Distribution de la propagande électorale : après les ratés, Gérald Darmanin se dit « favorable » à une reprise en main par l’Etat

Distribution de la propagande électorale : après les ratés, Gérald Darmanin se dit « favorable » à une reprise en main par l’Etat

Après un 1er tour des élections régionales et départementales marqué par une abstention record, ce sont les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale et notamment des professions de foi qui font débat. Avant de lancer une commission d’enquête sur la question, les sénateurs de la commission des Lois ont auditionné Gérald Darmanin ce matin. Le ministre de l’Intérieur s’est montré « favorable » à une reprise en main de la distribution de la propagande électorale par l’Etat.
Louis Mollier-Sabet

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Une fois n’est pas coutume, François-Noël Buffet a introduit l’audition de Gérald Darmanin avec un Power point. Les auditions de la commission des Lois ne s’y prêtent pas toujours, mais en l’occurrence les images sont frappantes et se veulent accablantes : des piles d’enveloppes contenant des professions de foi laissées à l’abandon dans des halls d’immeubles, sur le bas-côté de la route ou même brûlées en forêt.

Le "fiasco" de la propagande électorale en image
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Face à l’ampleur des dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale par des sociétés privées, et notamment Adrexo, le Sénat a annoncé la création d’une commission d’enquête afin de « faire la lumière » sur ce « fiasco ». Les sénateurs de la commission des Lois présents – et leur président en premier lieu – font tous état des « remontées de dysfonctionnements majeurs » dans la distribution de la propagande électorale après le 1er tour des élections régionales et départementales qui s’est tenu ce dimanche 20 juin. « Marlène Schiappa a indiqué que 21 000 électeurs n’avaient pas reçu les professions de foi, ces estimations sont peu crédibles au vu des remontées de terrain », indique d’entrée de jeu François-Noël Buffet. Et Gérald Darmanin en convient d’emblée : « Dans ma propre commune, la maire n’a pas reçu les documents de propagande électorale. La propagande n’a pas été faite dans les règles de l’art. »

D’après Adrexo et La Poste, 9 % des plis de propagande électorale n’ont pas été distribués

Une fois le constat de terrain validé et les anecdotes personnelles sur qui a reçu ou pas la propagande électorale, passés, les sénateurs ont essayé d’en savoir plus sur l’ampleur exacte de ces dysfonctionnements. Gérald Darmanin leur a transmis les informations dont disposait actuellement le ministère de l’Intérieur : « La Poste n’est pas non plus exempte de toute critique, société pourtant plus habituée à cette distribution. 9 % de plis n’ont pas été distribués par la Poste : cela peut correspondre aux personnes décédées ou qui ont déménagé, mais ce n’est pas un pourcentage habituel. […] C’est le même montant pour la société Adrexo. »

G. Darmanin :"Il y aurait 9% de plis non-distribués par la Poste. C’est le même montant pour Adrexo"
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Derrière cette moyenne identique se cachent des différences notables entre les dysfonctionnements de La Poste et Adrexo : « La difficulté c’est que certains départements d’Adrexo sont bien au-dessus de cette moyenne. On peut monter jusqu’à 13 % de non-distribution dans certains départements plus urbanisés. L’autre différence c’est que quand la Poste n’arrive pas à distribuer les courriers, ils reprennent les plis alors que la société Adrexo les laisse sur place, voire les brûle. Elle s’en est excusée auprès du ministère de l’Intérieur. »

Face à l’insistance des sénateurs Bas et Sueur, Gérald Darmanin a convenu que ces chiffres étaient insatisfaisants. D’abord parce qu’une partie de la non-distribution est un « taux résiduel » dû à des changements d’adresse, des boîtes aux lettres inaccessibles ou bien des décès. Le ministre de l’Intérieur se risque à une estimation de ce qui relève d’une déperdition en quelque sorte normale et de ce qui relève de véritables manquements des distributeurs : « Sur les 9 %, on peut considérer que la moitié est un taux résiduel. »

Ensuite, ces chiffres viennent des sociétés de distribution elles-mêmes. Le ministre de l’Intérieur s’est donc montré prudent quant à leur interprétation : « Ce taux est le taux que nous font remonter les sociétés qui distribuent cette propagande électorale. Est-il minoré ? C’est ce que nous devons regarder. »

« Vous dites des bêtises Monsieur Bas » : les explications de Gérald Darmanin peinent à convaincre les sénateurs

« Il y a toujours eu des erreurs, mais pas à ce niveau » concède finalement Gérald Darmanin. Mais alors comment expliquer l’ampleur des dysfonctionnements constatés ces dernières semaines ?

Le ministre de l’Intérieur avance une première piste d’explication : d’après lui, c’est la première fois « depuis 1986 » que la France organise « deux élections concomitantes ». Il poursuit : « Le double scrutin est un défi logistique important, souligné par un rapport du sénateur Capus. » Mais s’appuyer sur les travaux sénatoriaux ne suffit apparemment pas à amadouer Philippe Bas, en désaccord frontal avec le ministre sur ce point.

