Didier Raoult en 2012 : la France, « un pays de seconde zone » dans la lutte contre les maladies infectieuses ?

Didier Raoult en 2012 : la France, « un pays de seconde zone » dans la lutte contre les maladies infectieuses ?

Lors d’un colloque sur les maladies infectieuses émergentes, organisé en juin 2012 par Fabienne Keller, alors sénatrice LR du Bas-Rhin, Didier Raoult était intervenu avec le ton irrévérencieux qu’on lui connaît pour marteler un message qu’il avait déjà fait passer au ministère de la Santé en 2003 et au Sénat en 2010 : la France est en passe de devenir un « pays de seconde zone » dans la lutte contre les maladies infectieuses.
Louis Mollier-Sabet

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L’image surprend presque à l’heure de la distanciation sociale : des dizaines de scientifiques sont rassemblées dans la salle Médicis au Sénat pour un colloque sur les maladies infectieuses émergentes. Les communications se succèdent et, ce n’est pas une surprise, celle du professeur Raoult détonne d’emblée par son ton provocateur : « Dans ces enceintes on n’aime pas trop qu’on dise ça, mais sur le plan de la popularité, ce que les gens aiment d’abord ce sont les personnels de soin et ensuite les chercheurs et ceux qu’ils aiment le moins ce sont les journalistes et les hommes politiques. » La pique aux sénateurs et sénatrices présents n’a pas l’air de les choquer : « On le sait bien » acquiesce sans problème Fabienne Keller et Didier Raoult entre dans le vif du sujet. 

« Il faut nous laisser faire parce que les gens ont confiance en nous […] mais cette confiance, il faut s’en méfier. »

La remarque préliminaire du professeur Raoult n’était pas totalement gratuite, la confiance joue un rôle important dans les crises sanitaires : « Si les politiques prennent en otage un sujet de santé c’est une catastrophe. Il faut nous laisser faire ça parce que les gens ont confiance en nous. »

Cela étant dit, la situation des personnels soignants et en particulier des chercheurs n’a pas l’air exempte de tout problème non plus : « Cette confiance-là il faut s’en méfier : on passe d’une époque scientiste où l’on a remplacé les dieux tout-puissants à une période où cette croyance, partagée par un certain nombre de scientifiques, nous fait passer pour arrogants auprès de la population parce que nous nous trompons souvent. »

On retrouve ici un argument que Didier Raoult reprend souvent à l’épistémologie de Paul Feyerabend : une critique des prédictions scientifiques. « C’est comme mon voisin Nostradamus : ils veulent prédire l’avenir alors qu’on ne sait pas. On sait seulement que si tout se passe comme ça s’est passé dans le passé, alors la projection donne ça, mais la vie est pleine de surprises. À terme, ça mine notre crédibilité qu’un certain nombre de scientifiques croient pouvoir prédire l’avenir. »

« Nous ne sommes pas tous au même degré d’ignorance » : les trois « folies » de la recherche médicale des années 2000

Le professeur Raoult n’est pas tendre avec les politiques, mais aussi avec certains de ses confrères : « Nous sommes ignorants, mais nous ne sommes pas tous au même degré d’ignorance, certains ne lisent pas et ne savent pas ce qu’il s’est passé. Certains sont ignorants parce qu’on ne peut pas savoir et d’autres sont ignorants parce qu’ils ne savent pas. » L’infectiologue marseillais n’en reste pas là et revient sur trois exemples révélateurs pour lui des dysfonctionnements des champs politiques et scientifiques : « La grippe espagnole a tué à 90% par infection bactérienne ! Donc la bonne pratique des antibiotiques n’est pas vraie : le fait de donner des antibiotiques dans les premiers jours de grippe [espagnole] diminue la mortalité. Il n’y aura donc plus de grippe espagnole, on le savait en 2006. Mais un de nos problèmes est que les virologues ne lisent pas la bactériologie et inversement. C’est de l’aveuglement. »

La deuxième « folie » identifiée par Didier Raoult dans la politique sanitaire des années 2000 est la grippe aviaire : « il y a plein de formes asymptomatiques, cette maladie n’est pas plus mortelle que les autres. » Enfin, il revient sur « la folie du bioterrorisme », sur laquelle il a rédigé (ou « transformé », comme il l’explique lui-même) un rapport en 2003 : « En réalité le bioterrorisme on n’en a que deux exemples : l’armée russe a développé du charbon et a provoqué un nuage qui a tué au moins 100 personnes de sa population. Ensuite, les américains ont recruté un scientifique qui avait un lourd passé psychiatrique, qui a tout militarisé et qui a envoyé des charbons à des hommes politiques et des journalistes. » Pour Didier Raoult, « ce fantasme a pris toute la société alors que c’est juste une mauvaise gestion des deux plus grandes armées du monde », ce qui justifiait pour lui d’élargir la démarche du rapport aux risques liés aux maladies infectieuses en général.  

