Déplacement en Arménie : le Sénat affirme sa ligne diplomatique et pousse pour la reconnaissance du Haut-Karabagh

Déplacement en Arménie : le Sénat affirme sa ligne diplomatique et pousse pour la reconnaissance du Haut-Karabagh

Sous la houlette de Gérard Larcher, une délégation sénatoriale effectue une visite en Arménie à l’occasion de la commémoration du génocide arménien jusqu’à lundi, à l’invitation du Président de l’Assemblée nationale arménienne. D’après Patrick Kanner, « la visite est vue d’un œil circonspect par le Quai d’Orsay ».
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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C’est une visite déjà qualifiée « d’historique » par plusieurs parlementaires. Ce vendredi 23 avril, le président du Sénat Gérard Larcher s’envole pour l’Arménie en compagnie d’une délégation sénatoriale d’une dizaine de personnes, dont les présidents de groupes Bruno Retailleau (LR), Patrick Kanner (SER), Hervé Marseille (UC), Éliane Assassi (CRCE), Guillaume Gontard (EST), du président de la commission des affaires étrangères du Sénat, Christian Cambon (LR), et du président du groupe France Arménie, Gilbert-Luc Denivaz (SER). Une délégation transpartisane pour participer samedi à la commémoration du génocide arménien, tout en marquant son soutien à l’Arménie face à la Turquie.

« Il s’inscrit dans un contexte très douloureux pour l’Arménie, après l’offensive brutale de l’Azerbaïdjan et de la Turquie à l’automne 2020 », souligne un communiqué de la présidence du Sénat qui rappelle que la chambre Haute a adopté, le 25 novembre 2020, « à une large majorité transcendant les clivages politiques, une résolution de solidarité avec l’Arménie et la population arménienne. Il a demandé au gouvernement français de « reconnaître la République du Haut-Karabagh, et de faire de cette reconnaissance un instrument de négociations en vue de l’établissement d’une paix durable », ajoute le communiqué. Une reconnaissance qu’a toujours balayée Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères. Gérard Larcher y souligne que « se rendre en Arménie, cette année tout particulièrement, alors que ce pays a tant besoin que soient réaffirmés l’amitié et le soutien de la France, m’est apparu comme une évidence. La France n’oublie pas. Elle sait tout ce qu’elle doit à ses citoyens dont les racines plongent dans la terre d’Arménie ».

La délégation rencontrera le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale et le Ministre des Affaires étrangères. Elle se rendra également au siège de l’Église apostolique arménienne pour un entretien avec le Catholicos.

« La France et l’Europe doivent faire plus pour ce pays »

Parmi les sénateurs, l’initiative est saluée. Installé dans l’avion, quelques minutes avant le décollage, Christian Cambon estime qu’il est « important de montrer notre solidarité vis-à-vis de ce pays alors qu’il traverse une crise politique. Nous avons voté une résolution très importante qui n’engage que peu d’effets juridiques mais à la symbolique forte. Nous voulons montrer que cette résolution n’est pas un acte gratuit ». Il confie : « Dans son discours de demain, Gérard Larcher aura l’occasion de dire que la France et l’Europe doivent faire plus pour ce pays et il aura aussi un mot pour les prisonniers Azéris ».

Président du groupe socialiste, Patrick Kanner abonde : « C’est la manière de marquer notre soutien à une démocratie fragilisée par l’Azerbaïdjan. Les enjeux diplomatiques sont importants. Il est clair qu’aujourd’hui, cette relation pèse sur l’histoire de l’Europe ». Pour le patron des écologistes Guillaume Gontard, le déplacement « à l’initiative du Président Larcher, dans la suite de la résolution votée quasi unanimement au Sénat pour la reconnaissance du Haut-Karabagh et l’ouverture de négociations pour une issue pacifiste, est un nouveau signe important en direction de l’Arménie ». « Cette délégation transpartisane vient également souligner les liens entre la France et l’Arménie et rappeler la reconnaissance par notre pays, il y a 20 ans, du génocide Arménien de 1915 (texte adopté au Sénat en 2001) », ajoute le sénateur de l’Isère.

Pénalisation du négationnisme

Deux parlementaires sont particulièrement satisfaits de ce voyage. Sénatrice LR des Bouches-du-Rhône, Valérie Boyer s’est elle aussi envolée dans le même avion que ses collègues direction l’Arménie, mais aux côtés du Cercle d’amitié France-Artsakh, composé d’élus de tous bords. Un voyage prévu de longue date et maintes fois repoussé. Pour peu ou prou le même programme que la délégation sénatoriale. L’ancienne députée était d’ailleurs à l’origine de la résolution pour la reconnaissance du Haut-Karabagh. « C’est important d’y aller pour témoigner notre solidarité pour les gens touchés par la guerre génocidaire. Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan, a fait un musée que les nazis n’auraient pas renié, représentant les Arméniens avec des traits grossis. Il y a aussi la question des prisonniers arméniens dont on n’a pas de nouvelles, avec des suspicions de trafic d’organes », dénonce la parlementaire qui s’inquiète de l’influence en France de la Turquie « belliqueuse ».

