Déconfinement : Édouard Philippe renvoie la balle aux entreprises

Déconfinement : Édouard Philippe renvoie la balle aux entreprises

À l'Assemblée nationale, le Premier ministre a détaillé les principales mesures qui permettront au pays d’entamer une reprise de l’activité. Télétravail encouragé, masques recommandés, horaires décalés, Édouard Philippe a exhorté les acteurs économiques à se réorganiser pour reprendre leur activité dans une situation sanitaire incertaine.
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Par Jonathan Dupriez

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Pour éviter la faillite du pays tout entier, le 11 mai, en plus d’être un horizon moral et psychologique pour les Français confinés, apparaît surtout comme la perspective tant attendue d’un rebond sur le plan économique. Face aux 75 députés réunis dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, Édouard Philippe a détaillé les mesures qui permettront d'accompagner une reprise de l'activité. « Mais à vouloir trop précipiter la reprise, ne la fragilise-t-on pas pour demain » s’interroge la vice-présidente communiste de la commission des affaires économiques, Cécile Cukierman qui craint une reprise tous azimuts alors que la situation sanitaire est toujours très dégradée. De son côté, le LR Serge Barbary, spécialiste des PME, artisans et professions libérales au Sénat, salue un plan « assez précis » du Premier ministre qui fait office « d’horizon psychologique pour la population et qui donne une perspective aux chefs d’entreprise. » Si le cadre sanitaire de cette remise en marche du pays a globalement été défini par l'État, les mesures à mettre en place incombent largement aux entreprises sur le terrain.

Télétravail « au moins dans les trois prochaines semaines »

Dans l’après 11 mai, les gestes barrières, désormais familiers au pays, devront perdurer. Dans cette logique, Édouard Philippe a appelé à limiter au maximum le présentiel dans les entreprises et demandé « avec insistance » à ces dernières de maintenir le télétravail « partout où c'est possible, au moins dans les trois prochaines semaines. » En laissant des millions de Français en télétravail, l’idée est de limiter l’affluence non seulement dans les sièges des entreprises, mais surtout dans les transports en commun, lieu critique où les règles de distanciation sociale ne peuvent que très partiellement s’appliquer. « Personne n'en ignore les contraintes mais le télétravail doit se poursuivre pour limiter le recours aux transports publics et pour limiter plus globalement les contacts », a plaidé Édouard Philippe en présentant son plan.

Si le télétravail n’est pas rendu obligatoire par Matignon, Serge Barbary, membre de la commission des affaires économiques, note « une forme d’injonction » au monde économique de la part du premier ministre. De son côté, Cécile Cukierman déplore qu’en l’absence d’obligations, les « acteurs de terrain » soient abandonnés à leurs responsabilités par le Premier ministre. Sur le télétravail, Édouard Philippe plaide la continuité des mesures déjà défendues par l’exécutif : « Il n’y a pas un avant et un après 11 mai », a-t-il réaffirmé face à la représentation nationale.

« Personne n'en ignore les contraintes »

Cette décision apparaît conforme à celle préconisée par le conseil scientifique dans son dernier avis. Les scientifiques, qui agissent comme la boussole de l’exécutif dans la crise, avaient appelé de leurs vœux la poursuite du télétravail afin de soulager le nombre d’usagers dans les transports en commun. Ainsi, avec des millions de Français travaillant de chez eux, « le maintien des cadences de transport habituelles permettra de limiter les concentrations de voyageurs dans des espaces confinés à fort risque de transmission virale » justifient les scientifiques.

Dans les cas où le télétravail n'est pas possible, le Premier ministre a encouragé « la pratique des horaires décalés dans l’entreprise ». « Elle étalera les flux de salariés dans les transports et diminuera la présence simultanée des salariés dans un même espace de travail » a-t-il ajouté.

Aménagement des espaces de travail

En outre, Édouard Philippe a exhorté les entreprises à porter « une attention particulière aux emplois du temps, aux gestes barrières » et surtout, à « l’aménagement des espaces de travail. » Pour obtenir un cadre, les chefs d’entreprise pourront se baser sur les recommandations des 60 guides métiers élaborés par les fédérations professionnelles et le ministère du Travail qui devront être « prêts pour le 11 mai. » 33 de ces guides sont déjà disponibles sur le site du ministère du Travail.

