Délit d’écocide : l’écologiste Guillaume Gontard dénonce un « recul total », après le « lobbying » du Medef

Délit d’écocide : l’écologiste Guillaume Gontard dénonce un « recul total », après le « lobbying » du Medef

Le gouvernement veut créer un délit d’écocide, une idée reprise de la Convention citoyenne. Reste que la portée du texte va moins loin qu’initialement prévue. Et la pression du patronat n’y est pas pour rien. Mais Matignon récuse toute « régression environnementale ».
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C’est l’une des mesures phares du projet de loi issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat. Le gouvernement veut créer un délit d’écocide. Les pollueurs n’ont plus qu’à trembler. En novembre, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, et celui de la Justice, Eric Dupond-Moretti, annonçait en grande pompe la création de ce délit dans le JDD. L’exécutif compte précisément créer deux nouveaux délits : le délit général de pollution, qui « dans sa forme la plus grave, lorsque les dommages à l’environnement sont irréversibles, est qualifié de délit d’écocide » précise l’exposé des motifs du texte – et le délit de mise en danger de l’environnement. Le délit d’écocide est passible d’une peine de 5 ans et de 4,5 millions d’euros d’amende.

« Un signal contraire à la volonté de relance de l’économie », craint le Medef

La notion de délit est déjà moins ambitieuse que la proposition de la Convention citoyenne. « Afin de sanctionner la violation de ces limites planétaires, il est nécessaire de reconnaître en droit pénal le crime d’écocide », estimaient les 150 citoyens tirés au sort.

Depuis, une bataille sourde s’est jouée en coulisse, hors de tout débat public et transparent, autour de cet enjeu. Le patronat a milité auprès du gouvernement pour limiter la portée de la mesure. Un lobbying discret qui semble avoir reçu une oreille attentive. Selon le JDD et Les Echos, le ministère de l’Economie a relayé les arguments du Medef qui craint une « insécurité juridique » et « un signal contraire à la volonté de relance de l’économie ». « Le terme d’écocide en soi est complètement inadapté et renvoie à des crimes de sang. Sur le fond, nous sommes inquiets sur la façon dont sera caractérisée l’intentionnalité dans ce délit. A partir du moment où vous affectez spécialement des magistrats spécialisés sur cette question, vous pouvez vous attendre à ce qu’ils cherchent à prouver leur utilité », alerte Jean-Eudes du Mesnil, le secrétaire général de la CPME, dans Les Echos.

Pompili : « Sur ce délit d’écocide, jusqu’au dernier moment, certains ont tout fait pour que ce ne soit pas dans la loi »

Pour créer ce délit général de pollution, l’idée de base est de reprendre l’article L216-6 du Code de l’environnement sur la pollution de l’eau, et de l’élargir aux sols et à l’air. Or l’un des enjeux est de savoir si cette pollution doit être commise de manière intentionnelle pour être sanctionnée, ou si elle peut l’être en cas de négligence ou d’imprudence. Or le projet de loi, qui compte 65 articles, opte pour la première solution.

Un point que « confirme », Barbara Pompili, interrogée sur France Info le 11 janvier. Mais la ministre semble compter maintenant sur les parlementaires pour redonner plus d’ambitions au délit d’écocide. « La négligence fait partie des sujets sur lesquels on reviendra dans le débat parlementaire » prévient-elle. Mais à écouter Barbara Pompili, on peut s’estimer heureux que le délit d’écocide ne soit pas passé à la trappe. « Sur ce délit d’écocide, jusqu’au dernier moment, certains ont tout fait pour que ce ne soit pas dans la loi, en expliquant que ça allait tuer la compétitivité de la France, ce qui est faux » soutien la ministre.

Du côté de Bercy, on assure ce jeudi que le ministère de l’Economie n’est « pas contre compléter le cadre juridique pour s’assurer qu’un délit contre l’environnement ne puisse rester impuni ». Mais « en revanche, l’incertitude juridique nuit à l’attractivité » note-t-on au cabinet de Bruno Le Maire. C’est pourquoi « il faut préciser ce qui caractérise le délit et les peines ».

« On se demande qui est réellement aux commandes, quand on voit le Medef. Barbara Pompili a encore perdu ses arbitrages »

Chez les écologistes, on ne cache pas sa déception. Et encore, le mot est faible. « Ce que vous faites est criminel » lance Cyril Dion, inspirateur la Convention citoyenne, en s’adressant à « Bruno Le Maire et aux intrigants du Medef ».

Pour le groupe écologiste du Sénat, « c’est inquiétant ». « On se demande qui est réellement aux commandes, quand on voit le Medef. Barbara Pompili a encore perdu ses arbitrages, comme sur l’ensemble du texte de la Convention citoyenne », pointe Guillaume Gontard, président du groupe Ecologiste - Solidarité et Territoires du Sénat. Il ajoute

On part d’une intention d’avoir vraiment un délit d’écocide pour les atteintes à l’environnement. Et on arrive à un recul total. C’est même une régression de la législation actuelle.

