Dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale : « On est sans doute à la fin d’un modèle »

Dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale : « On est sans doute à la fin d’un modèle »

La commission d’enquête sur les dysfonctionnements lors des élections de juin 2021 a continué ses auditions ce mardi. Jean-Denis Combrexelle, président du Comité de suivi pour les élections départementales et régionales de juin 2021, a d’abord fait le constat que les difficultés de l’entreprise Adrexo dans la distribution de la propagande électorale, n’étaient en fait que le symptôme de l’essoufflement d’un modèle d’organisation des élections.
Louis Mollier-Sabet

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Et pourtant, l’exécutif avait vu venir les difficultés d’organisation des élections locales de juin dernier, en instaurant notamment pour la première fois un « comité de suivi » rassemblant des représentants des partis politiques et des différentes administrations chargées d’organiser les élections. Son président, Jean-Denis Combrexelle, haut fonctionnaire du Conseil d’Etat, est d’ailleurs tombé d’accord avec les sénateurs siégeant dans ce comité et présents à l’audition sur l’utilité potentielle de ce type de comité.

« On a senti qu’il se passait quelque chose seulement le jeudi après-midi »

Pourtant, le comité de suivi, tout comme le reste de l’administration, a largement sous-estimé les dysfonctionnements majeurs que rencontrait toute la chaîne de production et de distribution de la propagande électorale : « Sur la question de la distribution par Adrexo et La Poste, le niveau d’alerte a été très mesuré. On parlait beaucoup des tests et de la vaccination des assesseurs par exemple, mais sur Adrexo la remontée d’informations, c’était qu’on n’avait pas le sentiment d’avoir un défaut systémique. Nous pensions être face à des difficultés ponctuelles, mais ni plus ni moins. »

Le président du comité de suivi prend d’ailleurs les sénateurs du comité à témoin et rappelle que lors de la dernière réunion du jeudi précédant le 1er tour, l’ordre du jour était beaucoup plus centré sur les questions liées à l’organisation des élections en pleine crise sanitaire et pas à la distribution de la propagande électorale : « Le moment où on a senti qu’il se passait quelque chose, ça n’a même pas été au niveau du comité de suivi qui se tenait le jeudi, mais le jeudi après-midi quand j’ai eu des remontées de gros problèmes au niveau des préfectures et notamment, et pas exclusivement, avec Adrexo. »

Des dysfonctionnements d’autant plus difficiles à anticiper qu’Adrexo avait justement été choisi par les services du ministère de l’Intérieur pour leurs propositions au niveau du « reporting » des difficultés qu’ils pourraient rencontrer lors de la distribution : « Ça sera plus au ministère qu’à moi de le dire mais […] le paradoxe c’est qu’une des raisons pour lesquelles Adrexo a été choisi c’est qu’en termes de reporting ils proposaient sur le papier des choses plus intéressantes que La Poste. »

« Les prestataires, autant La Poste qu’Adrexo, ont recours à des gens peu rémunérés et peu formés »

Les administrations et les partis politiques présents au comité de suivi ont donc eu des remontées tardives de dysfonctionnements, mais des remontées tout de même. Pour Jean-Denis Combrexelle, les difficultés d’Adrexo viennent d’un manque de formation des travailleurs qui ont distribué la propagande électorale : « La distribution du courrier, c’est un métier qui devient de plus en plus difficile. En zone urbaine on voit bien que dans les copropriétés des villes, arriver à la boîte aux lettres, c’est loin d’être évident, il y a aussi les zones périurbaines où il y a des problèmes d’adresse. Bref, cela devient de plus en plus difficile. Et c’est une chose de distribuer des documents publicitaires, mais distribuer des professions de foi avec une obligation quantitative et qualitative, c’est quelque chose qui n’est pas évident. »

Le président du comité de suivi demande aux sénateurs et aux sénatrices de bien vouloir en croire son expérience de « fils de facteur » : « Les prestataires, autant La Poste qu’Adrexo, ont recours à des gens très éloignés du marché du travail. Donc des gens souvent peu rémunérés et peu formés. Or le facteur humain est essentiel sur la distribution du courrier qui est un véritable métier. […] J’ai cru comprendre que le match de football France - Allemagne a fait que certaines personnes se sont moins senties concernées, cela suppose qu’on ait des gens qui soient impliqués, motivés et qui comprennent les enjeux. »

