Régionales en Occitanie : une campagne « le couteau entre les dents »

Régionales en Occitanie : une campagne « le couteau entre les dents »

Dans cette vaste région où 4,1 millions d’électeurs sont amenés à voter les 20 et 27 juin prochains, la lutte est sans merci entre l’équipe de la socialiste sortante Carole Delga et celle de Jean-Paul Garraud pour le RN. LR et LREM sont au coude-à-coude.
Public Sénat

Par Jonathan Dupriez

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« Je mène campagne le couteau entre les dents. » La formule n’est pas anodine dans la bouche d’une responsable politique de premier plan, mais résume l’ambiance de la campagne vue du clan Delga. Dans le quartier populaire de Gambetta, en plein cœur de Montpellier, la présidente de région sortante ne mâche pas ses mots à l’égard de l’extrême droite, son seul adversaire qui compte. Ironie de ce duel annoncé, Carole Delga et Jean-Paul Garraud ont des racines familiales issues du même village : Martres-Tolosane en Haute-Garonne.

 

Sécurité

Ce jour-là, accompagnée du jeune maire PS de Montpellier, Mickaël Delafosse, la candidate à sa réélection bat la campagne sur le thème de prédilection du RN : la sécurité. En politique aguerrie, l’ancienne Secrétaire d’État de François Hollande salue les policiers municipaux au garde-à-vous, distribue les « bonjours » et les sourires que l’on devine derrière son masque chirurgical. Carole Delga visite ensuite brièvement le commissariat mobile présenté à une poignée de médias invités pour l’occasion.

 

Marquer son territoire

L’idée de Carole Delga est de marquer son territoire sur ce thème de campagne sanctuarisé par son adversaire, Jean-Paul Garraud. « On va donner 30 % de subventions aux mairies pour se doter de ces camions mobiles » dit-elle à un commerçant du quartier venant lui dresser la liste des problèmes qu’il rencontre à Gambetta. Un quartier miné selon lui par le « racket » et les « agressions répétées. »

Pour autant, Carole Delga se défend de ne parler sécurité que par pur parasitage politique face au RN. « C’est un signal que j’envoie à la population, en leur démontrant, une fois de plus, que je m’occupe de tous les problèmes qui me remontent « justifie-t-elle.

 

Vainqueur dans tous les cas de figure

Avec sa liste d’union de la gauche, constituée de socialistes, communistes et d’écologistes n’ayant pas rallié EELV, la présidente sortante est créditée de 26 % d’intentions de vote au premier tour, derrière Jean-Paul Garraud, à 30 % selon le dernier sondage IFOP pour La Tribune et Europe1 publié le 1er juin. Mais au soir du second tour, Carole Delga est donnée vainqueur dans tous les cas de figure grâce aux voix de la liste EELV d’Antoine Maurice, et d’éventuels reports issus de la France insoumise.

Mais Carole Delga préfère rester concentrée sur la campagne et réfute le confort d’une éventuelle « prime au sortant ». « Une victoire n’est jamais acquise » confesse la candidate à sa réélection, avec le calme des vieilles troupes. « Je travaille et seul le travail paie ». Hors caméra, son entourage se montre plus inquiet de ce RN porté par une dynamique flatteuse sur l’arc méditerranéen. « Carole Delga a vraiment peur que le RN accède au pouvoir, c’est vraiment une possibilité », souffle un membre de son équipe de campagne. La route est encore longue avant le scrutin.

 

« Ce qui fait la force du RN, c’est que nous sommes populaires »

De son côté Jean-Paul Garraud semble marcher sur l’eau. Du moins, c’est l’image que l’homme entend montrer aux médias ce jour de juin, au Grau-du-Roi, une station balnéaire prisée des estivants près de Montpellier. Ce jour-là, celui que l’on présente comme possible garde des Sceaux de Marine Le Pen en cas de victoire en 2022 s’offre sereinement un café avec une vieille connaissance. Thierry Mariani, comme lui transfuge LR et fondateur du mouvement « la droite populaire », est venu lui apporter son soutien. » Pour la région, pour la France, on partage un certain nombre d’idées en commun, voilà pourquoi nous sommes ensemble aujourd’hui », explique Thierry Mariani, soucieux de vouloir mener « politique commune » sur cet arc méditerranéen où le RN a le vent en poupe en cas d’élection des deux frères d’armes.