« Le truc le plus dangereux c’est de ne pas savoir qui meurt »

Dans ce domaine, le professeur Raoult identifie un problème central dans la recherche médicale et le système de soin français : l’absence de système de détection des signaux permettant d’identifier une épidémie assez tôt, en dehors du simple signalement par les soignants. « Pour découvrir des pathogènes émergents, il faut faire des biostatistiques, c’est comme ça qu’on avait trouvé la maladie du légionnaire, alors que les médecins ne se rendaient compte de rien. On est à l’âge des analyses massives. Il faut détecter les événements anormaux et pour cela il faut changer la nature de la veille des signaux. »

Didier Raoult prend ainsi l’exemple de la gastro-entérite : « Le premier signe d’une épidémie de gastro-entérite ce sont les recherches google. Le deuxième c’est l’absentéisme des femmes jeunes parce qu’elles gardent leurs gosses qui ont la gastro. Le troisième c’est la consommation des anti-diarrhéique dans les pharmacies et enfin seulement les médecins qui comptent les cas. »

Puis, il revient sur un épisode beaucoup plus circonstanciel, mais autrement plus marquant pour la sphère médicale française, la canicule de 2003 : « En août 2003 quand il y a eu l’explosion de la canicule, j’ai appelé Jean-François Mattei [le ministre de la Santé de l’époque] en lui demandant s’il était sûr qu’il n’y avait pas de problème. Il m’a dit que la Direction générale de la Santé avait regardé et que c’était des bêtises de la presse. » Le constat est sans appel : « En août 2003 les services de l’État étaient incapables de savoir et à la fin les statistiques ont été faites par les croque-morts, qui disaient être en rupture de cercueils. » Cela n’est, ironiquement, pas sans rappeler la polémique autour des chiffres chinois sur les morts du coronavirus par rapport à l’explosion de la demande d’urnes funéraires, à Wuhan notamment.

En finir avec le « centralisme » : « S’il n’y avait pas les CHU, il n’y aurait pas de recherche sur les maladies infectieuses dans ce pays. »

Cette fragilité statistique est aussi liée au « centralisme » du système de soin français d’après le professeur Raoult : « L’Institut Pasteur a inhibé le développement de la recherche sur les maladies infectieuses : il est devenu un institut de recherche fondamentale. Ne croyez pas que les problèmes du pays seront réglés par l’Institut Pasteur ou par l’image que vous avez de lui d’il y a 50 ans. »

En 2010, Didier Raoult était déjà revenu sur cette transformation de l’Institut Pasteur devant une commission d’enquête du Sénat et évoquait la nécessité de former des « pôles de compétences », sur le modèle existant des CHU. Deux ans plus tard, la prescription n’a pas changé : « La Santé c’est les CHU. Les seules structures d’urgence qui existent dans ce pays pour le soin ce sont les CHU, il n’y en a pas d’autres. C’est là qu’il y a du monde, des techniciens, des gardes et c’est là qu’on a l’habitude de faire des choses. »

Didier Raoult voit dans ce déséquilibre institutionnel un signe du « centralisme » français, qui a « détruit » la médecine tropicale auparavant adossée à l’armée : « On a détruit la recherche sur les maladies tropicales : on fait de la médecine tropicale à Brétigny. » Autre exemple : ce colloque organisé au Sénat : « Vous me faites venir à Paris pour venir parler 5 minutes et vous me faites perdre plus d’une journée pour ça. Les comités sont souvent composés d’oisifs ou de parisiens, parfois des deux ! Ce pays pourrait se moderniser et faire des vidéo-conférences. Tout ne peut pas se passer dans une salle de réunion au ministère, sinon vous aurez les experts que vous aurez, mais vous n’aurez pas ceux qui travaillent parce qu’ils n’ont pas le temps. »

Si le professeur Raoult finit son intervention comme il l’avait commencé, il n’en reste pas moins que sa pique ne se veut pas injustifiée : ce défaut dans l’organisation de l’administration se retrouve dans le système de soin et il faut créer des structures de terrain. « Il faut que ce pays soit maillé de nœuds avec des docteurs, des épidémiologistes, de la technologie pour que nous ne devenions pas un pays de seconde zone dans la lutte contre les maladies infectieuses. »

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