[Série] Emmanuel Macron face aux limites de la recomposition de la vie politique

[Série] Emmanuel Macron face aux limites de la recomposition de la vie politique

(5/5) Avant 2022, publicsenat.fr fait le bilan du quinquennat Macron. Dynamiteur de la politique française, Emmanuel Macron s’est fait élire en 2017 en chassant à gauche comme à droite. Une recomposition aidée par un PS en déshérence et des LR tiraillés. En menant une politique finalement davantage marquée à droite, le Président, aidé par Edouard Philippe, a fait travailler « la poutre ». Mais elle résiste encore, et « l’ancien monde » n’a pas dit son dernier mot et compte bien prendre sa revanche.
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La fin d’un cycle. L’élection en 2017 d’Emmanuel Macron, élu plus jeune président de la Ve République à 39 ans, bouleverse la vie politique. Elle met alors un terme au système bipartisan droite/gauche, qui voyait l’un ou l’autre camp prendre le pouvoir. Inconnu du grand public quelque mois encore avant, il réussit le hold-up parfait, au nez de « l’ancien monde ».

En 2017, le fruit était mûr pour la recomposition

Le fruit était mûr. Le désenchantement des Français pour la politique, aidé par certains élus de gauche et de droite, qui sur l’économie ou l’Europe, tendaient à globalement penser la même chose, avec des nuances, a conduit à l’affaiblissement du clivage gauche/droite. Le Front national, à force de dénoncer ce que Marine Le Pen appelait « l’UMPS », y a aussi apporté sa contribution.

C’est dans ce contexte, après un quinquennat Sarkozy électrique et une présidence Hollande décevante pour une partie de la gauche, qu’Emmanuel Macron fait son apparition. Lui, l’ancien banquier de chez Rothschild, ex-secrétaire général adjoint de l’Elysée sous Hollande, se paie même le luxe de se présenter, en quelque sorte, comme un candidat antisystème. Un comble. Mais il récolte ce que d’autres ont semé avant lui, et convainc les électeurs que sa politique sera « et de droite, et de gauche ». Un pragmatisme pro business, teinté de « start up nation », et de « bottum up », avec non plus des militants, mais des « marcheurs » qui s’engagent en cliquant. Plus belle la vie. Le candidat cherche à incarner un modernisme – mot-valise où chacun peut se retrouver – et un progressisme, ouvert sur les questions sociétales, en prise avec la mondialisation, qui entend ne pas laisser la France regarder le train passer.

L’électorat d’Emmanuel Macron va glisser du centre gauche au centre droit et à la droite.

L’attraction du pouvoir est parfois plus forte que la fidélité à sa famille politique. L’élection d’Emmanuel Macron l’a montrée. Dès la campagne, certains sont les premiers à monter à bord. Ça paie. A gauche, les députés PS Richard Ferrand, Christophe Castaner, ou les sénateurs socialistes Gérard Collomb, François Patriat, ou encore Jacques Mézard (PRG) font le grand saut. Sans oublier, au centre droit, le président du Modem, François Bayrou, dont le soutien pendant la campagne a été essentiel.

Après avoir siphonné une bonne partie de l’électorat socialiste, bien aidé par le retrait de François Hollande et une candidature Hamon qui n’a pas percé, Emmanuel Macron s’attelle à la droite. Il faut dire que l’explosion en vol de François Fillon lui a donné un bon coup de pouce. Il ne lui reste plus qu’à récupérer les miettes. A peine élu, il nomme à Matignon un certain Edouard Philippe. Ce proche d’Alain Juppé n’est que la tête de pont d’une série d’élus de droite qui quittent le navire LR : Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu ou encore le sénateur Jean-Baptiste Lemoyne. Une nomination d’un premier ministre de droite qui va beaucoup déterminer la suite. L’électorat d’Emmanuel Macron va glisser du centre gauche au centre droit et à la droite.

Emmanuel Macron « travaille » la poutre, surtout à droite

Le 18 novembre 2017, Edouard Philippe va prononcer une phrase restée célèbre. Celui qui n’est pas adhérent LREM s’exprime devant le Conseil national de La République en Marche. Il va parler à son auditoire… de poutre. « Je suis convaincu que la recomposition politique à l’œuvre depuis l’élection du président de la République […] est bien loin d’être achevée. Les architectes et les menuisiers diraient que la poutre travaille encore. Et bien laissons-la travailler. C’est souvent le meilleur moyen de ne pas l’avoir dans l’œil », lance Edouard Philippe (à voir à 6’30 dans la vidéo).

Discours d'Edouard Philippe au Conseil LREM
26:34

Cette fameuse poutre, on l’aura compris, c’est surtout la droite. Affaiblie, mitée, fragilisée, elle tient encore. Mais les macronistes vont s’évertuer à lui donner quelques coups réguliers pour que l’édifice tombe. Bref, ils veulent finir le travail. Eté 2019. Le chef de l’Etat dîne dans le jardin de l’Elysée, entouré du premier ministre et de sa garde rapprochée. Il fixe la suite et la fin du quinquennat. « Ce n’est pas sur l’économie qu’on sera jugés, c’est sur le régalien. C’est ce que le Président a dit en juillet 2019, lors d’un dîner avec Edouard Philippe », nous résumait François Patriat, président du groupe RDPI (LREM). A la rentrée de septembre, Emmanuel Macron lance un débat sur l’immigration à l’Assemblée. En octobre, il donne un long entretien de 11 pages à l’hebdomadaire conservateur et proche de l’extrême droite, Valeurs Actuelles. Viendront ensuite le projet de loi sur le séparatisme et le texte sur la sécurité globale. La poutre, ça se travaille, en effet.

