Embargo européen : comment se passer du pétrole russe ?

Embargo européen : comment se passer du pétrole russe ?

Alors que la Hongrie a refusé l’embargo sur les hydrocarbures russes proposé par la Commission européenne, l’Allemagne a réussi à diminuer drastiquement ses importations pétrolières russes. Les difficultés européennes pour se mettre d’accord sur un embargo ne sont pour autant pas seulement politiques.
Louis Mollier-Sabet

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Après un embargo (anecdotique) sur le charbon acté début avril, la Commission européenne a annoncé hier que l’Union européenne « renoncera progressivement aux livraisons russes de pétrole brut dans les 6 mois, et à celles de produits raffinés d’ici à la fin de l’année », afin de « faire payer le prix fort » à Vladimir Poutine. Mais malgré les précautions d’Ursula von der Leyen, qui a bien pris soin de promettre un délai d’un an à la Hongrie et la Slovaquie, le ministre des Affaires étrangères hongrois a déclaré ce mercredi que l’embargo proposé « dans sa forme actuelle […] détruirait complètement la sécurité énergétique » de la Hongrie. Le pays dirigé par Viktor Orban et la Slovaquie font en effet partie des Etats-membres les plus dépendants aux importations d’hydrocarbures russes, avec 77,5 % du pétrole slovaque importé de Russie, et 46,4 % pour la Hongrie, au début de l’année 2022.

>> Lire aussi : Les pistes pour réduire la dépendance européenne au gaz russe

La Hongrie a donc d’ores et déjà annoncé qu’elle ne soutiendrait pas un tel embargo – sauf si les importations par pipeline en étaient exclues – et la décision devant être unanime, la Commission européenne va devoir revoir sa copie. Pourtant, certains pays ont réussi à se passer très rapidement du pétrole russe : de 30 à 40 % de ses importations au début de l’année 2022, l’Allemagne a par exemple réussi à faire descendre la part des importations russes dans sa consommation d’hydrocarbures autour de 10-12 %, avait annoncé le ministre de l’Economie Robert Habeck il y a un mois, tout en se disant prêt à soutenir un éventuel embargo. Par contraste, la Hongrie est ainsi accusée par les dirigeants ukrainiens de « complicité » de crimes de guerre. Mais, pour certains pays européens, est-il réellement envisageable, au niveau économique et logistique, de se passer du pétrole russe ?

Le problème des produits pétroliers raffinés

S’il est théoriquement beaucoup plus facile pour l’Europe de se passer du pétrole que du gaz russe, l’équation n’est pas si simple pour certains des Etats-membres. En l’occurrence, plus que du pétrole russe, la Slovaquie et la Hongrie sont surtout dépendantes de l’oléoduc le plus long du monde, dit « Droujba », qui transporte du pétrole du Sud-Est de la Russie vers la Hongrie, la Pologne et l’Allemagne. « On réfléchit souvent à la Hongrie par rapport à sa proximité idéologique – supposée ou réelle – avec le pouvoir russe. Or la Slovaquie renâcle autant que la Hongrie pour des raisons économiques et géographiques. Ce sont des pays enclavés, sans ports pétroliers : cela aurait un coût pour eux de changer de fournisseur », explique Nicolas Mazzuchi, chercheur à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) et expert en énergie et matières premières. Il existe d’après lui, au-delà de considérations géostratégiques, une véritable difficulté pour certains Etats-membres, à se passer totalement des importations de pétrole russe. D’abord, au niveau technique, les produits pétroliers raffinés semblent soulever de nombreux problèmes pour Nicolas Mazzuchi : « Avant la guerre, la Russie fournissait 25 % du pétrole brut européen, mais c’est aussi le 3ème fournisseur mondial de produits pétroliers raffinés. Trouver un autre fournisseur de pétrole brut, cela ne pose pas trop de problèmes, jusqu’à un certain point, mais avec du pétrole brut, on ne fait rien. Par contre, trouver d’autres fournisseurs de produits pétroliers raffinés, ça peut être beaucoup plus compliqué. »

