Environnement dans la Constitution : « Juridiquement inutile » pour les constitutionnalistes

Environnement dans la Constitution : « Juridiquement inutile » pour les constitutionnalistes

Faut-il réviser l’article 1 de la Constitution pour y garantir la préservation de la biodiversité, de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique ? C’est l’objet du projet de loi de révision constitutionnelle soumis au Parlement. Mais pour trois constitutionnalistes auditionnés au Sénat ce mercredi, l’apport de ce projet de loi pour la préservation de l’environnement est plus que limité.
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Après l’adoption par les députés du projet de loi relatif à la préservation de l’environnement, au tour du Sénat de se pencher sur ce texte. C’est l’une des propositions emblématiques formulées par la Convention citoyenne pour le climat : introduire à l’article 1 que « la République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique ».

Si la Haute assemblée était déjà très critique sur le bien-fondé de cette révision, ce ne sont pas les auditions de Bertrand Mathieu, professeur à l’École de droit de la Sorbonne-Université Paris, Dominique Rousseau, professeur émérite de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Jessica Makowiak, professeuer des universités, Université de Limoges, directrice du Centre de recherches interdisciplinaires en droit de l’environnement, de l’aménagement et de l’urbanisme (CRIDEAU), qui va la faire changer d’avis.

En effet président du Sénat, Gérard Larcher déjà a fait savoir qu’il privilégiait le verbe « agir » pour la préservation de l’environnement, plutôt que « garantir » qui fait craindre une obligation de résultat.

Pour mémoire, Emmanuel Macron avait promis un référendum sur cette question. Mais auparavant le texte doit d’abord être adopté par les deux chambres en termes identiques. L’issue de cette révision constitutionnelle est donc dans les mains du Sénat. « Il (Emmanuel Macron) « met dans les pattes du Sénat le fait de : soit accepter la formulation de la Convention citoyenne pour le climat et c’est une victoire pour lui. Soit le Sénat refuse la formulation et il pourra se décharger sur le Sénat en disant : vous voyez, j’ai fait ce que j’ai pu », avait résumé en début de semaine, David Cormand, eurodéputé écologiste, parlant de « coup politique » du chef de l’Etat.

D’un point de vue strictement juridique, et c’était l’objet des auditions de ce matin, cette révision constitutionnelle est-elle souhaitable ? « Garantir, agir, favoriser… quel que soit le verbe utilisé, l’inscription à l’article premier de la protection de l’environnement et de la lutte contre le réchauffement climatique, est juridiquement inutile […] Pourquoi inutile ? Parce que la préservation de la biodiversité, la préservation de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique ont déjà valeur constitutionnelle, donc supérieure à la loi, donc qui oblige le législateur, le gouvernement et les autorités publiques », a tranché Dominique Rousseau qui fait bien entendu référence à la Charte de l’environnement inscrite au bloc de constitutionnalité (principes à valeur constitutionnelle) depuis 2005.

Et comme le rappelle Dominique Rousseau, le Conseil constitutionnel a « déjà utilisé cette charte de l’Environnement », notamment dans trois décisions récentes : le 31 janvier 2020, le 10 décembre 2020 et le 19 mars 2021. « La jurisprudence du Conseil constitutionnel me semble avoir évolué plutôt dans un sens favorable à la protection de l’environnement […] Mais ce n’est pas parce que l’interprétation du juge évolue que ses décisions vont toujours dans le sens de l’environnement », relève Jessica Makowiak. Une référence la décision du 10 décembre dernier dans laquelle le juge constitutionnel a jugé conforme à la Constitution, la loi portant sur la réintroduction provisoire des néonicotinoïdes tout en en affirmant « que le législateur ne saurait priver de garantie légale le droit à l’environnement consacré à l’article 1 de la Charte ».

« Cette une quasi-obligation de résultat me semble non seulement dangereuse mais en plus totalement irréaliste »

« Le Conseil constitutionnel a une jurisprudence extrêmement classique. On ne peut pas considérer qu’un droit n’est jamais remis en cause. C’est une question d’équilibre entre les droits […] On n’a pas de principe de non-régression […] mais un plancher en dessous duquel on ne peut pas descendre », explique Bertrand Mathieu pour qui la « question fondamentale » est : la révision de la Constitution va-t-elle rompre avec le principe inscrit à l’article 6 de la Charte de l’environnement, selon lequel les politiques publiques doivent concilier « la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social » ?

Bertrand Mathieu garde en tête la récente déclaration du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, pour qui cette révision constitutionnelle instaure « un principe d’action des pouvoirs publics nationaux comme locaux, en faveur de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique », avec « une quasi-obligation de résultat ».

« Cette une quasi-obligation de résultat me semble non seulement dangereuse mais en plus totalement irréaliste. Je ne vois pas comment seul, le législateur ou le gouvernement vont pouvoir maintenir la biodiversité », répond le constitutionnaliste qui préférait la formulation « participe à la garantie de » la biodiversité et de la lutte contre le réchauffement climatique.

« On va générer par là un contentieux considérable »

« Ce dont je suis absolument certain c’est qu’on va générer par là un contentieux considérable. La création d’un rond-point ou l’artificialisation des terres pourront faire l’objet d’un contentieux car il n’y aura pas véritablement une garantie de la biodiversité » relève-t-il en pointant « un manque de cohérence entre cette formule qui serait accolée à l’article 1 de la Constitution et l’article 6 de la charte.

« Un effet symbolique »

Pour Jessica Makowiak, la révision constitutionnelle aurait « un effet symbolique ». « On pourrait se dire que la France pourrait faire figure de modèle car il y a très peu de Constitutions dans le monde qui mentionnent explicitement la question du dérèglement climatique », souligne-t-elle.

Au sujet de la formulation de la révision constitutionnelle, « le verbe garantir n’institue pas une obligation de résultat à la charge des pouvoirs publics […] C’est plutôt : tout mettre en œuvre. C’est de l’ordre de l’obligation de moyens plutôt que de l’obligation de résultat. L’objet est tellement large qu’on est loin d’une obligation de résultat […] donc, le terme garantir ne doit pas effrayer », estime la juriste.

A la sortie de l’audition, le président LR de la commission des lois, François-Noël Buffet a noté une « convergence » dans les analyses. « Il me semble que les trois se questionnent sur l’utilité de la réforme elle-même ». Le sénateur laisse toutefois la porte ouverte à la révision constitutionnelle. « Si nous trouvons une formulation plus cohérente et beaucoup plus solide, nous la proposerons. Si nous n’en trouvons pas parce que nous pensons que les choses sont satisfaites (par la Charte de l’environnement), à ce moment-là nous prendrons une autre position » explique-t-il sous-entendant que le Sénat pourrait rejeter le projet de loi.

La révision constitutionnelle sera examinée en séance publique le 10 mai.

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