Épisiotomie : retour sur l’audition polémique de M. Schiappa

Épisiotomie : retour sur l’audition polémique de M. Schiappa

La semaine dernière, lors de son audition par la Délégation des femmes au Sénat, Marlène Schiappa a affirmé que 75% des Françaises subissaient une épisiotomie au cours de leur accouchement. Un chiffre largement surévalué si on s’en tient aux données officielles.
Public Sénat

Par Alice Bardo (images : Mounir Soussi)

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

« Sur le moment, le chiffre m’a semblé un peu élevé, je me suis dit qu’elle parlait peut-être d’une zone géographique particulière ou d’un CHU particulier », confie Corinne Bouchoux, sénatrice membre de la Délégation aux droits des femmes. Lors de son audition au Sénat, jeudi dernier, la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les hommes et les femmes avait assuré que le taux d’épisiotomie en France était de 75%.

« Sur le moment, le chiffre m’a semblé un peu élevé, je me suis dit qu’elle parlait peut-être d’une zone géographique particulière ou d’un CHU particulier », confie Corinne Bouchoux
00:18

« Madame, vos chiffres sont faux »

Destiné à agrandir l’orifice vulvaire lors de l’accouchement, l’épisiotomie est un acte chirurgical qui consiste à inciser le périnée « lorsque  l’enfant est très gros ou la vulve plutôt étroite, donc pour éviter une déchirure » explique Jacques Lansac, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). D’après la dernière enquête périnatale de l’Inserm, 27% des femmes en auraient subi une en 2010. On est donc bien loin du chiffre avancé par Marlène Schiappa, ce que n’a pas manqué de souligner l’actuel président du CNGOF dès lundi : « Madame, vos chiffres sont faux », a-t-il écrit dans une lettre ouverte.

En réponse, la secrétaire d’État avait précisé que le chiffre de 75% était issu d’une étude menée « sur 983 mères en 2013 » par l’association maman Travaille, dont elle est la fondatrice. Elle en a également profité pour annoncer qu’elle avait demandé au Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes un « rapport permettant un état des lieux pour objectiver le phénomène, le quantifier et identifier les problématiques ».

« Parfois il vaut mieux communiquer moins et avoir des chiffres solides, plutôt que de prendre le risque de se fâcher avec le corps de gynécologues, dont on manque  en France », estime la sénatrice Corinne Bouchoux.

Jacques Lansac, ancien président du CNGOF et gynécologue à la retraite, est en effet « en colère » : « Se faire traiter de voyous à longueur de temps c’est épuisant (…) Notre métier est déjà difficile, on ne trouve personne pour le faire. »

« Pour la première fois, la question est soulevée au niveau politique »

Au-delà du chiffre erroné, il regrette que la pratique de l’épisiotomie  soit dénigrée. Marlène Schiappa parle de « violences obstétricales », lui assure que cette incision est préférable à une déchirure. Si elle reconnaît que le chiffre de 75% est « largement surévalué », Pascale Gendreau, de l’association Doulas de France destinée à « soutenir et accompagner la future mère », se range du côté de l’avis de la ministre et se réjouit que « pour la première fois, la question soit soulevée au niveau politique ».

De son avis, « on se remet beaucoup mieux d’une déchirure que d’une épisiotomie ». En l’état actuel des recherches scientifiques, les bénéfices de l’épisiotomie pour réduire les troubles du périnée, les incontinences ou encore de graves déchirures, n’ont pas été démontrés. De quoi encourager le CNGOF à adopter, en 2005, des recommandations encourageant une pratique « restrictive » de l’épisiotomie, avec pour objectif de descendre sous le seuil de 30%. Un taux largement en baisse depuis la fin des années 90, lorsqu’il était encore de 71% pour les primipares (femmes pour qui il s‘agit de leur premier accouchement). Pour ces dernières, ce taux est désormais de 44%.

« Moi le chiffre qui m’a fait réagir, ce n’est pas tant les 75%, mais plutôt les plus de 40% pour les primipares: ça paraît énorme », alerte Pascale Gendreau.

