington assure avoir prévenu le gouvernement français du nouveau projet d’alliance, et Canberra fait part de ses doutes quant à la pertinence du contrat vis-à-vis de ses intérêts stratégiques. Bref, un énorme cafouillage diplomatique où chacun se renvoie la balle, et qui pousse aujourd’hui de nombreux responsables politiques à s’interroger sur les choix stratégiques de la France.

Un coup de massue pour la diplomatie française…

Mercredi, Canberra a officiellement annoncé son intention d’annuler l’achat de 12 sous-marins à propulsion diesel, inspirés des submersibles de classe Barracuda, pour privilégier un partenariat avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, devant permettre à l’Australie de se doter in fine de sous-marins nucléaires. En 2016, le Français DCNS (devenu depuis Naval Group) avait été sélectionné pour la construction de ces engins, prévue pour débuter l’année prochaine. Ce contrat estimé à 56 milliards devait unir les deux nations pour 50 ans. Emmanuel Macron aurait appris la nouvelle mercredi matin, dans la précipitation, selon une scène rapportée par le journal Le Monde.

« Rupture de confiance », « duplicité », « Coup dans le dos »… Depuis, les mots des officiels français ne sont pas assez durs pour qualifier le comportement de l’Australie, des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Vendredi, la France a rappelé pour consultation ses ambassadeurs en Australie et aux États-Unis, une mesure historique vis-à-vis de l’Oncle Sam, mais essentiellement symbolique. « Ce n’est pas une rupture, mais le moment est suffisamment sérieux pour avoir ce type de geste diplomatique », expliquait lundi matin, sur RTL, Philippe Étienne, l’ambassadeur français aux États-Unis. « C’est aussi une volonté de clarifier, d’avoir de réelles explications, et donc d’évaluer les conséquences stratégiques des annonces du 15 septembre », précise Jean-Yves Le Drian dans un entretien accordé à Ouest France. « Le retrait des ambassadeurs ne règle ni les problèmes stratégiques ni les problèmes de fond sur les raisons de cette rupture », soupire la sénatrice centriste Nathalie Goulet.

… Et un loupé pour les services de renseignement ?

Car en creux, c’est aussi la question d’une éventuelle défaillance des services de renseignement français qui se dessine, même si, officiellement, on ne s’espionne pas entre alliés. En conséquence, Nathalie Goulet a demandé lundi la création d’une commission d’enquête sénatoriale sur les conditions de la rupture de ce contrat et « ses conséquences aux plans industriel et stratégique ». Les sénateurs pourraient donc être amenés à faire la lumière sur d’éventuelles errances, notamment un manque d’appui de la part de la diplomatie aux intérêts économiques du pays. « Un contrat de ce montant-là ne se déboucle pas en une nuit. J’ai un peu de mal à comprendre comment cela s’est passé, et je ne suis pas la seule », s’indigne la sénatrice. « Cela pose quelques questions sur nos services qui n’ont pas vu se lier une alliance entre les Américains, les Australiens et les Britanniques », relève-t-elle. Mardi, le groupe SER du Sénat a également demandé l'ouverture d'une commission d'enquête sur cette affaire.

« Pourquoi ni nos réseaux diplomatiques ni nos services de renseignement n’ont eu vent, à aucun moment, de cette opération ? » renchérit Christian Cambon, sénateur LR du Val-de-Marne et président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. S’il doute qu’une commission d’enquête puisse répondre aux questions que pose cette affaire - « car nous ne sommes pas en mesure d’aller enquêter sur place, en Australie et aux États-Unis » - il entend toutefois déclencher une série d’auditions avec notamment le ministre des Affaires étrangères, le directeur général de la DGSE et Naval Group.

Affaires des sous-marins: la commission des affaires étrangères du Sénat va auditionner Le Drian
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La France a-t-elle été bernée par ses propres alliés ? Le calendrier semble appuyer cette hypothèse. Le 30 août, une réunion commune des ministres australiens et français des Affaires étrangères et de la Défense donne lieu à un communiqué qui souligne « l’importance du programme des futurs sous-marins. » À ce stade, tout semble donc encore aller pour le mieux, même si l’on peut s’étonner de ne pas voir d’autres mentions explicites de cet important contrat dans ce document de cinq pages. Pour le sénateur LR Gérard Longuet, la France a pu manquer de vigilance « en se pensant protégée dans ce dossier par les accords sur la vente de matériel nucléaire, qui interdisent de doter les pays qui ne disposent pas déjà d’installations similaires », ce qui est le cas de l’Australie. « Et puis, pointe-t-il, dans l’histoire récente, les Américains n’ont pratiquement jamais voulu vendre leur matériel militaire naval. »

Quitter l’OTAN ?