Port du masque

En outre, le Premier ministre recommande aux entreprises où « les règles de distanciation ne pourront être garanties » de recourir « au port du masque » pour les salariés les plus exposés. « Encore faut-il que tout le monde puisse trouver un masque » grince Serge Barbary. De son côté, Cécile Cukierman déplore une nouvelle fois que « les masques soient recommandés et non obligatoires » signifiant aux chefs d’entreprise qu’ils doivent eux-mêmes se débrouiller pour s’approvisionner et porter la responsabilité d’éventuelles conséquences sanitaires sur leur personnel.

Sur ces sujets liés à la santé et à la sécurité des salariés, le Premier ministre a spécifié qu’ils seront au menu d'une réunion avec les organisations syndicales et patronales jeudi. Cécile Cukierman est circonspecte quant à son utilité : « Il faut voir si c’est une simple rencontre pour les informer et qu’elle ne sert à rien d’autre, ou si cette réunion permet d’élaborer l’ensemble des règles collectives que l’on adaptera en fonction des réalités locales. »

Réouverture de presque tous les commerces non essentiels

Autre sujet très attendu abordé par le Premier ministre : l’épineuse question de la réouverture des commerces. Hormis les cafés et restaurants qui ne seront pas fixés sur leur sort avant la fin du mois de mai, tous les magasins, marchés de plein air et halles couvertes pourront rouvrir à partir du 11 mai à condition d'être en mesure de faire respecter les mesures de protection sanitaire. « Chacun d’entre eux devra respecter un cahier des charges strict, limitant le nombre de personnes présentes en même temps dans le magasin et organisant les flux, afin de faire respecter la règle de la distance minimale d'un mètre par personne sans contact autour d’elle » a fait savoir le Premier ministre. Une bonne chose pour Serge Barbary, pour qui il était « impossible d’imaginer continuer comme ça plus longtemps. » « Il faut que le pays se remette en marche » selon lui.

Ces réouvertures seront toutefois conditionnées par l’aval des préfets et des maires localement, au gré de la situation sanitaire. « Le port du masque grand public est recommandé pour les personnels et les clients lorsque les mesures de distanciation physique ne peuvent être garanties », a ajouté Édouard Philippe. Aussi, les commerçants pourront interdire l'accès à leur magasin aux personnes dépourvues de masque, a-t-il prévenu.

L’exception des centres commerciaux

Autre exception, « les préfets pourront décider de ne pas laisser ouvrir, au-delà des sections alimentaires déjà ouvertes, les centres commerciaux de plus de 40,000 m2 qui risquent de susciter de tels mouvements de population », a assuré Édouard Philippe. « L'ouverture des commerces comprendra une exception pour les centres commerciaux qui ont une zone de chalandise qui va au-delà du bassin de vie et donc qui génère des déplacements et des contacts que nous ne voulons pas encourager », a précisé le chef du gouvernement.

« Sur le tourisme et la culture, on sent bien que le gouvernement est hésitant »

Reste un flou autour du secteur de l’hôtellerie et du tourisme en général, dont le chef du gouvernement n’a pas fait grand cas. « Sur le tourisme et la culture, on sent bien que le gouvernement est hésitant » note Cécile Cukierman. Les grands rassemblements de l’événementiel, du sport ou de la culture, de plus de 5 000 personnes, sont désormais repoussés jusqu’au mois de septembre. « La période estivale pour le tourisme, ça va être compliqué » soupire Serge Barbary, qui note que la reprise touristique passe également par une réouverture des frontières. « Il y a des régions où les touristes sont essentiellement étrangers et donc si les transports longue distance ne reprennent pas, je ne vois pas comment des cohortes de Chinois et d'Américains pourraient venir déambuler chez nous. »

Chômage partiel maintenu jusqu’au 1er juin

Au Palais Bourbon, Édouard Philippe a aussi fait le point sur le chômage partiel, dispositif inédit permettant aux salariés de toucher 84 % de leur rémunération. Actuellement, 10,8 millions de salariés sont concernés, soit plus d'un salarié du privé sur deux. Édouard Philippe a annoncé qu'il resterait « en place jusqu'au 1er juin » avant de « l'adapter progressivement, afin d'accompagner la reprise d'activité si l'épidémie est maîtrisée », a-t-il assuré.

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