Décryptage : Emmanuel Macron a-t-il vraiment lancé un ultimatum aux oppositions ?
Emmanuel Macron aurait laissé entendre, lors de son allocution du 22 juin, qu’il donnait jusqu’à vendredi soir aux oppositions pour se positionner sur son programme. Si le chef de l’Etat cherche à mettre la pression sur ses adversaires face au risque de paralysie politique, il espère également gagner du temps pour parvenir à reprendre la main.

Décryptage : Emmanuel Macron a-t-il vraiment lancé un ultimatum aux oppositions ?

Emmanuel Macron aurait laissé entendre, lors de son allocution du 22 juin, qu’il donnait jusqu’à vendredi soir aux oppositions pour se positionner sur son programme. Si le chef de l’Etat cherche à mettre la pression sur ses adversaires face au risque de paralysie politique, il espère également gagner du temps pour parvenir à reprendre la main.
Romain David

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Malgré sa brièveté - un peu moins de 8 minutes - l’allocution donnée mercredi soir par Emmanuel Macron a été abondamment commentée. Une prise de parole qui est intervenue trois jours après que les élections législatives ont dynamité les équilibres parlementaires - privant le camp présidentiel de sa majorité absolue -, et surtout après 24 heures de consultations auprès des représentants des forces politiques susceptibles de former un groupe au sein de la nouvelle assemblée. Constatant qu’il devra dorénavant se tourner vers ses adversaires pour continuer à réformer le pays, le chef de l’Etat a appelé les oppositions à clarifier leur position vis-à-vis de l’exécutif, et à lister, le cas échéant, les textes qu’elles sont susceptibles de soutenir.

Une déclaration présentée par de nombreux exégètes comme un « ultimatum » lancé au reste de la classe politique. La formule a été utilisée notamment par BFM TV, par l’éditorialiste politique Bruno Jeudy dans les colonnes de Paris Match ou encore par le pure player Atlantico. « Jupiter is back […] Il y a eu un ultimatum aux oppositions. Je pars à Bruxelles, je reviens, et vous avez en gros 48 heures pour me dire quels textes vous votez, et quels textes vous ne votez pas », a également résumé sur Sud Radio la journaliste Françoise Degois, ancienne conseillère en communication politique. Le terme était aussi dans la bouche de plusieurs membres de l’opposition, invités le lendemain à réagir aux micros des matinales. « Il n’a pas fait de proposition, il a posé un ultimatum », a estimé l’insoumis Manuel Bompard sur RTL. « Il a dit aux groupes de l’Assemblée nationale : mon projet, en quelque sorte, a été approuvé par les Françaises et les Français au second tour de l’élection présidentielle et, sur cette base-là, vous devez dire si vous êtes d’accord pour participer à sa mise en œuvre », a analysé le nouveau député des Bouches-du-Rhône, allant même jusqu’à parler d' « une forme de crachat au visage du peuple français ».

« On parle de plusieurs jours, peut-être même de plusieurs semaines et certainement pas de 48 heures »

Dans le même temps, les membres du gouvernement ont livré des commentaires moins catégoriques en se pliant à l’exercice du service après-vente, habituel après les interventions du chef de l’Etat. « Tout sauf un ultimatum » pour Olivia Grégoire, la porte-parole du gouvernement qui était sur franceinfo jeudi matin. « Ce n’est pas : j’attends vos copies au retour, vendredi soir. À son retour du Conseil européen, dans 48 heures, nous commencerons à bâtir. C’est le début du chemin, ce n’est pas la fin », a-t-elle expliqué. Avant d’ajouter : « L’ultimatum c’est la fin. Là, il ouvre le début des négociations, le début du consensus et des compromis. On parle de plusieurs jours, peut-être même de plusieurs semaines et certainement pas de 48 heures. » Interrogée par Ruth Elkrief sur LCI hier soir - « est-ce un ultimatum ? » -, la Première ministre Élisabeth Borne s’est montrée légèrement plus hésitante : « Enfin… Je pense qu’on peut… Enfin, je n’ai pas perçu cela comme ça, et je ne pense pas que c’est ce qu’il a voulu dire. »

