[Série] Emmanuel Macron est-il vraiment un réformateur ?

[Série] Emmanuel Macron est-il vraiment un réformateur ?

(2/5) Avant 2022, publicsenat.fr fait le bilan du quinquennat Macron. Deuxième épisode de notre série avec les réformes. Emmanuel Macron en est-il le chantre ? A-t-il transformé le pays comme la promesse de 2017 l’annonçait ? Et faut-il continuer les réformes jusqu’au bout pour faire vivre cet « ADN » constitutif du macronisme ? Eléments de réponses.
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« Esprit de conquête ». « Transformation ». La promesse du Macron de 2017 a-t-elle été au rendez-vous ? A l’aune de la fin du quinquennat, la question se pose, tant les macronistes ont fait de la réforme un marqueur de l’action de l’exécutif. C’est le message régulièrement distillé depuis 2017 par ses troupes, par ses ministres. Un mantra qui façonne l’action d’Emmanuel Macron. Ce jeune président, qui se présentait comme « et de droite, et de gauche », comptait remettre en cause les conservatismes français. Une troisième voie qui allait bousculer le système, sur fond de « start-up nation » et de « bottum up ». L’ancien monde pouvait se rhabiller, place au nouveau.

« 80 % des engagements du Président ont été tenus »

Mais que retenir de son action et de la série de textes adoptés (lire notre article sur les principales lois du quinquennat). Quand on pose la question à François Patriat, président du groupe RDPI (LREM) du Sénat, ça ne fait pas doute. Pour ce fidèle macroniste de la première heure, Emmanuel Macron a fait beaucoup plus que ses prédécesseurs pour transformer le pays. « Beaucoup de réformes ont été mises en œuvre. La réforme du Code du travail, de la SNCF, sur la formation professionnelle, la réforme fiscale, la suppression de la taxe d’habitation, la baisse de l’impôt sur les sociétés. Il y a eu tellement de lois votées », dit le sénateur LREM de la Côte-d’Or, selon qui « 80 % des engagements du Président ont été tenus ».

Mais ne manque-t-il pas une ou deux grandes réformes emblématiques, que les Français retiendront ? « Je préfère les réformes abouties et utiles à des grandes lois qui ne changent rien », rétorque François Patriat. Patrick Mignola, président du groupe Modem à l’Assemblée, ajoute au bilan « le dédoublement des classes en éducation prioritaire, le Ségur de la Santé. Et depuis le début du quinquennat, les Français ont gagné un treizième mois avec toutes les mesures fiscales ».

« Ceux qui n’ont pas fait de réformes avant trouvent qu’il n’en a pas fait assez »

Pour certains, il en aurait trop fait. Pour d’autres, pas suffisamment. « Dans le quinquennat, il y a eu des bonnes idées. Mais pas d’aboutissement », tranche un sénateur centriste, qui interroge les choix de l’exécutif : « Est-ce qu’une réforme de la Constitution sur l’article 1 est de nature à enthousiasmer les foules ? A part les lascars de la convention citoyenne, ça ne fait rêver personne. Les gens attendent des choses sur l’économie et le social ». « On a gavé à peu près toutes les catégories » avec les aides covid, continue le même sénateur. « Le problème, c’est comment ça va se passer pour l’avenir. Il y a un moment où il faudra bien parler remboursement ».

Des critiques qui énervent François Patriat. « Ceux qui n’ont pas fait de réformes avant trouvent qu’il n’en a pas fait assez. Ceux qui n’avaient même pas réussi à régler le problème de Notre-Dame-des-Landes et de Fessenheim donnent aujourd’hui des leçons de réformes. Mais les réformes en matière économique ont porté leur fruit », assure-t-il. Du moins jusqu’à l’arrivée des crises qu’a dû affronter Emmanuel Macron.

