En Ukraine, la contre-offensive de Kiev « prive les Russes d’une voie essentielle d’approvisionnement »

En Ukraine, la contre-offensive de Kiev « prive les Russes d’une voie essentielle d’approvisionnement »

INTERVIEW - L’armée ukrainienne affirme avoir repoussé l’armée russe sur de nombreux fronts dans l’est et le sud du pays. Auprès de Public Sénat, la spécialiste de la Russie Galia Ackerman évoque cette percée surprise, qui a pris de court le Kremlin, et qui pourrait marquer un nouveau tournant dans le conflit.
Romain David

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L’Ukraine revendique une « avancée fulgurante » dans l’est du pays, face à l’armée russe. Kiev aurait repris en main quelque 3 000 km2 de territoire au cours des deux dernières semaines, principalement dans la région de Kharkiv (est) et à l’ouest de Kherson (sud). Ce lundi, au 200e jour du conflit, le président Volodymyr Zelensky a annoncé la reprise de la ville stratégique d’Izioum, à moins de 200 km de Donetsk, fief de l’un des deux territoires séparatistes pro-russes du Donbass. Dans le même temps, un nouveau rapport de l’armée ukrainienne fait état d’une vingtaine de localités libérées des troupes russes au cours des dernières 24 heures. Après des mois d’enlisement, le conflit est-il arrivé à son point de basculement ?

Interrogée par Public Sénat, Galia Ackerman, spécialiste de la Russie, rédactrice en chef du média en ligne Desk Russie et coauteur du Livre noir de Vladimir Poutine à paraître aux éditions Robert Laffont, se montre prudente tout en évoquant l’importance stratégique de cette percée militaire. Elle rappelle également que les victoires revendiquées par les Ukrainiens n’amputent les Russes que d’une infime partie des territoires passés sous leur contrôle depuis un peu plus de six mois.

En quoi cette contre-offensive est-elle significative pour le camp ukrainien ? Peut-on parler d’un moment de bascule dans le déroulement du conflit après des semaines d’enlisement ?

« Il y a eu des combats acharnés pour le contrôle de la ville d’Izioum. Il s’agissait, au début de la guerre, de l’un des objectifs stratégiques des Russes, parce que c’est un énorme nœud ferroviaire. L’envoi d’armes et de militaires depuis la Fédération de Russie passait aussi par le contrôle de cette ville, d’où l’importance accordée par l’Ukraine à cette percée qui prive les Russes d’une voie essentielle d’approvisionnement.

Toutefois, il reste encore des dizaines de milliers de km2 aux mains des troupes russes. Si l’offensive ukrainienne continue, d’ici quelques jours ils auront récupéré 8 000 km2, mais ce sera toujours moins d’un quart des territoires occupés par la Russie. Les Ukrainiens ont gagné une bataille importante. Quant à savoir s’il s’agit d'un tournant dans cette guerre, cela dépendra aussi de la réponse de Moscou qui continue d’avoir une puissance de feu bien supérieure à celle de Kiev.

Comment expliquer cette reprise en main par les forces ukrainiennes ? S’agit-il d’un effet du soutien militaire occidental ?

Effectivement, les livraisons d’armes occidentales ont joué un rôle très important, surtout les missiles américains de longue portée HIMARS. Mais c’est aussi la ténacité et le moral de l’armée ukrainienne qui ont joué. Il y a eu une forme de stratagème puisque les Ukrainiens parlaient depuis des semaines d’une contre-attaque dans le sud, à Kherson. Ils n’ont jamais mentionné l’est et le nord. Les Russes ont donc essentiellement concentré leurs troupes à Kherson, ce qui a affaibli le front au nord. Or, c’est là que les Ukrainiens ont frappé. Ils ont trompé l’adversaire, ce qui rappelle un peu ce qu'il s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale avec le Débarquement en Normandie. De la même manière, Kiev a joué de l’effet de surprise.

