De la stratégie à la préparation, les clefs du débat Macron/Le Pen

De la stratégie à la préparation, les clefs du débat Macron/Le Pen

Le débat d’entre-deux tours entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen apparaît crucial, alors que le second tour s’annonce serré. Nous avons demandé l’avis à trois spécialistes, les anciens conseillers com' de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, Franck Louvrier et Gaspard Gantzer, et le communicant Philippe Moreau Chevrolet. Si le débat ne fait pas l’élection, on peut aussi y perdre des plumes.
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Le débat d’entre-deux-tours, devenu rituel républicain, reste le moment phare de tout scrutin présidentiel. Le duel qui opposera mercredi soir Emmanuel Macron à Marine Le Pen ne fera pas exception. Il sera regardé par des millions de Français, qui auront en tête le débat de 2017. Marine Le Pen, qui était alors apparue moins à son aise et imprécise, avait raté son débat face à Emmanuel Macron. Le point sur ce qu’il se joue lors de cette confrontation et comment les candidats peuvent l’aborder.

Quelle stratégie pour Emmanuel Macron et Marine Le Pen ?

Pour le Président, qui sort de cinq années d’exercice du pouvoir, « l’enjeu est la sincérité », selon Franck Louvrier, maire LR de La Baule et ancien conseiller en communication de Nicolas Sarkozy. A son actif, il a « organisé deux débats », l’un face à Ségolène Royal, en 2007, l’autre face à François Hollande, en 2012. « Pour Marine Le Pen, c’est la crédibilité », ajoute le conseiller régional des Pays-de-la-Loire, qui s’est rapproché depuis le premier tour du chef de l’Etat, défendant l’idée d’une « majorité de coalition » entre LR et Emmanuel Macron.

S’il devait conseiller Emmanuel Macron, le communicant Philippe Moreau Chevrolet lui dirait pour sa part d’« essayer de reconnaître ses erreurs, d’essayer d’être humain et de casser l’image du Président arrogant, élitiste et froid », ou encore de « ne pas tout promettre car les gens deviennent méfiants de sa capacité caméléon à changer de conviction ». Le président de MCBG Conseil ajoute :

Emmanuel Macron doit montrer une forme de vulnérabilité pour ne pas laisser à Marine Le Pen le monopole du cœur.

A l’inverse, « l’enjeu pour Marine Le Pen est de ne pas se rediaboliser, ne pas se laisser piéger dans des débats sur le voile, la Russie. Elle a beaucoup plus à perdre qu’à gagner. Elle devra rester sur le terrain du social et de l’économie », selon Philippe Moreau Chevrolet.

Selon Gaspard Gantzer, l’ancien conseiller en communication de François Hollande à l’Elysée, aujourd’hui enseignant à Sciences Po, « Emmanuel Macron va parler, j’imagine, des ambiguïtés de Marine Le Pen sur la Russie, des problèmes de financement de son programme ou de la question identitaire. A l’inverse, Marine Le Pen devrait mettre en cause Emmanuel Macron sur son bilan, sa pratique du pouvoir ou ses promesses non tenues ». Globalement, « il faut rassurer mais incarner le changement aussi, car les électeurs sont zappeurs », selon François Louvrier. Une chose est sûre : on ne met pas sur la table de nouvelles propositions lors du débat. « Ce n’est pas le lieu. Ce serait maladroit et incompris. On fait des propositions lors des discours ou interview », explique Gaspard Gantzer.

» Lire aussi : Duel Macron/Le Pen : deux stratégies d’entre-deux-tours, où « chacun travaille ses points faibles »

La forme autant que le fond : « Etre le plus sincère et authentique » et « aucune humiliation à l’endroit de son adversaire »

Dans ce genre d’exercice qu’est le débat, les propositions ne suffisent pas. Et le fond joue un rôle tout aussi important. « La télé s’écoute avec les yeux », lance Franck Louvrier, « il faut à la fois pouvoir emporter les téléspectateurs sur le fond mais aussi sur la forme. Il ne doit y avoir aucune humiliation à l’endroit de son adversaire ». Il continue : « Aucune faute n’est acceptée à l’endroit d’une femme, si vous avez une forme d’agressivité », estime l’ex-conseiller com' de Nicolas Sarkozy, qui avait affronté Ségolène Royal en 2007. « Quand c’est un débat entre hommes, l’agressivité peut monter d’un cran. Ce n’est pas possible face à une femme », soutient le maire de La Baule.