« Macron tombe sur Benalla. Ça bloque toutes ses réformes, il est empêtré. Puis il tombe sur les Gilets jaunes »

Le rythme des réformes s’est trouvé freiné en deux temps : d’abord, le 1er mai 2018, place de la Contrescarpe, à Paris. Puis autour de dizaines de ronds-points, partout en France. « Emmanuel Macron tombe sur Benalla. Ça bloque toutes ses réformes, il est empêtré. Puis il tombe sur les Gilets jaunes », résume un observateur du quinquennat. Rebelote. C’est la hausse de la taxe carbone qui en fait les frais. Porte de sortie, « avec le grand débat après, on dit que la parole du peuple est sacrée. Puis arrivent les européennes et on oublie le grand débat », continue le même.

« Il faut penser que sur ces cinq ans, le Président a fait face à une opposition dans la rue et ailleurs qui n’était pas mince », souligne de son côté François Patriat, qui remarque que « le Sénat a empêché la réforme constitutionnelle. Puis le covid a empêché la réforme des retraites ». Mais il ajoute :

Sa capacité réformatrice, il l’a démontrée. Sa volonté est intacte. Et qui peut faire des réformes en dehors de lui ?

Réforme des retraites : stop ou encore ?

Quid justement de la réforme des retraites, emportée par l’épidémie de covid-19 ? C’est la question que se posent les stratèges de la majorité présidentielle depuis des mois. Faut-il éviter de revenir sur ce sujet inflammable, en pleine campagne présidentielle, ou montrer qu’Emmanuel Macron réforme jusqu’au bout ? En Marche doit avancer, sinon le mouvement tombe, plaident certains.

Après des semaines de tergiversation, Emmanuel Macron choisit finalement… de ne pas trancher. « Parce que nous vivons plus longtemps, il nous faudra travailler plus longtemps et partir à la retraite plus tard », affirme le Président le 12 juillet, demandant « au gouvernement de Jean Castex de travailler avec les partenaires sociaux dès la rentrée », avant d’ajouter : « Mais je ne lancerai pas cette réforme tant que l’épidémie ne sera pas sous contrôle et la reprise bien assurée ».

Manière de satisfaire sur le fond ceux qui appellent des mesures, tout comme ceux qui conseillent d’attendre. Reste que dans ces conditions, on imagine mal une réforme avant la présidentielle. Un ministre, commentant deux jours après les propos présidentiels, retient « la deuxième partie de la phrase. Il conditionne la réforme à la croissance. Et elle ne repartira pas en un mois… » « Le covid a bien perturbé les choses », confirme un autre secrétaire d’Etat, qui pense que « ce sera une mesure reportée pour un second quinquennat ».

« Sur le plan politique, faire les retraites, c’est au-delà du risqué »

Le sujet divise la majorité présidentielle et jusqu’au gouvernement. Sous couvert d’anonymat, un ministre exprime ses doutes. « Je suis sûr qu’il faut le faire, mais la priorité, c’est la relance. On ne va pas garantir la reprise par des manifestations », confie à publicsenat.fr un membre du gouvernement, qui ajoute :

Je ne suis pas convaincu que relancer la réforme des retraites en septembre soit la meilleure chose à faire. (un ministre)

Même sentiment du côté des parlementaires. « La réforme des retraites n’est pas abandonnée du tout », prévient François Patriat, mais « elle sera menée lors du prochain quinquennat. Il est hors de question de les mener maintenant », exhorte le président du groupe RDPI du Sénat. « Sur les retraites, il faut poursuivre la discussion », soutient François Patriat, qui « ne pense pas qu’il y aura un texte de loi avant la fin du quinquennat. Mais on peut avoir des travaux préparatoires pour le prochain ». Un député LREM, plutôt frondeur, prévient de son côté : « Il ne faut pas de réforme paramétrique. Si ça passe par un amendement au budget de la Sécu, ce sera pour beaucoup un casus belli. On sera très nombreux à ne pas suivre. Je ne suis pas là pour faire la réforme de Fillon ! »

Il existe un argument de taille supplémentaire pour ceux qui veulent attendre. Emmanuel Macron avait écrit noir sur blanc dans son programme de 2017 : « Nous ne toucherons pas à l’âge de départ à la retraite »… Une secrétaire d’Etat, favorable à la réforme, sait bien aussi que le covid-19 complique tout : « On ne va pas foutre les retraites s’il y a à nouveau 5.000 personnes en réa. Ce n’est pas la volonté qui manque, c’est l’espace politique ». Un autre membre du gouvernement ajoute : « Sur le plan politique, faire les retraites, c’est au-delà du risqué ».