« Il est désormais impossible d’enseigner le génocide arménien en France », estime-t-elle s’appuyant sur un article du JDD. « Il faut qu’au Parlement, nous puissions donner un sens juridique à la reconnaissance du génocide en 2001 », appuie-t-elle avant d’embarquer. Valérie Boyer a donc écrit à Gérard Larcher jeudi pour lui proposer de mettre en place un groupe de travail sur la pénalisation du négationnisme du génocide arménien. « Aujourd’hui, nous nous devons de repenser entièrement le négationnisme, qui n’est ni plus ni moins qu’un accessoire du crime de génocide […] Une nouvelle proposition de loi serait nécessaire », écrit-elle dans le courrier consulté par Public Sénat.

La question arménienne transcende les clivages du Sénat. Ainsi Valérie Boyer, sénatrice de droite, se souvient d’un « magnifique discours » de Pierre Ouzoulias, sénateur communiste. Ce dernier, historien et amoureux de l’Arménie, vice-président du groupe France Arménie au Sénat, souligne la nature « historique » de ce voyage parlementaire. Et Pierre Ouzoulias ne manque pas de rappeler que le Parti communiste français est le « premier parti politique au monde à avoir reconnu le Haut-Karabagh ». Pour le communiste, l’Arménie, est aussi une histoire familiale. « Missak Manouchian est entré dans la résistance, dirigée par mon grand-père, Albert Ouzoulias. Quand Manouchian (poète arménien, figure de la résistance) a été pris par les Allemands, il n’a pas parlé sous la torture et c’est sans doute ce qui a permis à mon grand-père de poursuivre la résistance à Paris. Si je suis là, c’est en partie grâce à Manouchian », relate-t-il, ému. Aujourd’hui, la tombe de son aïeul, le colonel Ouzoulias, est en face de celle de Missak Manouchian, fusillé par l’occupant le 21 février 1944.

« A l’arrivée, ça place le Sénat comme un possible intermédiaire »

Reste que cette visite de Gérard Larcher, accompagnée de nombreuses figures parlementaires, ne semble pas plaire au sommet de l’Etat. L’Elysée ? « J’ai le sentiment qu’une visite sénatoriale d’un aussi haut niveau a dû trouver un assentiment de la présidence », suppute Pierre Ouzoulias. Mais rien n’est moins sûr à en croire Patrick Kanner. « On ne sera pas reçus par l’ambassadeur de France sur place. La visite est vue d’un œil circonspect par le Quai d’Orsay », rapporte le socialiste. Un supposé embarras du ministère qui décoche un sourire à Christian Cambon : « Quand ils ont appris notre visite, ils ont dépêché le secrétaire d’Etat Jean-Baptiste Lemoyne qui sera demain à la commémoration. » Dans un communiqué, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères indique ce vendredi « qu’à la demande du Président de la République, Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la Francophonie, se rend à Erevan les 23 et 24 avril 2021, où il prendra part aux commémorations du 106e anniversaire du génocide arménien. En 2019, le Président de la République a inscrit par décret le 24 avril au calendrier des célébrations républicaines. » Jean-Baptiste Lemoyne sera notamment reçu par le président de la République d’Arménie et son Premier ministre.

Un conseiller du Sénat insiste : « Les affaires diplomatiques du Sénat ne se gèrent pas toujours sur la même longueur d’onde que le ministère. Il y a un communiqué qui est assez explicite. C’est le jeu de la démocratie. S’il y a un changement de pouvoir en France demain, tout le monde sera bien content d’avoir gardé un canal chaleureux avec l’Arménie. Que ça ne plaise pas à tout le monde, peut-être, mais à l’arrivée ça place le Sénat comme un possible intermédiaire par la suite. » Patrick Kanner le répète : « C’est un geste diplomatique fort, ça ne suscite pas un enthousiasme majeur, mais on le fait avec l’autorité du Sénat ! » Mais l’entourage de Jean-Baptiste Lemoyne démine : « L’ambassadeur de France accueille ce soir la délégation à l’aéroport et doit échanger avec eux demain matin. Il va aussi les accompagner toute la journée de dimanche. » Histoire de fermer le ban, une source gouvernementale ajoute : « On ne peut que se réjouir de l’intensité des relations entre les gouvernements, les parlements et les collectivités françaises et arméniennes ! »

Au Sénat, Nathalie Goulet fait entendre une voix divergente de la majorité. La sénatrice centriste avait voté contre la résolution sénatoriale. « À partir du moment où le Sénat montre une divergence dans la voix de la France, pays qui copréside le groupe de Minsk qui est supposé régler le litige territorial entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, il faut en tirer des conséquences. La France doit absolument quitter la coprésidence du groupe de Minsk », estime-t-elle.

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