Elections législatives italiennes : « Une immense inquiétude au niveau européen »
L’Italie doit se prononcer sur son avenir le 25 septembre prochain. Des élections législatives provoquées par la chute du “gouvernement Draghi”, fin juillet, lâché par l’aile droite de sa majorité. La coalition menée par le parti d'extrême droite Fratelli d'Italia est la grande favorite de ce scrutin dont le résultat pourrait plonger l’Union européenne dans une période d’incertitude. Décryptage des enjeux de ce vote avec Marc Lazar, professeur d'histoire et de sociologie politique à Sciences Po et président de la School of government de l'université LUISS à Rome.

Elections législatives italiennes : « Une immense inquiétude au niveau européen »

L’Italie doit se prononcer sur son avenir le 25 septembre prochain. Des élections législatives provoquées par la chute du “gouvernement Draghi”, fin juillet, lâché par l’aile droite de sa majorité. La coalition menée par le parti d'extrême droite Fratelli d'Italia est la grande favorite de ce scrutin dont le résultat pourrait plonger l’Union européenne dans une période d’incertitude. Décryptage des enjeux de ce vote avec Marc Lazar, professeur d'histoire et de sociologie politique à Sciences Po et président de la School of government de l'université LUISS à Rome.
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Par Mickael Spitzberg

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A un mois de ces élections, la droite italienne fait la course en tête, notamment avec le parti nationaliste de Giorgia Meloni. Les jeux sont-ils faits ?

Marc Lazar Giorgia Meloni et son parti Fratelli d'Italia sont dans le cadre d'une coalition comprenant la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi, et par ailleurs tout un ensemble de petits partis.  C'est cet ensemble qui fait la course en tête avec, selon les estimations des sondages, 45 à 47 % d'intentions de vote. Et à l'intérieur de cette coalition, il est vrai que c'est Giorgia Meloni et son parti qui est en tête avec 22 à 23,5 % .

On est en plein mois d'août, près d'un Italien sur deux qui ne sait pas du tout s'il va aller voter et pour qui il voterait. Le grand espoir du centre gauche, du Parti démocrate en particulier, est que tout cela peut évoluer. Que la campagne va véritablement commencer à partir de la fin du mois d'août. Mais on sait très bien que dans les indécis, tous n’'iront pas voter à gauche.

Pourquoi cette droite-là, cette droite nationaliste, fait-elle la course en tête aujourd'hui ?


Marc Lazar : Il y a une explication fondamentale : Fratelli d'Italia a été créé en 2012 et cela fait dix ans qu'il est dans l'opposition. Tous les autres partis ont été plus ou moins associés au pouvoir, et en particulier le Parti démocrate dirigé par Enrico Letta. Giorgia Meloni a été à l'opposition systématiquement.
Elle était à l'opposition du gouvernement de Mario Monti jusqu'en 2013. Elle a été à l'opposition des différents gouvernements de centre gauche de 2013 à 2018, à l'opposition de tous les gouvernements de la législature qui se termine.

Elle apparaît aujourd'hui comme une force d'alternance, pour ne pas dire d'alternative.  Elle incarne une nouveauté aux yeux de beaucoup d'Italiens. Et par ailleurs, les thématiques qu'elle développe séduisent. C'est à dire une Italie plus souveraine, une Italie plus nationale, une Italie très hostile à l'immigration, à l'islam ou à ce qu'elle dénonce comme le lobby LGBT. Une Italie plus conservatrice, plus traditionaliste.

La coalition formée par Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni, Forza Italia de Silvio Berlusconi et la Ligue de Matteo Salvini, est-elle une alliance solide ?


Marc Lazar : C'est une machine de guerre pour gagner des élections. Ils peuvent avoir une majorité très grande et l'emporter largement et même très largement. On parle de 60 % du Parlement.
Mais oui, gouverner ensemble ne sera pas simple et la durée de gouvernement en Italie, on le sait, est très réduite. Ce sera une coalition qui aura des moments d'unité, notamment contre la gauche bien sûr. Mais il y aura aussi des tensions internes et donc une certaine fragilité au Parlement. La désignation de chacun des ministères va être pesée au trébuchet en tenant compte de l'avis du président de la République
(Sergio Mattarella
) pour lequel il y a trois ministères absolument fondamentaux et sur lequel il ne laissera jamais faire n'importe quoi : le ministère de l'Intérieur, le ministère de l'Economie, le ministère des Affaires étrangères.

Il y a des divergences, notamment autour de la question russe ?


Marc Lazar : Effectivement, c'est une question qui préoccupe Bruxelles. Silvio Berlusconi était un excellent ami de Poutine. Il l'a invité deux fois dans sa villa en Sardaigne. Dans le passé, il a fait des déclarations fracassantes en faveur de Poutine. En 2017, le parti de la Ligue a signé un accord de coopération avec le parti de Poutine, Russie Unie. La Ligue est contre les sanctions contre la Russie et contre l'envoi d'armes en Ukraine.

En revanche, Fratelli d'Italia a été très ferme sur ces questions : sur la condamnation de la Russie, sur la solidarité avec l'Ukraine et sur l'envoi d'armes.
Giorgia Meloni a imposé cette ligne à ses alliés. Mais jusqu'à quand ? Car lorsque les Italiens vont subir les effets de la dépendance énergétique considérable de l'Italie cet automne et cet hiver, lorsqu'il va y avoir une montée encore de l'inflation, lorsque les prix de l'énergie vont exploser, est-ce que la pression populaire ne va pas se répercuter au sein du gouvernement ? C’est effectivement une grande inquiétude.

Une situation dont pourrait essayer de profiter la Russie ?


Marc Lazar : Les Russes auront des relais au sein du gouvernement avec la Ligue et de Forza Italia. C’est un motif de préoccupation quand il s’agit de la troisième puissance économique de l'Union européenne et de la deuxième puissance industrielle. D’autant qu’il y a des relations économiques très importantes entre les entreprises du nord de l’Italie avec l'Ukraine et avec la Russie. Et plus le conflit dure, plus c'est un problème pour leurs exportations.

Les Russes ont intérêt à ce que la droite gagne. Ils observeront de très près ce qui se passe en Italie, parce que c'est un instrument de pression terrible sur le reste de l'Europe. Si la protestation des Italiens devient trop forte, ils pourraient jouer de leur influence dans les médias, sur les réseaux sociaux pour dire qu’il faut lever les sanctions.

L’Europe doit-elle s’inquiéter ?

 
Marc Lazar : Evidemment, il y a une immense inquiétude au niveau européen, parce qu'on connaît mal ces gens qui risquent d’arriver au pouvoir. On s’inquiète compte-tenu du pédigrée de Giorgia Meloni et de ses déclarations très critiques envers l'Europe dans un passé pas si lointain. Mais aussi de ses positions très proches de la Hongrie – avec des divergences sur la question russe – et surtout de la Pologne. Un axe Varsovie-Rome ne serait pas à exclure et ça, c'est une grande préoccupation dans l'Union européenne.

Et puis, il y a une dernière chose, dans l'accord de coalition entre les partis de droite la révision d’un certain nombre d'éléments du plan national de relance et de résilience est envisagée. Or l'Italie est le principal destinataire des fonds européens du
plan Next Generation EU, c’est près de 200 milliards d'euros. Est-ce qu'ils vont remettre en cause les grandes orientations de réformes qu'avait proposées Mario Draghi ? Là encore, c'est un grand point d'interrogation.

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