Pour l’heure, hormis l’annulation de réunions et autres évènements mondains, comme une soirée de gala qui était prévue vendredi à Washington, il n’est pas encore formellement question de représailles. Pour Gérard Longuet, l’image de l’administration Biden pâtit déjà largement de cette crise. « C’est la France qui prend une claque mais ce sont les Américains qui la donnent, et à un allié qui ne leur a jamais fait défaut, sauf au moment de la guerre en Irak. » Cet ancien ministre de Nicolas Sarkozy prédit « une perte de confiance totale » des partenaires de Washington. Toujours dans les colonnes d’Ouest France, Jean-Yves Le Drian réclame une mise au point entre alliés au sein de l’OTAN, dont un sommet est prévu au printemps 2022 à Madrid. Emmanuel Macron avait appelé fin 2019 à repenser les « finalités stratégiques » de l’alliance atlantique, la crise franco australienne pourrait servir d’accélérateur.

Plusieurs candidats déclarés à la présidentielle se sont d’ailleurs emparés du sujet depuis la fin de semaine. « Quid de l’OTAN ? Nous sommes revenus dans le commandement intégré de l’OTAN, nous sommes des alliés des États-Unis, nous avons signé avec les Britanniques le traité de Lancaster House qui fait que la grande Bretagne, malgré le Brexit, reste notre premier partenaire en matière militaire et de dissuasion nucléaire. Est-ce que tout cela a encore un sens aujourd’hui ? », a interrogé vendredi Valérie Pécresse au micro d’« Extra Local », la nouvelle émission de Public Sénat.

Le candidat communiste Fabien Roussel est allé plus loin dimanche, alors qu’il participait à « Questions politiques » sur France Inter. Il appelle la France à retrouver une forme d’indépendance : « Il y a d’abord un coup à marquer immédiatement, c’est revenir sur la décision de Sarkozy en 2009 ». En clair : La France doit quitter le commandement intégré de l’OTAN.  « Ce camouflet stratégique est la réaffirmation par les États-Unis qu’ils sont les seuls et uniques patrons de l’alliance atlantique. Il faut regarder cette alliance en face », abonde le sénateur communiste Pierre Laurent, vice-président de la commission des affaires étrangères.

Sur cette question, Nathalie Goulet se veut plus mesurée : « Il faut garder la tête froide. On ne peut pas improviser une réplique. » « Hypothèses absurdes et agitations de candidats à l’élection présidentielle qui entendent surfer sur cet évènement », balaye Christian Cambon. Mais selon Gérard Longuet, la sortie de l’OTAN est « une piste parfaitement crédible, sauf si la France a besoin d’une couverture… Ce qui n’est pas le cas en ce moment. »

Relancer l’Europe de la défense

Cette crise entre partenaires historiques pourrait aussi amener la France à se recentrer sur la défense européenne. « L’UE doit aboutir à la définition de ce qu’on appelle la boussole stratégique, un livre blanc de la Défense et de la sécurité européenne. Nous devons définir nos ambitions, notre détermination, nos moyens, nos priorités, nos enjeux sécuritaires, pour nous Européens », plaide encore Jean-Yves Le Drian dans Ouest France. Pour Gérard Longuet, « si les Européens ne croient toujours pas à l’Europe de la défense, ils vont être obligés de s’y atteler ». Et de nuancer : « Le problème de la défense européenne, c’est que chaque pays a ses intérêts, ses adversaires, ses alliés… ». De quoi nourrir de nombreux sujets de discordes. Aussi, la France pourrait se sentir bien seule dans la zone indo-pacifique, où elle est compte de nombreux ressortissants. En cas de tensions avec Pékin, elle pourrait même se heurter à l’Allemagne dont la balance commerciale avec la Chine est excédentaire.

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