Régionales : Jean-Luc Mélenchon revient à la stratégie du conflit

Régionales : Jean-Luc Mélenchon revient à la stratégie du conflit

À quelques exceptions près, le leader des Insoumis balaye dans une interview au Monde l’ensemble de ses adversaires à gauche, écologistes en tête. En retour, Yannick Jadot lui reproche sa « brutalisation du débat public ». Jean-Luc Mélenchon est dans un « trip personnel pathologique », renchérit un poids lourd socialiste. Le pacte de « non-agression » de la gauche aura peu duré.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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Jean-Luc Mélenchon ressort la sulfateuse. Ses cibles ? Les écologistes, les socialistes, et tous ceux, ou presque, qui ne se rallient pas à sa cause. Le patron de la France Insoumise (LFI), candidat déclaré pour 2022, publie un livre, Députés du peuple humain (Robert Laffont, 144 pages, 10 euros), et étrille dans une interview au Monde tous ses adversaires à gauche. S’estimant lésé au sein des divers accords pour les régionales et départementales, voire carrément mis de côté par les écologistes, notamment dans le Sud-Est, le député des Bouches-du-Rhône flingue : « Les écologistes ont un avenir aussi longtemps qu’on ne les voit pas à l’œuvre ». Une nouvelle saillie après avoir récemment qualifié les dirigeants d’EELV de « faux jetons » lors du défilé du 1er mai à Lille.

Diviser les écolos pour mieux régner ?

Les figures écologistes n’ont pas tardé à répondre. Mardi matin, l’eurodéputé Yannick Jadot, qui a déjà organisé une grande réunion de la gauche, a dénoncé la « brutalisation du débat public » engendrée par l’Insoumis. « Au fond, il y a Docteur Jean-Luc et Mister Mélenchon. On s’est parlé quelques heures pour essayer d’en finir avec ces invectives, ces divisions. Nous avons eu une discussion très cordiale, intéressante, y compris sur nos différences politiques. L’heure d’après, il choisit de m’attaquer dans la presse… », regrette-t-il sur LCI. Un autre potentiel candidat à la primaire écologiste, le maire de Grenoble Éric Piolle, a plaidé pour l’apaisement entre EELV et LFI. L’édile grenoblois a déploré des attaques « à quelques semaines des élections » régionales, alors que « c’est là qu’il faut garder son sang-froid ». « Préservons-nous, laissons l’écolo-bashing aux macronistes », a lancé Éric Piolle. Réponse de Jean-Luc Mélenchon sur Twitter : « En PACA et dans les Hauts de France, EELV exclut LFI des accords. Mais c’est moi que Jadot et Piolle accusent de brutaliser le débat ». Le pacte de « non-agression » aura peu duré.

Auprès de Public Sénat, le député LFI Éric Coquerel tempère néanmoins la bisbille avec les écolos : le lien n’est pas rompu avec tous. Comprendre : avec Éric Piolle notamment ou Sandrine Rousseau. Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs dressé des ponts avec la candidate à la primaire écologiste dans son interview au Monde, comme avec Benoît Hamon, l’ancien candidat socialiste à la présidentielle de 2017. « Malgré nos différences, nous avons la même culture de la rupture et l’exigence d’inventer une autre forme de vie en société », dit-il à leur propos. « Il y a une ligne de partage au sein même des écologistes », souligne Éric Coquerel. Ligne que les Insoumis veulent épaissir ? C’est ce qu’observe la sénatrice écologiste Esther Benbassa. « Il essaye de nous diviser un peu », concède-t-elle.

La sénatrice était du fameux défilé du 1er mai à Lille. Elle rapporte : « Quand Jean-Luc Mélenchon vient me voir et me dit que moi j’étais courageuse et eux des faux culs, j’ai vécu ça aussi comme une sorte de division. Il n’y a pas les bons et les mauvais ! » Et reste interloquée : « Ce n’est pas le moment de la division entre les écologistes, ni de l’écolo-bashing. Ça m’étonne de Mélenchon de se mettre à faire ça, il est d’un niveau supérieur. C’est totalement contre-productif. Il faudra bien qu’on s’unisse avec d’autres partenaires pour faire barrage à la droite et l’extrême droite. » Pourtant, il y a deux semaines encore, Mélenchon défendait les Verts, victimes « d’un acharnement méprisable », du gouvernement entre autres.

« Seuls ses proches pourraient le débrancher »

À l’égard des socialistes, son ancienne famille, le patron de LFI n’est pas plus amène. Leur « logiciel, basé sur la croissance sans fin, est obsolète », tance Mélenchon. Quatrième homme de la présidentielle en 2017, il se voit également faire face à Marine Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle, car « c’est la pente de l’histoire ». « Il est dans un trip personnel pathologique ! », fustige un poids lourd socialiste qui ne croît pas dans la capacité du leader Insoumis à réitérer son parcours de la dernière présidentielle. Rappelant la séquence de la perquisition au siège de LFI, lors de laquelle Jean-Luc Mélenchon avait perdu ses nerfs, le même estime « qu’il a perdu des plumes ». « Et il a été odieux à Lille », renchérit un acteur du rassemblement de la gauche dans les Hauts-de-France.