Les deux hommes, l’un en Paca, l’autre en Occitanie, sont favoris dans les sondages. « C’est d’ailleurs ce qui fait la force du RN, c’est que nous sommes populaires », lance l’ancien magistrat Jean-Paul Garraud, entre deux lampées d’expresso au « bar des pêcheurs. »

 

Pêcheurs discrets sur le Narval

Les deux hommes embarquent à bord du « Narval » direction le large. L’image est belle sur une mer d’huile. Officiellement, la petite virée en mer doit permettre au candidat Garraud de parler pêche et éoliennes en mer. Mais la presse, hormis quelques médias triés sur le volet, est tenue à distance sur un Zodiac « pour raisons de sécurité » et ne verra que peu d’échanges avec des pêcheurs pour le moins discrets sur l’embarcation… Jean-Paul Garraud dit vouloir « les protéger » face aux « attaques » qu’ils subissent. Nous n’en saurons pas davantage sur son programme.

 

Faire sauter les digues avec LR

Une fois revenu à quai, le candidat s’emploie surtout à draguer l’électorat LR, le seul qui pourrait éventuellement basculer de son côté. D’autant que le contexte national du parti joue en leur faveur. Psychodrame en Paca avec Renaud Muselier, sorties du numéro 2 du parti Guillaume Peltier, ces dissensions à la une des médias n’ont cessé d’affaiblir la droite républicaine. « Est-ce que l’on a une tête de gens pas fréquentables ? » s’amuse Thierry Mariani, tout en adressant un message à Eric Ciotti, Nadine Morano ou Guillaume Peltier, les seuls encore « cohérents » chez les LR.

Pour gagner son match contre Carole Delga, Jean-Paul Garraud sait qu’il doit donc à tout prix récupérer les voix LR promises à Aurélien Pradié. Faute de quoi, il sera sous un plafond de verre au second tour des élections régionales, sans aucune réserve de voix. « Tout le monde sait que cette élection se jouera entre Carole Delga et moi », explique Jean-Paul Garraud en poupe du Narval. « Les autres candidats ne font que de la figuration. Certains étant là, comme le candidat des LR pour faire perdre. »

 

La difficile campagne d’Aurélien Pradié

Lorsqu’il débarque de sa voiture à la Villa Dria, vignoble des Côtes de Gascogne gersois qu’il s’apprête à visiter, Aurélien Pradié a les traits tirés. La campagne lui semble éprouvante. Aurélien Pradié doit composer chaque jour avec les attaques incessantes du RN qui espère, tranquillement mais sûrement, le déposséder d’une partie de ses voix sur sa droite. D’autant qu’un différend personnel entre Jean-Paul Garraud et lui - une altercation sur un plateau télévisé de France 3 Occitanie en mars 2021 - rajoute une tension palpable entre les deux candidats, dans cette course à la région. « Ils me détestent » reconnaît le député du Lot.

Il faut dire qu’Aurélien Pradié n’arrange pas les affaires du RN. « Troisième homme » crédité de 14 % dans les sondages, il peut tabler sur un électorat modéré à droite qui lui est acquis et ne compte en aucun cas ni fusionner sa liste, ni se retirer au second tour pour un éventuel barrage républicain au RN. « Le front républicain, c’est une blague » tranche-t-il.