L’ancien monde fait de la résistance

Aux municipales, première alerte : la droite et la gauche résistent. On dira que c’est la prime aux sortants. Les régionales sont ensuite censées être un nouveau coup de boutoir contre la droite et LR. En PACA, le président LR sortant, Renaud Muselier, est la cible de l’opération. Suivent deux nouvelles prises de guerre, avec les maires de Nice, Christian Estrosi, et celui de Toulon, Hubert Falco, qui quittent les LR. La poutre a encore bougé.

Seulement voilà. Les régionales sont un échec cuisant pour la majorité présidentielle et la droite se sent revigorée. A l’image de ses présidents de région réélus – les Bertrand, Pécresse et Wauquiez – elle se sent pousser des ailes et imagine même reprendre le pouvoir. La gauche aussi se rassure en conservant ses régions et en gagnant trois (La Réunion, la Guyane et la Martinique). Retournement de situation. « En Marche s’était fixé comme objectif de prendre deux ou trois régions, et surtout d’être une force pivot. On n’a atteint ni l’un, ni l’autre », constate un député LREM, qui pense en réalité que le clivage droite/gauche a encore de beaux restes.

« Ce grand fourre-tout, ça crée de la confusion »

Ironie d’une recomposition qui n’est pas allée aussi loin qu’Emmanuel Macron le souhaiterait. « Les formations de l’ancien monde sont résilientes. Ça se révèle par les territoires, leur maillage. Il y a le poids des sortants, mais ce fait politique existe. Il y a une voie à droite et une voie à gauche », analyse ce député macroniste, « et en 2022, il y a un danger, les deux lignes viendront prendre Emmanuel Macron en étau »… Le même avait « cru à la recomposition en 2017, sur un grand bloc sur le modèle du parti démocrate américain. Une gauche moderne, réformatrice, européenne ». Mais il n’a « jamais cru que ce grand bloc allait jusqu’à Estrosi, Falco ou Muselier. Ce ne sont pas des progressistes. Ce sont des conservateurs. Ce grand fourre-tout, non, ça crée de la confusion ».

Corollaire de la recomposition, l’idée originelle de gouverner autrement semble aussi s’être fracassée sur l’exercice du pouvoir. En début du quinquennat, des majorités de projet apparaissent. La droite sénatoriale, qui se dit alors « constructive », vote ainsi la réforme du droit du travail. Mais rapidement, les oppositions reprennent leurs rôles habituels. Et le gouvernement sait passer en force quand il le faut. Il n’hésite pas à contourner les syndicats ou le Parlement en légiférant par ordonnance. Les corps intermédiaires, déjà mis à mal, sont encore davantage affaiblis. Risqué, dans une démocratie où les tensions sont exacerbées et les oppositions dans la rue. Les gilets jaunes sont aussi l’expression de cette démocratie qui paraît parfois malade.

« La gauche est en lambeaux, divisée comme pas permis, et la droite s’est divisée elle-même »

Alors, terminée la recomposition ? Le patron des sénateurs LREM, François Patriat, fidèle parmi les fidèles, a une tout autre analyse. « Aujourd’hui, les partis classiques ne rêvent que d’une chose, c’est de revenir à l’affrontement gauche/droite antérieur, qui aboutit à des alternances stériles. Emmanuel Macron a su trouver à droite, à gauche et au centre, des ministres et partenaires qui ont permis de conduire les réformes. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui, dans les élections locales, les sortants de droite comme de gauche retrouvent leurs sièges grâce à la prime aux sortants, que le clivage droite/gauche est refait ».

Pour François Patriat, « la gauche est en lambeaux, divisée comme pas permis, et créditée de 10 % à la présidentielle. Quand on voit ce que disent Huchon et Valls, qui ont soutenu Pécresse… Et la droite, ce n’est pas Macron qui l’a fragmentée. Il l’a peut-être aidée un peu, mais elle s’est divisée elle-même entre les LR, les centristes sociaux et ceux qui se rapprochent de l’extrême droite », rappelle le sénateur de la Côte-d’Or. Conclusion de François Patriat :

Le constat de 2017 est toujours d’actualité. Les Français n’ont pas envie de voter LR ou PS, sauf localement.

« On est un colosse aux pieds d’argile. Ça peut passer. Mais ça peut s’effondrer aussi »

Le président du groupe RDPI pense même que d’ici la présidentielle, « il y aura des ralliements à nouveau, au printemps prochain ». Mais certains dans la majorité s’interrogent sur « les limites » de la recomposition, qui serait atteinte, après les échecs successifs aux élections locales. « On est un colosse aux pieds d’argile. Ça peut passer. Mais ça peut s’effondrer aussi », prévient un député LREM. En saluant le « renouvellement profond de notre vie politique », en novembre 2017, Edouard Philippe avait ajouté : « Il y a fort à parier que nous n’aurons pas deux occasions comme celle que nous vivons ». Réponse en avril 2022.

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