Le verbatim présidentiel

Un « ultimatum » est une « sommation, une mise en demeure ; une exigence que l’on déclare irrévocable, à laquelle il doit être satisfait dans un délai fixé », nous indique le Dictionnaire de l’Académie française. La définition du Robert évoque aussi l'idée d'une clause restrictive  : « Les dernières conditions présentées par un État à un autre et comportant une sommation ».  Mais qu’a dit exactement Emmanuel Macron ? Si le chef de l’Etat a bien parlé dans son allocution du Conseil européen qui se tient jusqu’à vendredi à Bruxelles, et de la nécessité de commencer à travailler sur une nouvelle manière de légiférer dès son retour à Paris, il ne s’est pas montré aussi ferme que certains le laissent penser :

« Il faudra clarifier dans les prochains jours la part de responsabilité et de coopération que les différentes formations de l’Assemblée nationale sont prêtes à prendre. Entrer dans une coalition de gouvernement et d’action ? S’engager à voter seulement certains textes ? Notre budget ? Lesquels ? », a interrogé le président de la République. « Pour avancer utilement, il revient aux groupes politiques de dire en toute transparence jusqu’où ils sont prêts à aller. Demain et vendredi, je vous représenterai au Conseil européen. […] Dès mon retour, à la lumière des premiers choix, des premières expressions des groupes politiques de notre Assemblée nationale, nous commencerons à bâtir cette méthode et cette configuration nouvelle. »

Gagner du temps avant les premiers débats parlementaires

Emmanuel Macron semble davantage évoquer le lancement d’une réflexion - « à la lumière des premiers choix » -, sur les éléments de son programme susceptibles de rassembler des majorités de circonstance, plutôt qu’un calendrier précis - « dans les prochains jours ». « Je n’ai pas du tout pris cela pour un ultimatum. En deux semaines il est passé d’une situation de toute puissance à une situation d’impuissance. Il n’a pas la main pour élaborer des stratégies complexes », décrypte auprès de Public Sénat Philippe Moreau Chevrolet, professeur de communication politique à Science Po.

En revanche, le chef de l’Etat agite bel et bien une forme de menace, celle de la paralysie politique. Mais il s’agit avant tout de renvoyer la balle aux oppositions - « il revient aux groupes politiques de dire en toute transparence jusqu’où ils sont prêts à aller » -, faisant ainsi reposer sur ses adversaires la responsabilité d’un blocage parlementaire. « En surfant sur la crainte de certains observateurs, ils cherchent aussi à gagner du temps », poursuit Philippe Moreau Chevrolet. « Le temps de rallier quelques élus supplémentaires à lui, le temps aussi pour ses conseillers, je pense notamment à Thierry Solère, de mettre en place un tissu parlementaire efficace autour du gouvernement. »

« Ce n’est pas à l’opposition de faire un pas vers le président de la République »

Pour l’heure, les oppositions bottent en touche, estimant qu’il revient plutôt au président, privé de sa force de frappe parlementaire, d’amender son programme de réélection en tenant compte des propositions formulées pendant la campagne des législatives. « Il est dans une forme de déni, il appelle à une nouvelle méthode en refusant de changer une virgule de son programme. C’est l’inversion accusatoire, c’est hallucinant ça ! », s’est agacé en conférence de presse Jordan Bardella, le président par intérim du Rassemblement national. « Ce n’est pas à l’opposition de faire un pas vers le président de la République. Il a été élu, il est légitime, mais son programme a été défait dans les urnes dimanche dernier. C’est à lui de nous dire, aujourd’hui, à quoi est-il prêt à renoncer. » 

La majorité et les oppositions ne se regarderont pas très longtemps en chiens de faïence ; la reprise des travaux parlementaires, la semaine prochaine, devrait rapidement obliger les uns et les autres à trancher, notamment autour du premier texte attendu, et qui devrait concerner le pouvoir d’achat des Français.

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