Philippe Bas "n'est pas convaincu" par les explications de Gérald Darmanin
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« Nous ne sommes pas là pour discuter les raisons multiples de l’abstention, mais entendre vos explications qui ne m’ont pas convaincu. […] En 2008 nous avons organisé des scrutins cantonaux et municipaux en même temps et aucune des difficultés d’aujourd’hui n’a été constatée », explique l’ancien secrétaire général de l’Elysée au ministre de l’Intérieur. Gérald Darmanin persiste et signe : « Monsieur Bas, vous dîtes une bêtise. 2008 était une année avec les municipales dans toute la France et des cantonales dans la moitié du pays. C’est plus facile de faire des élections cantonales, quand un département prête du matériel à l’autre, parce que seulement la moitié du pays est en double scrutin. Donc je le répète, depuis 1986 notre pays n’avait pas organisé de double scrutin. »

"Monsieur Bas, pardon de vous dire que vous dites une bêtise." Gérald Darmanin
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D’autres pistes sont évoquées par le ministre de l’Intérieur pour expliquer le « fiasco » dénoncé par les sénateurs. Le 24 avril, la société Adrexo a signalé avoir été la cible d’une attaque informatique au ministère de l’Intérieur, sans que celui puisse expliquer des dysfonctionnements « de ce niveau », de l’aveu de Gérald Darmanin lui-même, qui renvoie les sénateurs à leurs futures auditions des dirigeants d’Adrexo.

L’absence de dates précises à laquelle doit être distribuée la propagande électorale aurait aussi empêché le ministère de l’Intérieur d’avoir un droit de regard plus important sur ce que faisaient les prestataires en amont : « Il n’y a malheureusement pas de bornes dans la distribution de la propagande électorale, c’est sans doute une modification à apporter dans les prochains textes législatifs. »

« C’était peut-être un marché trop gros pour la société Adrexo »

En fait, on comprend assez vite que le cœur du problème n’est pas conjoncturel, malgré les contraintes liées à la crise sanitaire. Même le ministre de l’Intérieur le concède, le problème c’est d’abord la conception de l’appel d’offres : « C’était peut-être un marché trop gros pour la société Adrexo. » Et ensuite plus largement que la distribution de la propagande électorale relève du domaine concurrentiel. Gérald Darmanin rappelle d’abord : « Il y a eu un régime de libéralisation de la propagande. Sous le gouvernement de Lionel Jospin des directives européennes ont prévu l’ouverture à la concurrence du domaine postal et donc de la distribution de la propagande électorale. L’Arcep est l’autorité qui donne le blanc-seing pour accepter de concurrencer des opérateurs qui avaient le monopole et elle n’a validé que deux sociétés. La société Adrexo, en particulier a obtenu le marché pour un montant total d’à peu près 200 millions d’euros. »

Ainsi, le ministre de l’Intérieur ne disposerait pas en l’état d’une grande marge de manœuvre dans l’organisation de la distribution de la propagande électorale : « En tant que chef d’une administration, je suis bloqué par une concurrence qui n’en est pas une, puisque seulement deux sociétés ont été validées par Arcep et les deux doivent gagner. Cela serait le cas pour tous les ministres de l’Intérieur de tous les gouvernements, sauf à changer les règles. »

Précisément, Gérald Darmanin en profite pour lancer un appel au législateur : « C’est pourquoi je suis d’accord pour pouvoir législativement considérer que la propagande électorale ne doit pas relever du domaine concurrentiel et considérer que c’est une régie. Je serais favorable à ce que nous puissions considérer qu’il n’y a pas de concurrence pour la distribution de la propagande électorale. On aurait pu imaginer sortir la propagande électorale de la directive [européenne] service postal. » Et de conclure : « Si le droit était ainsi écrit, cela serait tout à fait conforme au ministère de l’Intérieur. »

En clair, le ministre de l’Intérieur appelle à internaliser la distribution de la propagande électorale et à ce que l’Etat, ou plus précisément une régie disposant d’une mission de service public, assure cette mission, comme c’était le cas de La Poste avant la mise en concurrence. Mais en l’état actuel, Gérald Darmanin n’est « pas certain que nous aurions pu changer grand-chose vu les décisions dictées par les mesures sanitaires et les impositions de marché. »

2nd tour : « Il est évident que l’on ne passera pas à 100 % en 3 jours. Mais nous visons une amélioration générale »

A plus court terme, c’est l’organisation du 2nd tour qui préoccupe le ministre de l’Intérieur avant de prendre quelque décision que ce soit concernant l’avenir du marché obtenu par Adrexo : « La société Adrexo a eu des responsabilités très fortes, nous en tirerons toutes les conséquences demain ou après-demain. Mais je ne veux pas le faire avant le 2nd tour des élections et avant de voir les mesures de redressement que prendra la société Adrexo. Il est évident que l’on ne passera pas à 100 % en 3 jours. Mais nous visons une amélioration générale. »

Le ministre de l’Intérieur prévient quand même : « Nous en tirerons toutes les conséquences si ces sociétés n’exécutent pas ce marché public. »

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