Défections au RN : tectonique des plaques à l’extrême droite

Défections au RN : tectonique des plaques à l’extrême droite

La semaine dernière, Jérôme Rivière et Gilbert Collard ont rejoint l’équipe de campagne d’Éric Zemmour. Mais ces ralliements sont-ils vraiment le signe d’une dynamique électorale ? Rien n’est moins sûr pour le politologue spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus, qui voit plutôt deux lignes se dessiner à l’extrême droite, avec des ralliements « naturels » à Éric Zemmour.
Louis Mollier-Sabet

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Après Jérôme Rivière, chef de file des députés RN au Parlement européen, qui a annoncé mercredi son ralliement à Éric Zemmour, la dernière prise de Reconquête – et pas des moindres – date de ce week-end et s’appelle Gilbert Collard. Le député européen et ancien député du Gard vient donc ajouter son nom au frontispice de la nébuleuse en train de se former autour d’Éric Zemmour. D’autres ralliements moins médiatiques construisent en effet la stratégie d’union des droites de Reconquête, comme celui de Jean-Paul Bolufer, haut fonctionnaire directeur de cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris ou d’Isabelle Muller, ancienne dircom' de Philippe de Villiers. Gilbert Collard était bien une figure du Front, puis du Rassemblement national, mais surtout « un habitué des plateaux télé », pour Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite. Celui-ci invite à ne pas accorder trop d’importance à ces ralliements médiatiques, même si une tectonique des plaques est bien à l’œuvre au sein de l’extrême droite française.

Une « clarification du paysage » à l’extrême droite

« L’erreur actuelle est de se focaliser sur les têtes de gondole », tempère ainsi tout de suite Jean-Yves Camus quand on l’interroge sur ces défections récentes au RN. D’après lui, l’importance des cas Collard ou Rivière est surestimée par les médias, qui ont donné une « couverture délirante » à ces ralliements, alors même que Gilbert Collard ne fait en fait pas partie des proches de Marine Le Pen et a peu d’influence au Rassemblement national : « Gilbert Collard était presque un boulet pour Marine Le Pen, il n’apporte rien, je ne suis pas sûr que les électeurs soient sensibles à son départ. » Le politologue invite à se pencher sur d’éventuelles défections dans les fédérations du RN ou de certains élus locaux : « Qui touche le plus les électeurs entre un habitué des plateaux télé et un secrétaire de circonscription du parti, qui sont des hommes de terrain et qui touchent la base et peuvent aussi rapporter des parrainages ? »

Finalement, plus qu’une dynamique électorale de Marine Le Pen vers Éric Zemmour, c’est une « clarification du paysage » qui est à l’œuvre pour Jean-Yves Camus. D’après lui, le monopole du Rassemblement national sur l’extrême droite en faisait l’unique débouché politique pour des membres de la mouvance identitaire en reconversion dans la politique institutionnelle. La candidature d’Éric Zemmour rebat donc les cartes et attire « naturellement » certains « militants identitaires. » C’est comme cela que Jean-Yves Camus interprète le ralliement de Damien Rieu, cofondateur et porte-parole de Génération identitaire, dissous par le ministère de l'Intérieur en 2021, à Reconquête : « La sortie de groupuscule est une vraie trajectoire dans les milieux identitaires. Damien Rieu est rentré au RN [en 2020] pour sortir de la logique groupusculaire, mais ça ne le lie pas indéfiniment au RN. Il n’a jamais épousé le parti dans tous ses aspects, sa ligne politique est naturellement celle d’Éric Zemmour. »

« Le seul marqueur d’extrême droite qui reste au RN, c’est la préférence nationale »

L’auteur du Front national, histoire et analyse (O. Laurens, 1996) note ainsi de nombreuses différences dans les lignes politiques incarnées respectivement par Éric Zemmour et Marine Le Pen : « Pour Zemmour, le seul sujet c’est non pas l’immigration, mais l’identité. Il n’est pas sur un arrêt des flux entrants, mais sur le grand remplacement. Marine Le Pen considère, elle,, qu’être présidente de la République, ce n’est pas être ministre de l’Intérieur et aborde les sujets économiques et sociaux », résume-t-il. De même, la candidate du RN a pris la décision de « lisser son image », en abandonnant notamment l’interdiction de la binationalité – mesure phare du Front national – ce qui « en mécontente un certain nombre dans la base militante. » Pour Jean-Yves Camus, « la seule singularité qui reste comme marqueur d’extrême droite au Rassemblement national, c’est la préférence nationale. »

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En face, Zemmour clive toujours plus et bénéficie d’un « enthousiasme réel par sa verve et ses références historiques et littéraires, qu’elles soient vraies ou fausses. » D’autant plus que c’est la troisième élection présidentielle pour Marine Le Pen et « qu’au Front, certains n’y croient plus. » Alors, la dynamique Zemmour va-t-elle engloutir Marine Le Pen ? Pas vraiment pour le politologue, qui voit plutôt deux lignes se dessiner à l’extrême droite. D’un côté, Marine Le Pen tente de briser le plafond de verre en vue du second tour, quitte à décevoir dans son propre camp. De l’autre, Éric Zemmour, dont la ligne identitaire qui tend à ignorer l’économique et le sociale, séduit plus les CSP + et les « tradi. » Jean-Yves Camus voit dans la candidature de Zemmour une « tentative qui se rapproche de celle de Philippe de Villiers et de son Mouvement pour la France [MPF]. »

L’inconnue Marion Maréchal

Ce sont donc des « milieux » bien particuliers de l’extrême droite française qui se rallient actuellement à Éric Zemmour, comme le milieu catholique traditionnel, mais Jean-Yves Camus interroge la portée électorale de telles défections : « Le catholicisme traditionnel est un milieu vivant, mais qui ne séduit pas grand monde dans les catégories populaires. » Parce qu’au fond, les ralliements ne servent qu’à enclencher une dynamique électorale. Or, empiler les noms dans les organigrammes de campagne, où Jérôme Rivière et Gilbert Collard sont respectivement devenus vice-président et président d’honneur de Reconquête, permet-il vraiment de convaincre des électeurs ? Rien n’est moins sûr.

« On est actuellement dans la marge d’erreur des sondages, tout peut arriver », pour Jean-Yves Camus, qui rappelle que « les électeurs regardent les sondages. » Pour le moment, Marine Le Pen reste le « vote utile » à l’extrême droite, mais le politologue rappelle que « si dans un mois, Le Pen et Zemmour sont à touche-touche, la question du second choix se posera. » Et à ce moment-là, une « tête de gondole » pourrait éventuellement faire défaut à Marine Le Pen, en la personne de sa propre nièce, Marion Maréchal, pour le moment opportunément discrète dans cette campagne.

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