Et ce pour une raison assez simple : « Le raffinage russe était tourné vers l’approvisionnement des pays européens et orienté sur le diesel. Un nouveau fournisseur devrait être capable de répondre aux normes européennes, en termes d’émissions de gaz à effet de serre notamment. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas de la Chine, et je ne sais pas si les Etats-Unis auraient la capacité d’augmenter suffisamment leur production. » Assez concrètement, le problème d’approvisionnement en diesel se poserait par exemple pour la France, même si Nicolas Mazzuchi précise que l’Agence Internationale de l’Energie pourrait autoriser les pays européens à prélever dans leurs réserves stratégiques représentant 90 jours de consommation. Maria-Eugenia Sanin, économiste spécialiste des questions énergétiques, maîtresse de conférences à l’Université Paris Saclay, explique ainsi que si certains pays, comme l’Allemagne, « se sont lancés dans une substitution très forte et très rapide du pétrole russe », c’est parce qu’ils en avaient la possibilité, et notamment en termes d’infrastructures. « D’autres pays, comme la Hongrie ou la Slovaquie, sont véritablement dans l’incapacité de substituer les produits pétroliers russes sans avoir des coupures dans leurs chaînes d’approvisionnement », ajoute-t-elle. Pour pallier ces difficultés, l’Union européenne pourrait exclure ces pays de l’embargo, « mais la Russie pourrait couper le pétrole à ces pays qui ne représentent pas forcément un énorme marché, comme il a coupé le gaz à la Bulgarie », rappelle Maria-Eugenia Sanin.

La sécurité énergétique : le « parent-pauvre » des politiques énergétiques européennes

Et même pour des pays moins structurellement dépendants des hydrocarbures russes, un embargo aurait un impact inévitable sur les prix, en réduisant l’offre. « Trouver des nouveaux fournisseurs ou des capacités de production supplémentaires, cela va se payer. », affirme Nicolas Mazzuchi, qui ajoute qu’en France, étant donné que « la part du prix du pétrole brut, voire raffiné, est minoritaire », « on pourrait avoir un effet balancier sur les taxes pour limiter ce surcoût et ne pas casser la reprise économique post-covid, mais cela veut dire laisser filer la dette et donc à un moment ou à un autre, cela va avoir un coût financier. » D’autant plus que, « le pétrole étant une matière première utilisée pour le transport et l’industrie », un embargo « serait très inflationniste et tous les prix seraient impactés », rappelle Maria-Eugenia Sanin. Finalement, « on peut essayer de se passer du pétrole russe et de le substituer dans les meilleures conditions possibles, mais si on se passe d’un marché avec lequel on avait construit toutes les infrastructures, cela ne se fait pas sans coût. » Pour Nicolas Mazzuchi, l’Europe paye le prix « d’un paradoxe » datant de plusieurs décennies, qui lui « explose au visage aujourd’hui » : « On a voulu continuer à avoir une structure de consommation énergétique qui est toujours la même, et en même temps on met en place les réglementations environnementales les plus dures de la planète. Cela produit une externalisation de la pollution, avec une diminution des capacités de raffinage sur le territoire de l’UE, ce qui avait été une véritable aubaine pour la Russie. »

D’après lui, la sécurité énergétique « a toujours été le parent pauvre » des politiques énergétiques européennes, et les Etat-membres, comme l’UE, « n’ont jamais pris le sujet à bras-le-corps. » Si la crise actuelle pourrait être l’occasion de créer des politiques communautaires à ce niveau, Maria-Eugenia Sanin estime que, pour le moment, l’Europe joue plus la montre qu’autre chose : « On est toujours dans la course entre deux blocs et à celui qui arrivera à réduire sa dépendance à l’autre en premier. On pourrait parler de solidarité européenne et de distribuer le coût de l’embargo entre les pays européens, mais pour le moment ce genre d’annonce est plutôt dans une logique de ‘stress test’de l’économie européenne à un arrêt des importations d’hydrocarbures russes. » L’Europe tâtonne donc en essayant de trouver des solutions alternatives aux hydrocarbures russes, quand la Russie essaie de trouver d’autres sources de financement. Le premier qui réussira pourra couper le robinet, soit énergétique, soit financier, et fera payer à l’autre les coûts de cette interdépendance énergétique entre l’Europe et la Russie construite depuis des décennies.

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