Dans cette région, seule pour l’heure à avoir vu émerger une union de la gauche portée par l’eurodéputée écologiste Karima Delli, un autre insoumis s’en prenait aux écolos mardi soir, pourtant ses alliés. Le chef de file de LFI dans les Hauts-de-France, Ugo Bernalicis a jugé « irresponsable » une affiche d’EELV pour la région. « N’allez pas voter. Les jeunes s’en sortent très bien sans emploi », était-il écrit sur les pancartes de façon ironique. Jean-Luc Mélenchon n’a pas manqué de relayer son tweet.

Là aussi, les relations LFI-PS sont tendues. « Dans le Nord, beaucoup de socialistes me disent qu’ils ne voteront pas pour une liste où figurent des Insoumis », s’inquiète un élu local socialiste. Les communistes ont dû quant à eux manger leur pain noir, Jean-Luc Mélenchon dynamitant au dernier moment l’accord qui devait placer leur leader, Fabien Roussel, en tête de liste. Ce dernier s’est déclaré officiellement candidat à la présidentielle cette semaine.

Dans le cadre d’une éventuelle union nationale de la gauche en 2022, un cadre socialiste pense qu’il faut y aller « par cercles concentriques » et pas forcément sous la houlette de Yannick Jadot, qui ne « travaille que pour sa pomme ». Mais quid des Insoumis ? La personnalité de leur leader demeure le principal problème de ses adversaires de gauche. « Seuls ses proches pourraient le débrancher », souffle l’un d’entre eux sans trop y croire.

Pendant ce temps, Jean-Luc Mélenchon défend sa clarté : « Notre conception n’est pas la même. Pour la gauche traditionnelle, l’essentiel c’est de se partager des places et faire un texte qui n’empêche personne de dormir. Ça ne sert à rien, sinon à dégoûter les gens ». L’ancien sénateur prône la réunion du « plus grand nombre de gens possible » autour « d’idées claires et des propositions nettes ». Les réunions lancées par Yannick Jadot risquent de faire long feu. Si Éric Coquerel a participé à la première le 17 avril dernier pour le compte des Insoumis, il n’a pas été prévenu de la deuxième le 24 mai prochain, découverte en lisant le Parisien. « J’en conclus que certains veulent rester entre eux d’où le changement de périmètre. Tout ça est une mauvaise comédie », cingle-t-il sur Twitter. Il ajoute à Public Sénat : « On avait prévu de se revoir avec des bases très claires, pour parler d’éventuelles mobilisations communes. J’ai bien vu que dès la fin de la réunion du 17 avril, du côté de Faure-Jadot, il y avait une volonté d’aller plus vite en avant pour s’entendre… »

Appels à l’union et phrases assassines : « C’est devenu un peu cyclique… »

Ses détracteurs ne manquent pas d’entonner une antienne quand il s’agit d’observer le fonctionnement de l’ex socialiste. Par cycles, Jean-Luc Mélenchon alterne depuis 10 ans entre stratégie du « bruit et de la fureur » puis période d’accalmie, teintée d’œillades aux journalistes qu’il raille pourtant ou prend à partie régulièrement sur ses réseaux sociaux. À ses adversaires/camarades de gauche, il tend souvent la main pour mieux la ramener à lui. Lui déplore qu’elle reste « dans le vide ». En avril 2020 déjà, Julien Bayou, le numéro un des écolos, l’avait publiquement attaqué dans une tribune au vitriol, l’accusant de faire des divisions permanentes le moteur de son renforcement politique. Le patron des écologistes appelait alors les militants Insoumis à « rompre les rangs » pour former une convergence. Pendant ce temps-là, Mélenchon renvoyait les Verts à leurs propres turpitudes. « Pour détendre l’atmosphère avec un peu d’humour, je lui demande d’envoyer sa tribune à Yannick Jadot, à qui elle s’adresse plus souvent qu’à moi », raillait-il dans Libération. En ce mois de mai 2021, après une période d’apaisement apparent, Mélenchon cogne de nouveau, clive et joue la conflictualité.

Fort des sondages qui le placent en tête de gondole à gauche (entre 13 et 15 %), l’Insoumis en chef veut toujours croire que l’hégémonie doit se faire sous son patronage, ou sans lui. Problème : le bloc de gauche s’effrite toujours plus et la division réduit inexorablement les chances de second tour. « Il faut être dans les deux premiers dès le premier tour. Les candidats de gauche seuls, ce sont des candidatures de témoignage », prévient un socialiste, qui rêve « d’un ticket » porté par la maire de Paris Anne Hidalgo. À gauche, les appels à l’union sont désormais aussi fréquents que les petites phrases assassines. « C’est devenu un peu cyclique… », souffle, lasse, Esther Benbassa. L’anniversaire de la victoire du 10 mai 1981, dernière grande union de la gauche pour une présidentielle, fait sourire un socialiste. « On a téléphoné à François Mitterrand, mais il n’est pas dispo pour 2022 ! »

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