Devant l’AMF, Macron « a su retourner la salle » après les sifflets

Devant l’AMF, Macron « a su retourner la salle » après les sifflets

Opération séduction d’Emmanuel Macron devant le congrès des maires. Il a défendu plus de décentralisation, se disant prêt à laisser les collectivités adapter la loi. Mais globalement, le Président, sans faire de réelles grandes annonces, n’a pas répondu à toutes leurs inquiétudes. Après le discours, certains maires saluent cependant son propos.
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Il était attendu de pied ferme. Le 100e Congrès de l’Association des maires de France, à Paris, s’annonçait comme une étape difficile, voire un piège, pour Emmanuel Macron. Ce qu’on a appelé la « grogne » des élus locaux est passé par là : 13 milliards d’effort budgétaire demandé, suppression de la taxe d’habitations,  moins d’emplois aidés, critiques sur le nombre d’élus, etc… Le Président a tout fait pour se faire battre. Et siffler. Ça n’a pas loupé.

Lorsqu’Emmanuel Macron fait son entrée dans l’arène de l’AMF, sur le coup de 16h20, non sans retard, la sanction tombe : des huées montent franchement de la salle. Des applaudissements aussi. Mais les hués recommencent quand il confirme son intention de supprimer la taxe d’habitation pour 80% des Français, alors que les maires craignent pour leurs ressources. « Les sifflets ne m’ont jamais étourdi » réagit aussitôt le Président. Même pas peur, même pas mal.

« C’est le supplice de Shéhérazade » et part de mea culpa

Comme l’a fait mardi son premier ministre, Edouard Philippe, le chef de l’Etat a pris le temps pour faire la pédagogie de ses décisions. Près d’une heure trente de discours. « C’est le supplice de Shéhérazade : constamment parler pour ne pas être exécuté. Mais je peux tout à fait être Shéhérazade » a-t-il ironisé, en commençant son opération de charme. « J’ai besoin de vous » a-t-il d’abord lancé, « je ne crois pas une seule seconde que l’Etat puisse réussir sans les communes ». Quelques minutes avant, André Laignel, le vice-président de l’AMF, venait de poser un ultimatum : l’AMF quittera la conférence nationale des territoires si elle n’est pas écoutée.

"Je peux tout à fait être Shéhérazade" ironise Emmanuel Macron
00:39

Emmanuel Macron a fait sa part de mea culpa. Il reconnaît que « l’été n’a pas été à la hauteur » de l’engagement de consulter les communes. « Vous aurez toujours de la considération quand des erreurs sont faites, des choses inachevées ». Mais il a rappelé aussi qu’il était « un Président engagé ».

Congrès des maires : « L’été n’a pas été à la hauteur » de l’engagement de l’Etat, admet Macron
01:24

Refonte de la fiscalité locale… en partie annoncée en juillet

Il ne revient donc pas sur la suppression de la taxe d’habitation, « impôt injuste ». Mais il promet de lancer une grande consultation en vue d’une refonte « en profondeur » de la fiscalité locale, comme l’a demandé Gérard Larcher. Il donne rendez-vous en 2020, après une réflexion dans le cadre de la conférence nationale des territoires. « Je veux une réforme ambitieuse, dont la taxe d’habitation n’est que le premier acte » dit-il, évoquant plus de péréquation verticale.

Macron annonce « une refonte en profondeur de la fiscalité locale dès 2020 »
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Il ne s’agit pas d’une annonce en réalité. Il avait déjà parlé du sujet en juillet dernier, lors de la première conférence nationale des territoires, évoquant « une part d’impôt national qui pourrait être attribuée aux communes, une part de CSG ou de CRDS qui est un impôt au moins proportionnel ».

Il a défendu les contrats que passeront les collectivités les plus riches – entre 300 et 600 selon le critère arrêté – pour limiter à 1,2 % la hausse de leurs dépenses. Les particularités et difficultés locales seront prises en compte pour moduler le taux.

Le non-cumul dans le temps ne s’appliquera pas rétroactivement

Sur le non-cumul des mandats dans le temps, autre sujet d’inquiétude, il a affirmé que la loi ne s’appliquera pas pour ceux qui ont déjà trois mandats… Sourires de satisfactions dans la salle. Il a aussi souligné que la loi prévoyait déjà d’exclure du principe les maires des communes de moins de 3500 habitants. Si François Bayrou avait évoqué l’idée en présentant le texte, quand il était encore ministre, l’exécutif ne communiquait pourtant pas sur ce point depuis.

