Directeurs d’école : l’annonce d’Emmanuel Macron détonne au Sénat

Directeurs d’école : l’annonce d’Emmanuel Macron détonne au Sénat

A Marseille, le président de la République a émis l’idée d’un recrutement des enseignants directement par les directeurs d’école. L’annonce a surpris le sénateur LR Max Brisson, en pleine lecture d’un texte sur le sujet. La sénatrice PS Marie-Pierre Monier se montre totalement opposée.
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En trois jours passés dans la cité phocéenne, Emmanuel Macron aura abordé bien des thématiques sur les quartiers cumulant les difficultés. Une annonce sur l’école, le 2 septembre, n’a probablement pas fini de faire couler de l’encre : la liberté du choix des enseignants par les directeurs d’établissement. Le chef de l’Etat souhaite expérimenter cette idée dès la rentrée 2022, dans une cinquantaine d’écoles de la ville, qui compte un peu moins de 300 écoles élémentaires. Cette « innovation » présidentielle a été accueillie avec une certaine hostilité par plusieurs syndicats. Le président de la République, soucieux que les enseignants soient « pleinement motivés » et qu’ils « adhèrent au projet » d’établissement, n’a d’ailleurs pas caché que ses propos risqueraient de heurter les sensibilités. « Il faut que l’on ait des directeurs d’école à qui on permet d’avoir un peu plus d’encadrement. Il faut qu’ils puissent choisir l’équipe pédagogique. Je dis plein de gros mots pour beaucoup de gens, j’en ai conscience. »

Des paroles aux actes, il n’y aurait qu’un pas. Un véhicule législatif est déjà en circulation au Parlement pour pouvoir embarquer la proposition de l’Elysée : la proposition de loi de la députée LREM Cécile Rilhac, « créant la fonction de directrice ou de directeur d’école ». Le texte issu de la majorité présidentielle, qui doit consolider l’assise législative de cette fonction et améliorer le quotidien des directeurs, a déjà fait l’objet d’une lecture dans les deux chambres, à l’Assemblée en juin 2020, puis au Sénat en mars 2021. Il va rapidement faire son retour. Le récent décret de convocation des parlementaires pour la session extraordinaire du 20 septembre inscrit d’ailleurs le texte à l’agenda des travaux.

« C’est une annonce politicienne en période électorale », considère Max Brisson (LR)

Au Sénat, l’annonce présidentielle a surpris le sénateur LR Max Brisson, l’un des référents de la majorité sénatoriale de droite et du centre sur la thématique éducative. Hasard du calendrier, le sénateur des Pyrénées-Atlantiques s’est entretenu le jour même avec la députée Cécile Rilhac, pour préparer un accord entre les deux chambres du Parlement sur le texte. Le discours sur le Pharo vient perturber la propre partition des parlementaires, où l’esquisse d’un compromis débutait.

« C’est une annonce politicienne en période électorale. On prend la question par le petit bout de la lorgnette », réagit Max Brisson, qui y voit une « curieuse méthode de gouvernement ». D’autant que le discours du président de la République vient télescoper l’agenda social du ministère. « Cette annonce intervient en plus, dans une période où nous discutons, tous les syndicats, avec le ministère sur la question des directeurs d’école, qui a été soulevée durant le Grenelle de l’Education », a souligné Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-Unsa.

Sur le fond, la proposition d’Emmanuel Macron ne déplaît pas au sénateur LR, même s’il ne peut s’agir d’une solution unique. « Par principe », Max Brisson se dit favorable à l’expérimentation, et apprécie la recherche d’un cadre souple. Le cadre géographique de l’expérimentation lui apparaît trop limité. « Pourquoi uniquement à Marseille ? Il y a d’autres Marseille sur le territoire. »

Dans cette « école du futur » qu’il imagine, Emmanuel Macron voit aussi le moyen de redonner de l’attractivité aux enseignants. « Les parents me disent : à tel endroit, les profs ne viennent plus. Ça arrive parce qu’il y a des gens qui sont fatigués de travailler trop longtemps dans les quartiers difficiles […] On doit permettre à nos enseignants de choisir ces quartiers et les projets pédagogiques qui vont avec, ce n’est pas le cas aujourd’hui. »

« J’ai du mal à concevoir que l’on puisse confier le recrutement des enseignants aux directeurs », s’émeut Marie-Pierre Monier (PS)

En charge de l’examen de la proposition de loi Rilhac du côté du groupe socialiste du Sénat, Marie-Pierre Monier s’inscrit en faux sur l’annonce présidentielle. « L’école de la République, ce n’est pas une entreprise. J’ai du mal à concevoir que l’on puisse confier le recrutement des enseignants aux directeurs. C’est remettre en cause l’un des piliers de l’école. Le directeur est un enseignant, un pair parmi les pairs. On lui donnerait un pouvoir d’autorité qu’il ne veut pas avoir », s’inquiète cette ancienne professeure de mathématiques. Cette expérimentation se fonderait, selon elle, sur une « autre vision de l’école », « assumée » par le ministre Jean-Michel Blanquer.

Se remémorant le suicide en 2019 de Christine Renon, directrice de maternelle à Pantin, la sénatrice de la Drôme rappelle en parallèle que ces enseignants sont déjà surmenés. « Quand vous les auditionnez, ce qu’il ressort, c’est l’écrasement des tâches administratives, et on ne répond pas à ça. »

Max Brisson rappelle qu’au-delà des recrutements, c’est toute la problématique autour des missions et de l’autorité des directeurs que la proposition de loi Rilhac commençait à peine à aborder. « Il faudra recruter les enseignants sur un projet particulier, avec des engagements particuliers. On rentre dans l’idée d’une contractualisation, qui déroge au droit commun », énumère cet ancien agrégé d’histoire et ex-inspecteur général de l’Éducation nationale. Bref, « on met la toiture, sans que les fondations soient construites. »

Dans le souci d’offrir rapidement de premières réponses au cadre attendu par les directeurs, les sénateurs avaient avancé avec prudence et retenue dans l’examen de la proposition de loi. « Il y a une volonté de consensus. Cela nous a amenés à être en retrait par rapport à l’approche qui peut être la nôtre », témoigne Max Brisson.

Le sujet est sensible, et n’avait pas échappé au rapporteur du texte au Sénat, le sénateur LREM de Paris, Julien Bargeton. « Depuis plus de trente ans et le décret sur les maîtres-directeurs, les tensions se cristallisent autour de l’attribution d’une autorité hiérarchique du directeur d’école sur les enseignants. La mise en place d’une telle autorité bouleverserait profondément les équilibres actuels entre enseignants, directeurs d’école et inspecteurs de l’Éducation nationale », soulignait le parlementaire lors de l’examen en commission, en mars.

D’ici à ce que les débats ne reprennent au Palais Bourbon et au Palais du Luxembourg, Emmanuel Macron se plaît déjà à imaginer la suite : il souhaite généraliser l’expérimentation « dans d’autres territoires de la République », si elle est concluante.

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