« Ce ne sont pas des métiers très compliqués, il faut être un peu débrouillard »

C’est à cette question du facteur humain dans la distribution de courrier adressé que se sont attelé les sénateurs et les sénatrices dans leur audition suivante. Pascal Lorne, président de Gojob, la plateforme qui a fourni la main-d’œuvre intérimaire à Adrexo, est effectivement revenu sur le processus de sélection et de formation des intérimaires : « C’était une opération exceptionnelle compte tenu du volume mais qui n’avait rien d’exceptionnelle dans la nature de la tâche : aller chercher des gens relativement peu qualifiés, partout en France. […] Nous sélectionnons les candidats à travers des tests en ligne et spécifiquement dans ce cas avec des questions sur des problématiques d’adressage et des problématiques géospatiales qui visent à vérifier si les candidats savaient utiliser Google maps pour se débrouiller quand ils ne trouvaient pas la boîte aux lettres. »

Les sénateurs et sénatrices n’ont pas paru totalement convaincus par la pertinence de ce genre de sélection. Nathalie Goulet, sénatrice centriste de l’Orne, semble douter des exemples de questions données par Pascal Lorne : « Repérer un Leroy Merlin c’est bien, mais un chemin en zone rurale c’est une autre histoire. Parfois Google maps n’est même pas accessible dans certains territoires. »

Face aux critiques, le président de Gojob précise que son entreprise n’a pas pour rôle de former les intérimaires qu’elle propose à une entreprise et qu’on ne peut lui opposer qu’une obligation de moyens et pas de résultats : « Nous ne faisons pas de formation, mais des tests. […] Ce ne sont pas des métiers très compliqués, il faut être un peu débrouillard. » D’autant plus que dans ce cas précis, Gojob aurait fait des efforts pour informer ses intérimaires des enjeux de la mission : « Nous avons mis en place de la formation en ligne et des rappels sms rappelant que ce qu’ils faisaient, était une mission qui est réglementée par le code électoral et que tout manquement à ce devoir est passible de sanctions pénales. Dans le cadre de la formation sur l’exigence républicaine de cette mission, nous insistions sur la notion impérieuse de ramener des plis et de signaler toute problématique de non-distribution. »

Pour ce qui est de la formation procurée ensuite par Adrexo, Pascal Lorne explique ne pas pouvoir confirmer aux sénateurs exactement combien de temps elle a duré, mais que c’était une norme du secteur : « Adrexo a fait appel à ses propres forces vives et les a formées dans la même durée. Nous, une fois qu’on leur a envoyé les intérimaires nous ne savons pas combien de temps ils ont de temps de formation, mais généralement c’est plusieurs heures, voire une journée. Beaucoup de nos clients font de la formation en mettant les intérimaires avec un binôme plus expérimenté. »

Gojob aurait par ailleurs mis en place un système de vérification « in situ » une fois les intérimaires envoyés chez Adrexo pour s’assurer qu’ils aient bien reçu une formation de la part de leur futur employeur : « Puis nous nous sommes assurés que chacun des centres opérationnels avait bien pris en charge cette formation avec une vérification in situ (par sms) pour s’assurer qu’ils auraient les bonnes méthodologies de travail. »

« Je n’ai pas été inquiété une seule fois de retours problématiques sur nos intérimaires »

Et une fois la mission entamée, le président de Gojob a-t-il eu, comme les autres acteurs de cette distribution de la propagande électorale, des retours inquiétants ? « Je n’ai pas été inquiété une seule fois par des retours concernant des personnes qui auraient eu des problèmes pour rentrer dans des halls d’immeubles. » Le sénateur socialiste Eric Kerrouche s’étonne : cela voudrait-il implicitement dire que ce sont les salariés d’Adrexo qui seraient responsables des incidents documentés de jet de plis, voire de professions de foi brûlées ? En tout cas, Pascal Lorne affiche un taux de turn-over « élevé, mais dans la norme sur ce type de missions logistiques de distribution », preuve supplémentaire du caractère « pas exceptionnel » de ce type de mission pour l’entreprise.