De son côté, l’ancien président de la CNGOF certifie que ce sont des « raisons techniques » qui incitent les obstétriciens à pratiquer une épisiotomie. Il appelle à « faire confiance » à des « gens bien formés » et tient à rappeler qu’ils sont « là pour aider les mamans ».

Polémique autour du consentement

« Ce qui est important, c’est qu’avant l’accouchement on explique aux femmes ce qu’est l’épisiotomie », estime pour sa part la sénatrice Corinne Bouchoux, qui n’entend pas se placer sur le terrain des  violences obstétricales. Une prévention qui manque, et un consentement qui fait débat.  « On lui en parle à la maman. On lui dit qu’on est obligé de lui faire une épisiotomie. Mais à 3h du mat’, en plein accouchement, c’est difficile de donner son point de vue », explique Jacques Lansac, qui ne fait donc pas du consentement de la mère un impératif lorsque l’urgence le commande. D’après les statistiques publiés en 2013 par le Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane), l’autorisation de pratiquer une épisiotomie ne serait demandée aux femmes que dans 15% des cas ».

Un comportement que Pascale Gendreau juge « illégal », la loi Kouchner de 2002 disposant qu’ « aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne ».

« Bad buzz autour d’un chiffre erroné »

« C’est un sujet trop important pour qu’il donne lieu à des polémiques », tempère Corinne Bouchoux : « Peut-être aurait-on pu éviter ce bad buzz autour d’un chiffre erroné et parler de prévention, de meilleur accompagnement et de préparation à l’accouchement. » La sénatrice refuse d’être dans la « défiance vis-à-vis des médecins », tout comme elle ne veut pas faire de « mauvais procès » à Marlène Schiappa, « « élue locale reconnue, bloggeuse reconnue et ministre qui a à cœur le droit des femmes ». Pout autant, elle regrette les quelques « loupés » de la secrétaire d’État, à commencer par la polémique autour de la réduction du budget du secrétariat aux droits des femmes.  Lors de son audition devant les sénateurs, Marlène Schiappa avait démenti le chiffre de 25% de baisse de son budget et certifier que les subventions aux associations luttant contre les violences faites aux femmes resteraient inchangées. Finalement, le chiffre de 25% a été confirmé et une telle baisse risquerait d’impacter les subventions aux associations au-delà de la réduction des dépenses de fonctionnement : « Ça va être difficile de n’attaquer que l’interne », confirme Corinne Bouchoux, qui « espère, que pour la suite, elle apprendra de ces deux mésaventures ».

Corinne Bouchoux regrette une "erreur de jeunesse"
00:48

Dans la même thématique

French PM gathers the government for a seminar on work
10min

Politique

Réforme de l’assurance chômage : « Depuis 2017, les partenaires sociaux se sont fait balader et avec Gabriel Attal, ça sera la même chose »

La nouvelle réforme de l’assurance chômage que prépare le gouvernement passe mal chez les sénateurs. « On a dévoyé la gouvernance de l’assurance chômage », dénonce la sénatrice LR Frédérique Puissat, qui défend le rôle des syndicats et du patronat. « Attaché » aussi au paritarisme, le centriste Olivier Henno, « comprend » en revanche l’idée de réduire la durée des indemnisations. Quant à la socialiste Monique Lubin, elle se dit « atterrée » que le gouvernement relaye « cette espèce de légende selon laquelle les gens profiteraient du chômage ».

Le

Épisiotomie : retour sur l’audition polémique de M. Schiappa
2min

Politique

Départ du proviseur du lycée Maurice-Ravel : « Dans un monde normal, celle qui aurait dû partir, c’est l’élève », dénonce Bruno Retailleau

Menacé de mort après une altercation avec une élève à qui il avait demandé de retirer son voile, le proviseur du lycée parisien Maurice-Ravel a quitté ses fonctions. Une situation inacceptable pour le président des Républicains au Sénat, qui demande à la ministre de l’Éducation nationale d’« appliquer la loi jusqu’au bout ».

Le