« La rédaction du gouvernement exclut la négligence et l’imprudence, qui sont pourtant à l’origine de la plupart des pollutions. En termes juridiques, arriver à prouver que ce n’était pas une négligence… On voit bien que les choses sont très ténues » ajoute le sénateur de l’Isère. « Le texte réécrit l’article L216-6 pour l’ouvrir à d’autres pollutions, mais il l’amoindrit considérablement en même temps. Avant, on avait un vrai délit. Mais là, ça exclut la question de la négligence. Avant, il fallait démontrer qu’il y avait un effet nuisible sur la santé et la biodiversité que provisoirement. Là, dans le texte du gouvernement, il faut que ce soit un effet grave et durable », détaille le président de groupe, particulièrement remonté. Autrement dit, la qualification du délit d’écocide sera complexe et difficile.

« Vu la logique pro business qui habite Macron depuis toujours, ce n’est pas une surprise »

« Si le but est juste d’inscrire le mot écocide, si c’est ça la manip, ça n’a aucun intérêt. Et si c’est une régression du Code de l’environnement, ça pose un sacré problème », dénonce Guillaume Gontard, pour qui « c’est clair qu’il y a eu un lobbying du patronat ». Reste à voir pourquoi il est efficace. Rien d’étonnant selon l’écologiste, avec « un gouvernement qui a une doctrine totalement libérale et sous la coupe du Medef. Et c’est plutôt du côté de Bercy que ça vient. On nous dit tout le temps qu’avec la période de crise, il ne faut pas aller trop loin pour les entreprises. Mais notre crise sanitaire est liée à des dérèglements mis en place. Et l’écologie, c’est toujours plus tard. Mais c’est trop tard ».

Pour le socialiste Jérôme Durain, auteur d’une proposition de loi sur la reconnaissance du « crime d’écocide » en 2019, « on touche ici aux limites du « en même temps » d’Emmanuel Macron, une nouvelle fois. C’est encore la tiédeur du quinquennat d’Emmanuel Macron. Il voit des citoyens, il trouve qu’ils ont raison. Il voit les patrons, il trouve qu’ils ont raison. Et à la fin, il ne choisit pas » raille le sénateur PS de Saône-et-Loire. Il continue : « Que cet objet juridique de porter atteinte aux crimes environnementaux les plus graves se traduise par quelque chose de tiède, c’est une déception. Mais vu la logique pro business qui habite Macron depuis toujours, ce n’est pas une surprise ».

« On rajoute un étage à la fusée », rassure Matignon

Du côté du gouvernement, on récuse cette lecture et tout recul du droit de l’environnement. « Les articles qu’on ajoute complètent le Code de l’environnement. On ne supprime rien. Il n’y a aucune régression environnementale », soutient-on à Matignon ce jeudi.

« L’article 216-6 n’est ni supprimé, ni modifié. Les pollutions par négligence ou imprudence restent pénalement répréhensibles. On ajoute que quand il y a une pollution intentionnelle, que la pollution est grave, on sanctionne fort », précise un conseiller du premier ministre Jean Castex. Il s’agit ainsi de « respecter la gradation des peines, selon l’infraction commise ». Bref, « on rajoute un étage à la fusée », résume Matignon. Autrement dit, tout va bien. Les écologistes n’ont visiblement pas la même lecture.

« Les idées sorties du chapeau d’un groupe tiré au sort, c’est le degré zéro de la démocratie », dénonce Gérard Longuet

Alors que Barbara Pompili s’en remet au débat parlementaire, le texte, présenté en Conseil des ministres le 10 février, sera examiné par les députés puis les sénateurs au cours du premier trimestre 2021, en mars a priori. Au Sénat, si les écologistes devraient se faire entendre, la majorité sénatoriale de droite et du centre pourrait bien être plus sensible aux arguments patronaux. A l’image de l’ancien ministre de l’Industrie, Gérard Longuet. « Il n’y a pas de délit sans responsabilité personnelle, sans intention », soutient le sénateur LR de la Meuse.

« Dans le cadre d’une entreprise, qui va être responsable ? L’entreprise ? Je ne savais pas qu’elle pouvait commettre des crimes. Dans le droit pénal, c’est la responsabilité de quelqu’un qui, en toute conscience et de façon volontaire, veut commettre un délit. C’est possible. Mais on ouvre un système qui est paralysant pour la société. Et si demain un tribunal condamne des responsables pour les conséquences de l’action de l’outil dont ils ont la charge, ça paralyse toute action » met en garde Gérard Longuet. Globalement, l’ancien ministre pointe « la judiciarisation de la vie publique, qui est portée à bout de bras par des courants d’opinion qui veulent se servir de la justice pour remettre en cause des décisions qu' ils n’ont pas prises ».

Gérard Longuet prévient : « Je regarderai ce texte avec beaucoup de méfiance. Les idées sorties du chapeau d’un groupe tiré au sort, c’est le degré zéro de la démocratie ». En se remettant au débat parlementaire, Barbara Pompili ne devrait visiblement pas trop compter sur la droite pour aller plus loin sur l’écocide.

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