Critiques envers le Conseil constitutionnel : sans le citer, Laurent Fabius fait la leçon à Eric Zemmour

Critiques envers le Conseil constitutionnel : sans le citer, Laurent Fabius fait la leçon à Eric Zemmour

Face aux critiques répétées contre les décisions de son institution, le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, rappelle qu’« il ne faut pas confondre l’Etat de droit et l’état du droit ». L’Etat de droit, « ce sont les principes fondamentaux qui font que la France est, et restera une démocratie ». Aux « sages » de le faire respecter.
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A 75 jours du scrutin, pour sa conférence de presse sur l’organisation de l’élection présidentielle, Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, est venu rappeler quelques réalités juridiques, à qui veut l’entendre : son institution n’écrit pas le droit, il le vérifie et le contrôle. Et censure tout ou partie de la loi, en cas de non-conformité de celle-ci à la Constitution. Un principe simple et essentiel en démocratie, digne d’un cours de première année de droit constitutionnel. Mais dans la période présidentielle actuelle, quelques mises au point s’avèrent nécessaires.

« Extrêmement dangereux »

Eric Zemmour a multiplié ces dernières semaines les critiques contre l’institution de la rue de Montpensier. « Ce ne sera pas le Conseil constitutionnel qui fera la loi si je suis Président. Il faudra qu’il s’y habitue », lance le candidat d’extrême droite le 7 décembre. « Ce n’est pas le Conseil constitutionnel qui décidera si je suis président », insiste-t-il deux jours après. Le 16, rebelote, nouvelle attaque : « Au nom d’un principe de fraternité, liberté, égalité, le Conseil constitutionnel a interdit au gouvernement de sanctionner un passeur de clandestins ». Le candidat a aussi dénoncé à plusieurs reprises ce qu’il appelle le « gouvernement des juges ». A droite, c’est le député LR Eric Ciotti qui dénonçait en 2020 la censure du Conseil sur les mesures de sûreté contre les terroristes.

« Les critiques sont libres. Nous les voyons. Mais nous allons à l’essentiel. Et nous, nous sommes là pour faire respecter l’Etat de droit », souligne Laurent Fabius, répondant aux journalistes sur cette question. « Il ne faut pas confondre l’Etat de droit et l’état du droit », recadre-t-il. Ce dernier peut être modifié par le législateur, en l’occurrence le Parlement qui vote les projets de loi présentés par le gouvernement. Alors que « l’Etat de droit, c’est autre chose. Ce sont les principes fondamentaux qui font que la France est, et restera une démocratie », rappelle le président du Conseil constitutionnel, évoquant « l’indépendance de la justice », « la liberté de la presse », ou « d’association ». Sans pouvoir, dans sa position, citer Eric Zemmour, il pointe « des personnalités qui disent que ces règles de droit, au fond, il faudrait les mettre en cause ». Il pense qu’il « serait extrêmement dangereux » de revenir sur cet Etat de droit. « Le droit, c’est important en démocratie. Il faut y être attentif », dit encore Laurent Fabius. Il ajoute :

Dans toute une série de pays, il y a eu des remises en cause du droit. En France, il faut veiller à ce que ce ne soit pas le cas.

« Le rôle du Conseil n’est pas de faire la loi. Mais de vérifier si la loi est conforme à la Constitution »

S’il ne « veut pas polémiquer avec tel ou tel candidat », Laurent Fabius continue de décrire le rôle de l’institution qu’il préside. « Dans les démocraties avancées, il existe partout un contrôle de la constitutionnalité des lois. C’est même le critère. Jusqu’à la Ve République, les lois pouvaient faire tout ce qu’elles voulaient faire », rappelle-t-il. Mais depuis, « la loi ne peut faire n’importe quoi et doit être conforme au bloc de constitutionnalité ». Alors la campagne présidentielle relance le débat sur le rapport entre le droit européen et le droit national, Laurent Fabius, là encore, explique que les sages ne font qu’appliquer le droit. « Comme nous avons adhéré à l’Union européenne, ceci doit être respecté », « ça vaut dans d’autres domaines, comme le droit d’asile ». Bref, pour résumer, « le rôle du Conseil n’est pas de faire la loi. Mais de vérifier si la loi est conforme à la Constitution ».

Il est toujours possible de modifier la Constitution, si la Constitution ne convient pas. Mais il convient de le faire selon son article 89, c’est-à-dire par un vote à la majorité des 3/5 du Congrès, et non l’article 11 avec le référendum. Le général de Gaulle a bien modifié la loi fondamentale par référendum pour instituer l’élection au suffrage universel direct du Président, en 1962. Mais « cette pratique n’a pas été poursuivie ensuite », rappelle Laurent Fabius, et « n’est pas le général de Gaulle qui veut… »

Débat sur la règle des parrainages : plutôt étudier la question en début de mandat

Pour le reste, à savoir l’organisation du scrutin, le président du Conseil constitutionnel a rappelé les règles déjà globalement connues, notamment celle des 500 parrainages : depuis l’élection de 2017, les 42.000 élus (surtout des maires) habilités à donner leur paraphe, doivent le faire eux-mêmes et directement par voie postale auprès du Conseil. La période du recueil commence le 27 janvier et dure jusqu’au 4 mars, à 18 heures. Les noms sont rendus public au fur et à mesure, au rythme de deux fois par semaine, les mardis et jeudis, sur le site spécial du Conseil.

Lire aussi : Présidentielle 2022 : comment fonctionne la règle des 500 signatures d’élus

Une publicité qui fait débat, qui date d’une loi organique de 2016. Pour Laurent Fabius, s’il doit y avoir une réflexion, il faut la lancer assez tôt. « Je dirais qu’il serait sans doute de bonne pratique démocratique que cette question, qui revient quand même à chaque fois, si elle doit être examinée et tranchée, le soit plutôt en début de mandat qu’à la fin lorsque l’on butte sur les délais », pense-t-il.

Sur l’organisation du scrutin sous covid, « nous n’avons pas de conseils à donner. Sinon, nous sommes juges et partie »

Quant à l’organisation d’une présidentielle sous covid, Laurent Fabius, là encore, ne peut pas dire dans sa position s’il estime que toutes les mesures nécessaires ont été prises pour assurer le bon déroulé des opérations de vote, au regard du risque épidémique. Au Sénat, les centristes auraient ainsi aimé qu’on retrouve les mesures prises lors des régionales ou municipales, comme la double procuration. Le président du Conseil a bien reçu le 11 janvier, sur le sujet, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à la « demande » de ce dernier, avant une réunion avec les partis. Mais « nous n’avons pas de conseils à donner. Sinon, nous sommes juges et partie », met en garde l’ancien premier ministre socialiste.

Laurent Fabius renvoie par ailleurs sur la décision de l’institution sur le projet de loi portant le passe vaccinal. La mesure a été validée, mais le Conseil a censuré la possibilité, pour les organisateurs de meeting, de demander le passe sanitaire, « la loi ne justifiant pas le dispositif par rapport aux questions de santé ». Autrement dit, la loi était mal écrite. Il reste cependant « possible d’exiger » des mesures comme le port du masque ou des jauges.

Côté calendrier, après le premier tour, fixé le 10 avril, les résultats officiels seront connus le 13 avril. Après le second tout, le 24 avril, la proclamation du nom du Président élu se fera a priori le 27 avril, avant l'échéance de son mandat le 13 mai. S’ouvrira enfin une dernière phase, celle du diagnostic et des recommandations pour la prochaine élection, et des éventuels contentieux.

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