Et comment expliquer l’enlisement de Moscou ? Un premier recul avait suivi l’invasion de l’Ukraine fin février. On se souvient de la colonne de blindés paralysés aux portes de Kiev. Beaucoup d’experts estimaient alors qu’au bout de quelques semaines l’armée russe serait de nouveau en capacité de se remettre en marche et de consolider son avancée. À présent, on a plutôt le sentiment d’un délitement.

La corruption endémique en Russie concerne aussi l’armée et impacte la logistique. Il y a probablement eu des ventes de matériel militaire sans autorisation, on a volé des pièces détachées, détourné du fuel… Et puis il y a les conséquences des sanctions occidentales. On a rapporté que l’on a trouvé, sur des chars russes abandonnés, des composants électroniques issus de lave-linge ou de lave-vaisselle. Les Russes ne peuvent plus acheter les composants dont ils ont besoin, et au train où vont les choses, les stocks s’épuisent rapidement.

Par ailleurs, les troupes russes ne sont pas particulièrement motivées malgré les discours que tiennent Poutine et les émissions de propagande. Beaucoup commencent à se demander ce qu’ils font en Ukraine. Le Kremlin ne veut pas lancer de mobilisation générale pour éviter que le soutien à la guerre dans l’opinion russe ne s’effrite. C’est une chose de soutenir une ‘opération spéciale’ quand votre famille n’est pas impactée, c’en est une autre quand votre fils est envoyé de force à la tuerie.

Aujourd’hui, quels sont les principaux points forts de la Russie sur le territoire ukrainien ? On songe notamment la centrale nucléaire de Zaporijia, la plus importante du continent européen, cernée par les Russes depuis le début du conflit et devenue un moyen de pression pour Vladimir Poutine qui agite régulièrement le risque d’accident nucléaire.

Vladimir Poutine ne peut pas accepter la défaite, il est prisonnier d’une fuite en avant, un peu à la manière d’Hitler qui a été persuadé jusqu’au bout qu’un retournement de situation lui sauverait la mise. Pour Vladimir Poutine, la défaite militaire signerait probablement la fin de son régime. Il va sans doute se cramponner au peu d’armements ultra-modernes dont il dispose.

Concernant Zaporijia, si les troupes russes sont contraintes d’ordonner une retraite, que feront les militaires sur place ? Vont-ils tenter de provoquer une apocalypse ou quitteront-ils simplement le complexe, la queue entre les pattes ? C’est ce qu'on a vu à Tchernobyl : ils ont coupé la centrale du réseau, creusé des fortifications, occupé le site une dizaine de jours avant de devoir quitter les lieux. Ce scénario reste le plus probable à Zaporijia.

>> Lire notre article - Centrale de Zaporijia : le rapport de l’AIEA est « rassurant », selon une experte en sûreté nucléaire

Emmanuel Macron et Vladimir Poutine se sont entretenus par téléphone dimanche, notamment pour évoquer cette centrale. La France a beaucoup défendu au cours de ce conflit la nécessité de maintenir le dialogue avec le Kremlin, quitte à s’attirer les critiques des Ukrainiens. Cela a-t-il encore une utilité quand on voit l’absence de véritables avancées sur le plan diplomatique ?

Je n’ai pas de bonne réponse à cette question. Le B.A.-BA de la diplomatie consiste à toujours parler avec l’adversaire. Mais Vladimir Poutine est entré dans une spirale qui l’empêche d’entendre les arguments des Occidentaux. Par ailleurs, Volodymyr Zelensky est en train de prendre de plus en plus d’envergure. Lundi, il a publié sur Facebook un long texte aux accents bibliques. Il y est question de la rupture entre les Ukrainiens et les Russes. ‘Pour nous le froid, la faim, l’obscurité et la soif ne sont pas aussi terribles et mortels que votre amitié’, écrit-il. En clair : pour les Ukrainiens, après les crimes de guerre et la destruction du pays, il ne peut plus y avoir de dialogue avec les Russes. J’espère qu’Emmanuel Macron en tiendra compte. »

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