« Ne rien faire serait envoyer un signal désastreux. On a été élus sur la promesse de transformation de la société »

A l’inverse, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, pousse sans se cacher pour un recul de l’âge de départ de 62 à 64 ans. Patrick Mignola le suit et défend dès maintenant « une mesure sur la durée de cotisation ». « Ne rien faire serait envoyer un signal désastreux. On a été élus sur la promesse de transformation de la société », met en garde une députée LREM, l’une des figures du groupe à l’Assemblée. Et d’ajouter :

On a été élus pour lever les blocages. C’est dans notre ADN. Les Français ont élu un Président jeune qui assume la transformation durable de la société. C’est très identitaire. C’est un risque qu’il faut prendre. C’est un marqueur. Si vous le faites, vous cochez cette case.

S’attaquer aux retraites aurait par ailleurs un double avantage : enlever à la droite un angle d’attaque pour la présidentielle tout en parlant à l’électorat de droite que vise aujourd’hui Emmanuel Macron.

Pour Aurélien Taché, « il y a véritablement tromperie sur la marchandise »

Quand il s’agit de faire le bilan du chef de l’Etat, l’un des plus véhéments dans ses critiques n’est autre que l’un de ses anciens soutiens. C’est le député Aurélien Taché. Il connaît bien la politique d’Emmanuel Macron pour avoir été élu député LREM du Val-d’Oise en 2017. Membre de l’aile gauche de la majorité, il a petit à petit été déçu. Au point de quitter LREM et de revenir aujourd’hui à ses premières amours en se rapprochant, justement, de la gauche.

« Je pense qu’il y a véritablement tromperie sur la marchandise, à plus d’un titre », tranche Aurélien Taché. « On avait sur les questions sociétales un candidat qui se revendiquait progressiste. On attendait qu’il fasse adopter le droit à mourir, la PMA. Des sujets soit abandonnés, ou qui ont été laborieux comme la PMA », dit-il. Il continue sa diatribe : « Sur la question de l’accueil des réfugiés, des libertés publiques, il fait l’exact contraire de sa campagne ».

« En fait, c’est une nouvelle droite, très conservatrice »

Autre chapitre, « sur la question sociale, Emmanuel Macron s’est présenté un peu comme l’étendard d’une nouvelle gauche, du progressisme. Mais en fait, c’est une nouvelle droite, très conservatrice. Sur l’assurance chômage, il devait ouvrir de nouveaux droits aux démissionnaires et aux travailleurs indépendants, or c’est vraiment réduit à peau de chagrin. En réalité, il vient réduire le droit des chômeurs. Au final, vous réformez pour faire des économies sur le dos des gens. C’est vraiment de l’escroquerie de bout en bout » lance le député, aujourd’hui co-président des Nouveaux démocrates.

Pour Aurélien Taché, qui ne ménage pas le Président, « il faut qu’ils arrêtent avec leur totem réformiste », « réformer pour réformer, ça ne veut rien dire. C’est pour ça que le macronisme ne veut pas dire grand-chose ». Ainsi, conclut le député, « d’une forme de libéralisme plutôt de gauche, plutôt sociale, Emmanuel Macron a très vite dévié pour faire la politique d’Edouard Philippe, d’Alain Juppé, une politique d’économies budgétaires, de réduction de la dette, qui n’apporte pas de droits ».

Finalement, un président qui réforme selon une politique de droite classique, Emmanuel Macron ? Les choses sont un peu plus nuancées que ça. Si une bonne partie de son électorat se situe maintenant à droite, une part de la gauche peut encore lui rester favorable. Les milliards dépensés, à coups de déficit, pour limiter la casse et assurer le chômage partiel pendant la crise, a montré un visage à la fois pragmatique et plus social. Le chef de l’Etat entend aussi parler à la jeunesse pour la fin de son quinquennat. Pour 2022, on peut parier qu’Emmanuel Macron misera à nouveau sur la transformation de la société. La réforme en somme.

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