Stéphane le Rudulier interroge le président de Gojob sur sa réaction, affichée sur twitter, à la demande d’Adrexo de fournir les intérimaires nécessaires à cette distribution : « Vous avez quand même dit que ça allait être chaud », l’interroge le sénateur LR des Bouches-du-Rhône. Pascal Lorne lui répond amusé : « On peut jouer avec les mots, mais c’était une mission qui était une belle mission avec beaucoup de monde : c’est un pic d’activité donc c’est chaud, il a fallu mobiliser les équipes. » Mais il s’empresse de préciser plus sérieusement : « Nous ne l’aurions pas acceptée si ce n’était pas possible de le faire. Le groupe Hopps, qui est le propriétaire d’Adrexo est notre plus gros client et ne pas satisfaire notre plus gros client c’était le pire qui pouvait arriver. On a été prudents là-dessus et on a souhaité leur livrer quelque chose dont ils sont satisfaits, et je crois qu’ils le sont. »

Comment expliquer alors les dysfonctionnements constatés lors du 1er tour, puis les difficultés encore plus importantes au 2è tour dans la distribution de la propagande électorale ? Conscient de la solennité de son audition devant une commission d’enquête, Pascal Lorne tente un diagnostic plutôt clément à l’égard de son entreprise et de son principal client : « Je pense pouvoir venir ici témoigner que l’ensemble de la chaîne a été compliqué. Il y a eu des changements de date, il y a eu des plis qui devaient être imprimés et livrés et qui ne l’ont pas été. La chaîne des responsabilités elle est longue. S’il y a eu des difficultés sur certaines zones, c’était sur l’ensemble de la chaîne, je ne voudrais pas qu’on mette tout le grief sur les intérimaires ou sur Adrexo. »

« On a été dans une situation de contraintes telles que cela a montré que le modèle sur lequel ça repose a atteint ses limites »

Mais force est de constater que depuis le début des travaux de la commission d’enquête, autant Adrexo apparaît avoir eu des difficultés réelles, autant le reste de la chaîne de production et de distribution de la propagande électorale ne semble pas avoir été épargné non plus. Là-dessus, Jean-Denis de Combrexelle rejoint les dirigeants d’Adrexo et de Gojob : « A mon sens, la question de la distribution des professions de foi concerne Adrexo, mais le dépasse. »

Comme le disaient les dirigeants d’Adrexo hier devant la commission d’enquête, il y a eu de nombreux problèmes en amont de la chaîne de production chez les imprimeurs et les routeurs, notamment dans l’entre-deux-tours. Le président du comité de suivi atteste cette version des faits : « Il y avait une chose de sûr c’était que la période entre les deux tours était la période de tous les dangers. Les imprimeurs ont pris du retard avec parfois du papier mal séché, ce qui a provoqué l’effondrement du routeur principal et un retard irrattrapable par les distributeurs, aussi bien Adrexo que La Poste. »

Là aussi Jean-Denis Combrexelle met en cause la formation et l’implication de la main-d’œuvre dans les entreprises concernées : « Les entreprises de routage ont recours à des salariés ‘en extra’lors de pics d’activité et là aussi c’est un problème… Si ce sont des agents de la préfectorale qui s’en occupent, ils s’aperçoivent qu’il y a un décalage entre les professions de foi de différents partis et ils vont le corriger d’eux-mêmes. Mais des gens moins au courant ne vont pas alerter. Il y a eu des loupés où l’on peut penser que des agents des préfectures les auraient spontanément corrigés. »

Finalement, le président du comité de suivi opère une synthèse de ces diagnostics qui peuvent paraître contradictoires entre une entreprise en difficulté dans la réalisation de sa mission (Adrexo) et des dysfonctionnements plus globaux qui la dépassent largement, mettant en jeu la structure même de la fonction publique et de l’action de l’Etat : « On a été dans une situation de contraintes telles que cela a montré que le modèle sur lequel ça repose a atteint ses limites. A l’évidence on a des situations de faiblesse. […] On est sans doute à la fin d’un modèle. Les préfectures ne sont pas dans une situation pléthorique en termes d’effectifs, il y a aussi ces difficultés. »

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