Il évoque aussi le statut de l’élu. C’est l’arlésienne, dont on parle depuis des années. Sur les normes, il a rappelé qu’en juillet une circulaire avait imposé aux ministères que « pour chaque norme créée, il y ait la suppression de deux normes existantes. (…) Depuis cette circulaire, il n’y a eu aucun décret » sur les collectivités. Le maire du Mans passera aussi en revue les stocks de normes actuels.

Constitution modifiée

Autre promesse, qu’on savait déjà : « Il n’y aura pas de nouvelles grandes transformations institutionnelles territoriales ». Comme annoncé par Edouard Philippe, le transfert de la compétence eau et assainissement de la commune aux intercommunalités se fera avec « souplesse ». Et cerise sur le gâteau, la Constitution sera transformée pour « permettre aux collectivités de pérenniser une expérimentation réussie sans que celle-ci soit généralisée au plan national ».

« Pas de nouvelle grande transformation institutionnelle pour les collectivités territoriales » assure Macron
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Dans sa volonté d’aller vers plus de décentralisation, il propose  – petite révolution – de « reconnaître un pouvoir réglementaire aux collectivités et de laisser aux acteurs locaux adapter la loi afin de mettre fin à des rigidités ».

« Il sait y faire. Il est intelligent, brillant, convaincant »

Juste après son discours, les maires, qui filent prendre leur train pour rentrer en région, sont plutôt séduits. « Il sait y faire. Il est intelligent, brillant, convaincant » pour Jacques Perautoui, maire d’Euvezin, petite commune de 110 habitants de Meurthe-et-Moselle. « Il a su retourner la salle. Il a été accueilli avec des sifflets, puis tout le monde l’a applaudi à la fin » ajoute le maire. « Il est très fort. Il était face à un auditoire un peu remonté et il a pris de la hauteur » reconnaît Jean-Marc Moglia, maire UDI de Andé, 1300 habitants. « La réforme fiscale, ça va dans le bon sens, mais ça semble un peu du rattrapage rhétorique » souligne cependant le maire de cette commune de l’Eure. Il ajoute : « Ça fait 34 ans que je suis maire, des promesses comme ça, j’en ai vues d’autres… » Il reste « très vigilant ».

Jean-Marc Moglia, maire UDI de Andé
Jean-Marc Moglia, maire UDI de Andé.

Jean-Guy Massonnat, maire de Pugny-Chatenod, en Savoie, a aussi trouvé le Président « très bien. Il a su retourner la situation. Jean-Pierre Chateau, maire divers gauche de Guérigny, commune de 2500 habitants de la Nièvre, intervient : « Je n’ai pas eu cette perception ». « Il donne rendez-vous sur la fiscalité, nous ne pouvons pas être contre. Mais sur la taxe d’habitation, nos inquiétudes sont là et nous sommes restés sur notre faim » explique-t-il.

« Il se dit à l’écoute mais je ne suis pas sûr qu’il entend » 

Marie Bertoux, adjointe (divers droite) au maire de Béthune, l’a elle « trouvé charmant, comme d’habitude ». « Mais il est très rigide. Il se dit à l’écoute mais je ne suis pas sûr qu’il entend » tempère-t-elle. Elle ajoute : « Il y a une grande inquiétude sur la taxe d’habitation. Il dit qu’il y a une compensation mais tout reste à voir ».

Deux ajointes d’une commune de 12.000 habitants du Vaucluse l’ont aussi trouvé « très bien ». « On est à fond avec Macron », avoue l’une d’elle. « Mais il n’a pas répondu sur tout, comme sur les rythmes scolaires ». Sur le cumul dans le temps, sa collègue apprécie qu’un « maire qui a fait déjà trois mandats puisse repartir. On se posait la question ». A quelques mètres de là, les maires et journalistes se pressent. C’est Emmanuel Macron qui s’attarde, ne boude pas son plaisir et prend le temps pour quelques photos avec les maires.

Plus le python Kaa du Livre de la jungle que Shéhérazade 

Le chef de l’Etat n’a pas fondamentalement fait de grandes annonces devant l’AMF. Il a plutôt rappelé ou expliqué des décisions déjà prises. Mais les maires semblent ressortis assez satisfaits après cet exercice qui s’annonçait pourtant périlleux. Plutôt que Shéhérazade, Emmanuel Macron a peut-être joué Kaa, le python du Livre de la jungle… qui ensorcelle avec son regard perçant.

 

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