 

Sobriété

Sur le terrain, Aurélien Pradié s’emploie donc à se démarquer de ceux qu’il exerce. Comprendre : mener une campagne plutôt sobre, sur le fond et sans effets de manches. Il prend des notes, s’appuie sur son expérience de maire, et de député du Lot pour parler viticulture avec les représentants de la profession rassemblés devant lui. Il « brainstorme » avec les viticulteurs sur la meilleure façon de préserver leurs appellations, constitutives de leurs identités face à l’appellation fourre-tout « Sud de France ».

« J’imagine que c’est la méthode de tous les candidats, de prendre du temps pour échanger, enfin j’espère » s’amuse-t-il. « Ce sont des sujets qui sont passionnants, il faut que l’on prenne du temps pour apprendre tout ce que je ne sais, sinon on n’est pas candidats, on vient, on fait une photo et puis on s’en va. Mais ça n’est pas notre manière de faire », explique-t-il. Puis décoche cette flèche : « Vous verrez la différence entre ceux qui font de la com', et ceux qui se passionnent pour le territoire, il y a aussi des touristes en politique ». Rires de l’assistance.

Le plus dur pour Aurélien Pradié est de réussir à se frayer un chemin politique dans une région qui n’en laisse pas beaucoup à la droite qu’il incarne. Sur son flanc droit, le RN, au centre, le candidat soutenu par En Marche, l’ex-LR Vincent Terrail-Novès. Des candidats « opportunistes » qui sont allés « à la soupe » selon lui.

 

Vincent Terrail-Novès, challenger de la droite

« Comment s’appelle le bébé du Cygne ? Un Cygneau (sic), un Signal (sic) ? ». Au beau milieu d’une réserve de cigognes blanches, personne ne saura vraiment répondre à Vincent Terrail-Novès. Ce candidat aussi « libre et indépendant » que les volatiles de la réserve ornithologique de Mazères n’est pas un grand connaisseur du monde animal. Qu’importe, c’est en challenger, « sans pression », qu’il vient ce jour-là parler ruralité dans l’Ariège.

A ce jour, il semble promis à une place au second tour, dans une quadrangulaire probable. Il est actuellement crédité de 13 % des intentions de vote au premier tour. « On est dans une bonne dynamique » se félicite-t-il.

 

LREM sans étiquette

Sans étiquette LREM affichée, il est soutenu par la majorité présidentielle, en manque de poids lourds dans la région. Le maire de Balma en Haute-Garonne, ex-LR, fils de l’ancien sélectionneur du XV de France Guy Novès, a donc été désigné porte-drapeau du parti présidentiel. Devant des représentants du monde agricole et des chasseurs ariégeois venus pour l’occasion, il tente de défendre son projet pour l’écologie et la ruralité, se démarquant nettement des écologistes. Lui, essaie par tous les moyens de les séduire : un représentant de la chasse lui fait remarquer qu’une « mouvance verte » qui « ressemble plus à du fascisme qu’à autre chose » est en train de miner les chasseurs. Vincent Terrail-Novès acquiesce. « Les chasseurs étaient les premiers écologistes », lance-t-il, séducteur.

 

Pas de service après-vente du gouvernement

Problème : il est assimilé par certains à un émissaire d’Emmanuel Macron sur le terrain de l’écologie notamment. « J’ai un dilemme », lui lance l’un des représentants locaux des chasseurs. « Si je vote pour vous, je conforte le Président de la République dans son action d‘aujourd’hui, basé sur le « ni-ni », sur le « et en même temps. » Vincent Terrail-Novès, se défend de devoir faire le service après-vente de la politique gouvernementale en la matière. « Non je ne fais pas le service après-vente, je suis libre et indépendant, je n’ai pas de parti politique, je n’appartiens à aucun mouvement, c’est ma liberté et mon indépendance qui me permettent de dire ce que je pense. »

Pour le second tour, Vincent Terrail-Novès nourrit une ambition principale : atteindre la barre symbolique des 10 %. « Tout simplement pour envoyer des élus, de mes équipes, qui sont soutenus par la majorité présidentielle, dans l’hémicycle régional. »

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