« La télévision s’écoute autant qu’elle se regarde, on le dit souvent », confirme Gaspard Gantzer, « et ce qu’on ne voit pas forcément avec ses yeux, on l’entend, ou on voit ce qu’on n’entend pas, au travers d’un rictus par exemple. Vous ne pouvez pas être un acteur en permanence », met en garde le communicant.

Selon le président de la Gantzer Agency, l’essentiel pour faire passer le message est d’« être soi-même. Car dans un débat apparaît une vérité, on ne peut pas se travestir, on ne peut pas se mentir. On a intérêt à être le plus sincère, authentique que possible. Les téléspectateurs voient très bien celui qui essaie de jouer un rôle ou de raconter des balivernes, pour tenter de plaire aux électeurs ».

Quand Eric Besson faisait Royal pour entraîner Sarkozy, et Guillaume Bachelay jouait Sarkozy face à Hollande

Comment se prépare concrètement un débat d’entre-deux-tours ? « Nicolas Sarkozy prenait quelques heures pour se reposer, faire du sport. Et il travaillait un peu ses thèmes », se souvient Franck Louvrier. Mais il ne s’agit pas de réviser tout son programme, fiches à la main, jusqu’à la dernière minute. Franck Louvrier :

Avant un débat, vous ne bachotez pas, c’est trop tard. L’état d’esprit, c’est de se reposer pour arriver avec les idées claires.

Avis partagé par Gaspard Ganter. « Le meilleur des conseils qu’on puisse donner, c’est d’arriver en forme, le plus reposé, le plus relâché possible », confirme l’ancien conseiller com' de François Hollande.

La préparation du débat peut aussi passer par quelques jeux de rôle… S’il n’était pas encore aux côtés de François Hollande pour le débat de 2012, Gaspard Gantzer raconte l’avant match de l’ancien Président socialiste : « On en a souvent parlé, François Hollande avait préparé énormément, il avait révisé ses formules et s’était entraîné avec un sparring-partner, qui était Guillaume Bachelay », ancien député PS fabuisien, aujourd’hui retiré de la politique.

Franck Louvrier a aussi son anecdote en la matière : « On avait pris quelques heures. On s’était isolé en Corse à quelques-uns, dont Eric Besson (transfuge du PS, ndlr), qui était venu faire un peu le partenaire Royal », confie l’ancien conseiller élyséen…

Un « débat décisif » ou qui n’influe qu’à la marge ?

Mais au fond, le débat d’entre-deux-tours a-t-il un impact sur le second ? Ou lui prête-t-on trop d’importance ? « Les adversaires restent vos adversaires et vos soutiens restent vos soutiens. La marge de manœuvre est sur l’abstention », souligne Franck Louvrier. Il ajoute : « Je ne pense pas qu’un débat fasse perdre ou fasse gagner. Car vous êtes dans les derniers jours de campagne. Mais la différence avec les débats précédents, c’est qu’il y a beaucoup d’abstention ».

« On sait que le débat ne fait bouger que quelques centaines de milliers de voix », confirme Gaspard Gantzer. Mais il nuance : « La campagne est serrée cette fois. Donc le débat peut être décisif. Emmanuel Macron avait pris un gros ascendant il y a 5 ans. Marine Le Pen aura à cœur de prendre sa revanche », ajoute le communicant, qui n’exclut pas cependant « qu’elle soit mauvaise ». Ce serait la surprise, alors qu’on répète qu’elle est mieux préparée.

« D’habitude, un débat d’entre-deux-tours déplace très peu de voix, on l’estime au grand max à 1,5 point. Ce n’est pas ce qui fait l’élection », pense également Philippe Moreau Chevrolet, « mais ça confirme des dynamiques, donc ça peut en aggraver ». Autrement dit, « si Marine Le Pen rate encore son débat, ça confirme qu’elle n’est toujours pas prête. Si elle réussit l’exploit de paraître correspondre aux critères français du Président, soit un croisement de Question pour un champion qui a réponse à tout, et être rassurant, elle pourra peut-être gagner des points », pense le dirigeant de président de MCBG Conseil, qui ajoute :

On peut perdre beaucoup dans un débat, Emmanuel Macron aussi.

Si les voix bougent à la marge, Philippe Moreau Chevrolet pense qu’Emmanuel Macron doit malgré tout « continuer à envoyer des signaux à l’électorat de gauche et écologiste, car c’est celui qui lui manque », après avoir « fait une campagne de premier tour sur la retraite à 65 ans pour siphonner les voix de droite ». Mais cela reste difficile, « car ils ne sont pas « en même temps », ils ont des convictions tranchées ». Conclusion de Philippe Moreau Chevrolet : « Le vrai enjeu de l’élection n’est pas de convaincre, c’est un concours à qui sera le moins détesté ».

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